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MDLVIII

Rémission obtenue par Georges Charonton, franc archer de Benassay, et Hilaire Charonton, son frère, laboureur audit lieu, coupables du meurtre de Pierre Guillon, franc-archer révoqué, qui leur avait cherché querelle et avec lequel ils en étaient venus aux voies de fait.

  • B AN JJ. 195, n° 1480, fol. 344
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 28-32
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de George Charonton, franc archer et quinzennier1, et Hilairet Charonton, laboureur, frères, de la parroisse de Bennassay, près nostre ville de Poictiers, contenant que ilz sont natifz dud. Bennassay, ouquel lieu ilz ont tousjours fait leur continuelle résidence et demourance, fors que depuis deux ans ença ou environ que ledit George Charonton a esté mis en nostre service et fait franc archer on lieu de Jehannin Charonton, son frère, lequel par vieillesse ne povoit plus servir ou fait de noz guerres ; auquel lieu de Bennassay et en nostre service ledit George et aussi ledit Hilairet Charonton, frères, chacun d’eulx en son estat, se sont tousjours bien et honnestement gouvernez [p. 29] et ont esté de bon gouvernement, bonne honneste vie, renommée et conversacion, sans jamais avoir meffait ne mesdit à personne quelconque et fait ou commis aucun villain cas, blasme ou reprouche, ne esté actains ne convaincuz de chose digne de reprehencion, et jusques à ce que, le xxie jour de fevrier l’an mil cccc. soixante treize, que ledit George Charonton, suppliant, ung nommé Pierre Girault [et] Guillaume Manceau, aussi francs archiers, s’en allerent après soupper passer temps et pour eulx esbatre et jouer en l’ostel d’un nommé Jehan Fourchét, marchant, demourant audit lieu de Bennassay, qui a acoustumé tenir pain et vin à vendre ; et quant il furent en dedans dudit hostel, trouvèrent ledit Forget (sic), ung nommé Pierre Guillon, Guillaume Delanohe et leurs femmes, et ledit Hilairet Charonton, frère dudit George, suppliant, qui beuvoient et faisoient grant chère et estoient assis à table devant le feu. Et quant lesdiz George suppliant et autres estans en sa compaignie virent ladicte table de devant le feu pleine, ilz se misdrent à part à une autre table et firent venir du pain et du vin et commandèrent à faire bonne chère. Et eulx estans ainsi à table, vint la femme dudit Pierre Guillon en disant audit George suppliant telles parolles ou semblables. « Au moins, messeigneurs, convoyez à boire vostre compaignon », en disant et parlant de son mary, qui avoit esté pareillement franc archier. Et lors ledit George, suppliant, incontinant presenta le vin audit Pierre Guillon et le convoya à boyre, mais ledit Guillon fist responce qu’il ne beuroit point avecques gens qui lui vouloient mal, et ledit George suppliant lui dist qu’il ne lui vouloit point de mal. Et aussi fist responce ledit Guillon que ne faisoit il audit suppliant, et en ce disant ledit Manceau demanda audit Guillon si c’estoit point à lui à qui il vouloit mal ; lequel Guillon fist responce que oy, pour ce qu’il l’avoit fait mettre hors d’estre franc archer et avoit fait mettre en son lieu ung [p. 30] ladre et qui pis estoit poacre2, et que lesdiz George suppliant et Manceau aymoient mieulx la compaignie dudit pouacre que la sienne, et aussi lui devoit de l’argent qu’il ne lui vouloit paier. Lequel Manceau fist responce audit Guillon qu’il ne lui devoit riens, mais que au regard de l’avoir fait mettre dehors d’estre franc archer, qu’il estoit bien vray qu’il n’y avoit pas neu3 et ne l’en flateroit point ; mais au regard de la compaignie d’un pouacre, que le cappitaine des francs [archers] n’eust point receu ledit Girault, s’il eust esté pouacre. Et lors ledit Guillon fist responce en jurant et detestant le sang Dieu que ledit Manceau avoit menty, et appellant lesdiz George et Manceau « villains excommeniez », et ledit Girault « villain pouacre ». Lequel George suppliant dist audit Guillon qu’il avoit menty et qu’il s’en allast, et ne leur fist point de responce ne de noise en despendant leur argent et qu’ilz ne lui demandoient riens. Lequel Guillon et sa femme ne se vouldrent taire, mais les injurioient incessamment, et à ceste cause lesdiz George suppliant et autres en sa compaignie se levèrent de ladicte table ; et dist icelluy George audit Guillon qu’il s’en allast, autrement qu’ilz le mettroient dehors. Lequel Guillon mist lors la main à ung cousteau qu’il avoit au cousté soubz sa robbe, et aussi ledit George mist la main sur sa dague qu’il avoit et mist la main sur le couteau dudit Guillon, que ledit Guillon tiroit, et en voulant empescher que ledit Guillon ne le tirast. Ce voyant, ledit Hilairet suppliant cuidant empescher que ledit Guillon ne blessast sondit frère, print ung chandellier qui estoit sur la table et en bailla un coup sur l’asse4 dudit Guillon tellement qu’il [p. 31] en yssy du sang ; et aussi ledit George suppliant tira sa dague et cuidant frapper ledit Guillon par la cuisse seullement, sans avoir entencion de le tuer, lui mist ladicte dague par la penillière5 et en celle challeur, donna ung autre coup sur la teste audit Guillon et le blessa jusques à grand effusion de sang. Et atant s’en yssirent hors dudit hostel, et incontinant ledit Guillon dist audit George qu’il estoit affollé et qu’il lui aidast à le retourner en ladicte maison, afin qu’il se fist penser, ce que fist ledit George, suppliant, et lui aida jusques à l’uys et atant s’en allèrent et laissèrent ledit Guillon. Et depuis ledit Guillon, congnoissant avoir tort, a pardonné ausdiz supplians et fait appointement avecques eulx pour raison desdiz coups et bateure. A l’occasion desquelz coups, par mauvais gouvernement et faulte de soy estre fait penser et habiller ou autrement, certain temps après, ledit Guillon est allé de vie à trespassement. Pour raison desquelles choses, durant le vivant dudit Guillon, ont, comme dit est, finé et composé avecques lui et depuis satisfait comme il appartient, mais ce non obstant à l’occasion dudit cas lesdiz supplians, doubtans rigueur de justice se sont absentez desdiz lieux et n’oseroient bonnement converser, demourer ne eulx tenir au païs, se nostre grace et miséricorde ne leur estoient sur ce imparties, humblement requerans que, attendu ce que dit est et mesmement la manière dudit cas avenu et que ledit George n’a riens fait fors en son corps deffendant, ne ledit Hilairet fors pour secourir sondit frère et empescher que ledit Guillon ne l’occist et tuast, et que par cy devant ilz ont, comme dit est, tousjours esté de bonne vie, renommée, etc., que ledit Guillon fut agresseur, les injuria et mist le premier la main audit cousteau, et aussi que lesdiz supplians sont jeunes enffans, c’est assavoir ledit George de l’aage de trente trois ans, chargé de femme et d’enffans, et [p. 32] ledit Hilairet, son frère de vingt huit ans ou environ, et s’est ledit George, depuis qu’il est franc archer, employé en nostre service au mieulx qu’il a peu, etc., nous leur vueillons, etc. Pourquoy nous, etc., ausdiz supplians et à chacun d’eulx avons quicté, etc., le fait et cas dessusdit avec toute peine, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois de juillet, l’an de grace mil cccc. soixante quinze, et de nostre règne le quinzeiesme.

Ainsi signé : Par le conseil. Anthonys. — Visa. Contentor. J. Picart.


1 Un texte contemporain définit ainsi le quinzenier : « Antoine Le Boin, nostre archier de retenue de la ville de Dury, quinzenier, et avoit charge de quatorze hommes. » (JJ. 201, ne 180, pièce citée par Fr. Godefroy, Dict. de l’anc. langue française.) Ce groupement des francs-archers par compagnies de quinze hommes, y compris l’officier subalterne placé à leur tête, remontait sans doute à la création de cette milice. Dans les ordonnances des 12 janvier et 30 mars 1475 n.s., relatives aux francs-archers, il est mentionné comme existant antérieurement. « Pour ayder à porter leurs armes et habillemens, lit-on dans la seconde, ainsi que autres fois a esté ordonné, lesdiz francs archers, quant ilz yront dehors en guerre, auront pour les quinze une charrette ferrée et atelée de trois chevaulx, qui, pour cette premiere fois, seront fourniz et payez sur les deniers qui ont esté cueilliz pour ceste cause, et après ladicte charrette sera entretenue aux despens des habitans qui feront lesdiz francs archers, et baillée en garde à telle personne que les habitans qui l’auront fournie adviseront. » Quant aux chevaux destinés à ce chariot, ils étaient mis à la charge des hommes, ainsi que les colliers, traits et autre harnachement. (Ordonnances des rois de France, in-fol., t. XVIII, p. 73 et 111.)

2 Ou pouacre, synonyme de galeux.

3 Sic pour « nui ».

4 Sic. Le mot asse ne figure pas dans les lexiques. Il s’emploie aujourd’hui parfois pour aisselle. Toutefois, à raison du caractère apparent que le contexte suppose à la blessure M.A. Richard me suggère la correction usse, partie du crâne où se trouve le sourcil. La lettre a pour u proviendrait alors d’une confusion de scribe [L.C.].

5 Bas-ventre.