[p. 115]

MDLXXXI

Rémission accordée à Guillemin Frogier, serviteur de René de Beauvau, écuyer à Châtellerault, qui s’étant porté au secours de son maître, alors aux prises avec un nommé Gazeau, avait, d’une épée à deux mains, frappé celui-ci mortellement et blessé grièvement son serviteur.

  • B AN JJ. 204, n° 171, fol. 107
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 115-118
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Guillemin Frogier, serviteur de René de [p. 116] Beauvau, escuier, contenant que le jour et feste monsieur saint Lucas, derrenier passé, lui estant en la ville de Chastellerault, appartenant à notre très cher et amé cousin le duc de Calabre, conte du Maine et seigneur dudit Chastellerault, ou service dudit de Beauvau, son maistre, lui fut rapporté et dit par le page de ung nommé Anthoine Valori telles parolles ou autres semblables en substance : « Que faites-vous là ? Vostre maistre est en la salle, qui n’a verge ne baston, et Gazeau le veult occire et tuer. » Ausquelles parolles ledit suppliant qui amoist son maistre et de long temps l’avoit servy et lui estoit bon et loyal serviteur, incontinent s’en partit dudit lieu où il souppoit et s’en vint en l’ostel et maison de nostredit cousin audit lieu de Chastellerault, cuidant trouver sondit maistre et se aisséa monter en la salle dudit hostel, en laquelle il ne monta point, obstant que l’un des pages lui dist et demanda où il alloit, et que sondit maistre n’estoit plus lassus en ladicte salle et s’estoit descendu. Adonc ledit suppliant s’en retourna et alla droit en l’ostel près ladicte maison appelé Harcourt, et lui arrivé à la porte dudit hostel, ledit de Beauvau, son maistre, qui seul se pourmenoit en la halle dudit lieu de Chastellerault et près ladicte maison et hostel de Harcourt, l’aperceust et l’appella en lui disant : « Que me voullez-vous ? » Lequel suppliant dist et raconta à sondit maistre les parolles et ce que lui avoit dit et rapporté le page dudit Anthoine Valori, c’est assavoir que ledit feu Gazeau l’avoit voulu occire et tuer. Et lors lui demanda sa dague, laquelle il lui bailla et incontinent d’ilec s’en alla seoir sur ung siege, devant la porte de la maison de nostredit cousin, disant au page de sondit maistre qu’il alast dire au Poictevin qui lui envoyast la dague qui lui avoit promise, ce que fit ledit paige. Et lui apporta icellui paige une dague autre que celle que ledit Poictevin lui avoit promise, laquelle il donna audit paige. Maiz en apportant icelle, ledit paige passa par le [p. 117] logiz de sondit maistre, auquel il print et apporta à icellui suppliant son espée à deux mains, laquelle il print et s’en alla raassoir audit siège devant ladicte porte ; et après ce, porta sadicte espée en l’estable de l’escuierie de notre très chère et amée cousine la duchesse de Calabre1, femme de nostredit cousin, et d’ilec s’en retourna audit siège, auquel il ne arresta gueres, et ala querir sadicte espée en ladicte estable, de paour qu’elle ne lui fut amblée, et de rechief se vint rasseoir en icellui siège au devant ladicte porte. Et si tost qu’il fut assis, passa ledit feu Gazeau et autres venans de l’ostel de nostredit cousin par ladicte porte devant ledit siège. Lequel feu Gazeau s’en ala tout droit oudit hostel de Harcourt, auquel feu Gazeau ledit suppliant alors n’avoit aucun vouloir de lui meffaire ni le oultrager en sa personne. Et lui passé, aucun peu d’espace de temps après, icellui suppliant oyt au devant de ladicte porte et dudit siège le bruit dudit feu Gazeau et de ung sien certain serviteur qui se entrebatoient avec sondit maistre et donnoient l’un à l’autre des coups de leurs dagues près ladicte halle ou illec environ. Ledit suppliant d’ilec, tout esmeu à cause de ce, se partist et s’en alla audit bruit ; et lui ainsi esmeu aperceult et vist que la dague de sondit maistre estoit rompue. A ceste occasion et pour le grant esmeuvement dont il estoit féru et surprins, non meditant en autre chose, donna de sadicte espée audit feu Gazeau sur la teste ung coup tant qu’il peut, tellement que dudit cop la lui fendit et cheut à terre tout mort, ou guères ne s’en failloit. Et tantost après donna ledit suppliant de sadicte espée ung autre cop au [p. 118] serviteur d’icellui feu Gazeau sur l’espaule, laquelle d’icellui cop il lui avala, maiz il en est guery ou en espoir de garison. A l’occasion duquel cas ledit suppliant est en franchise, où il est en voye de non bouger et y finir durement et miserablement ses jours, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, etc. Pour quoy, etc., audit Guillemin Frogier avons quicté, remis et pardonné, etc. Aux seneschal de Poictou, bailli de Touraine, des ressors et exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous, etc. Donné au Plessis du Parc lez Tours, ou moys de novembre, l’an de grace mil cccc. soixante et seize, et de nostre règne le seiziesme.

Ainsi signé : Par le roy. Ja. Berizeau.2 — Visa, Contentor. Duban.


1 Jeanne de Lorraine, fille aînée de Ferry II de Lorraine, comte de Vaudémont, et d’Yolande d’Anjou, reine de Naples, Sicile et Jérusalem, mariée à Charles II d’Anjou, comte du Maine, duc de Calabre, par contrat passé à Troyes, le 21 janvier 1473, fit son testament à Aix, le 22 janvier 1480, léguant tous ses biens à son mari, et mourut le 25 du même mois. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. I, p. 234.)

2 Sic ; corr. « Berziau ». On trouve le nom de Jacques Berziau, notaire et secrétaire du roi, au bas de plusieurs actes de la chancellerie des années 1476 à 1479.