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MDLXVIII

Lettres de grâce et mise en liberté accordées par le roi, à l’occasion de sa première entrée en la ville de Brignais, à Renaud Bonneau, franc-archer de la paroisse Saint-André de Niort, prisonnier audit Brignais pour le meurtre d’un de ses compagnons d’armes avec lequel il s’était pris de querelle, pendant une expédition à la frontière [p. 69] d’Espagne, où les francs-archers de Poitou étaient commandés par le sire du Fou

  • B AN JJ. 204, n° 46, fol. 30
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 68-71
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Regnault Bonneau, povre homme aagé de vingt sept ans ou environ, franc archer de la paroisse de Saint André [de Niort1] en Poictou, à present prisonnier detenu ès prisons de ceste ville de Breignés, contenant que deux mois a ou environ, comme il s’en alloit ou voyage que l’en faisoit par nostre ordonnance ès Espaignes, avec et en la compaignie de ses autres compaignons et archers estans soubz la charge et bende de nostre amé et feal conseiller et chambellan le sire du Fou2, ledit suppliant estant avec ceulx de sa compaignie vindrent et arriverent en une parroisse dont il ne scet le nom, assez près de Saint-Jehan-de-Lutz et Bayonne, où illec ilz furent par l’espace de troys jours logez. Pendant lequel temps, pour raison et à cause de ce que ung nommé Jehan Rouzay, franc archer de [p. 70] ladicte quinzaine, tenoit et menoit avec lui une jeune femme nommé Mag[da]l[ain]e, laquelle il avoit prinse et enlevée d’avec ses amys, et que aussi il estoit jeune, fort, noisif et tost meu à ire et qui continuellement prenoit noise, question et debat à diverses personnes, fut conclud et deliberé par Guillaume de Saint-Legier, lieutenant de nostredit conseillier, que iceluy Jehan Rouzay seroit mis et osté hors de ladicte compagnie tant pour raison de ce que contre son gré il menoit avec luy ladicte Magdalaine que pour les debatz, et commanda que l’on luy fist commandement de soy departir de ladicte compaignie, pour eschever à divers maulx qui par son moien se pourroient ensuir. Lesquelles choses venues à la congnoissance dudit Jehan Rouzay, comme assez tost après ladicte conclusion prinse, lui estant en la compaignie de ung nommé Jehan Mardeau, leur quinzinier, dudit Nyort, Jehan Deshaies, Marsault Texier, Bertrand, Jehan et Regnault Bonneau, tous francs archiers, en ung logeiz en ladicte parroisse, desvestit et mist jus de soy ses brigandines qu’il avoit vestues, en faisant plusieurs grans juremens et regniemens de sains et saintes de paradis, que, en despit des paillars villains dudit Nyort, que jamaiz il ne rapporteroit lesdictes brigandines et ne renteroient (sic) jamais audit Nyort, en faisant autres grans et detestables seremens, et soy eschauffant fort comme surprins de vins et de viandes, et continuoit tousjours de plus en plus à oultrager et dire mal de ceulx dudit Nyort. A laquelle cause ledit Regnault Bonneau, qui est simple homme, qui pour lors n’avoit beu ne mengié, maiz jeunoit et estoit couché en terre, commença à remonstrer bien et doulcement audit Jehan Rouzay qu’il faisoit mal de ainsi oultrager ne dire mal de ceulx dudit Nyort, soubz qui ilz vivoient, lui priant qu’il s’en voulsist depporter. Lequel Jehan Rouzay, esmeu de plus en plus et perceverant tousjours en sa fureur, dist et respondit par plusieurs foiz audit suppliant qu’il avoit [p. 71] menti et que lesdiz de Nyort n’estoient tous que villains paillars, et lui mesmes qui en parloit. Desquelles parolles ledit suppliant ne fut pas content, ains se leva de terre où il estoit couché et respondit audit Jehan de Rouzay que ce n’estoit pas bien fait à lui et qu’il en avoit menti. Et alors ledit Jehan Rouzay, perceverant et continuant tousjours en son mauvaiz et dampné propos, tira sa dague qu’il avoit pendant à sa sainture, et d’icelle s’efforça frapper ledit suppliant, tellement qu’il convint audit suppliant, pour obvier au danger de sa personne, tirer sa daigue qu’il avoit pendant à sa sainture, et d’icelle frappa ledit Jehan Rouzay ung cop par le costé, par le moien duquel coup icellui Rouzay tantost après, par faulte de mauvaiz gouvernement et (sic) autrement est allé de vie à trespas. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant ainsi detenu prisonnier, comme dit est, nous a fait dire et remonstrer que à nostre joyeux et premier advènement et entrée en ceste ville de Bregnez, où il est detenu prisonnier, attendu qu’il est de la condicion dessusdicte, il nous plaise, etc. Pourquoy, etc. Aux seneschaulx de Poictou et des Lannes, gouverneur de la Rochelle et à tous, etc. Donné audit lieu de Breignaiz3, ou moys d’avril, l’an de grace mil cccc. soixante seize, et de nostre regne le xvme.

Ainsi signé : Par le roy, l’evesque d’Evreux4 et autres presens. Robineau. — Visa. Contentor. Duban.


1 La suite du récit autorise cette addition au texte.

2 Yves du Fou a été l’objet dans notre volume précédent d’une longue notice (Arch. hist., t. XXXVIII, p. 103 à 107), complétée dans l’Introduction, p. xxxii-xxxiv. Il nous suffira de signaler ici deux autres lettres de ce personnage à Louis XI. La plus intéressante, datée de Lusignan, le 3 novembre, sans indication de millésime, se rapporte à la période pendant laquelle Yves du Fou, curateur de Charles, comte d’Angoulême, mineur, prit part au nom du roi, auprès de la comtesse douairière, Marguerite de Rohan, au gouvernement de l’Angoumois (1467-1476). Le roi avait demandé le jeune comte, pour le faire élever auprès de lui. Chargé d’obtenir de la mère son consentement à cette séparation, Yves écrit qu’il est tout à fait d’avis que Charles d’Angoulême serait mieux avec le roi que là où il est, mais la comtesse pressentie sur ses intentions a répondu « tout court » qu’elle ne baillerait pas son fils. Depuis, cependant, ajoute-t-il, elle paraît moins intransigeante ; elle a, du reste, refusant sa créance à du Fou, écrit directement au roi à ce sujet. D’autre part, le seigneur de La Rochefoucauld, gouverneur du jeune prince, a promis de l’amener au roi, si celui-ci lui en donne l’ordre. L’autre lettre, datée « de vostre maison du Fou, le 30 octobre » (aussi sans indication d’année) est moins importante, il y est question de la garde de la place de Blois. (Bibl. nat., ms. fr. 20428, nos 64 et 65.)

3 Le roi est encore à Saint-Romain-lès-Vienne le 26 avril ; il est signalé le 29 à Brignais (Itinéraire, dans Vaësen et de Mandrot, t. XI, p. 161). [L.C.].

4 Sur Jean Héberge, évêque d’Évreux, voy. ci-dessus, p. 52 [L.C.].