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MDCXLII

Rémission accordée à Pierre des Noyers, écuyer, meurtrier de Jean Caignault qui, avec son frère Pierre et autres leurs complices, avait commencé à vendanger un fief de vignes nommé le Plessis, en la paroisse de Saint-Mars de la Réorte, dont étaient seigneurs par indivis ledit des Noyers et Sauvage Jourdain, sans la permission de ceux-ci, et avait répondu outrageusement à ses justes observations.

  • B AN JJ. 205, n° 317, fol. 181
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 297-301
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion [p. 298] des parens et amys charnelz de Pierre des Noyers1, escuier, aagé de cinquante ans ou environ, contenant qu’il est seigneur de la moitié par indivis d’ung fief de vignes appellé le fief du Plessis assis en la parroisse de Saint-Mars de la Rorte en nostre pays et conté de Poictou, partant ledit fief par indivis avec Sauvaige Jordain2, escuier, cousin dudit suppliant, ouquel fief a plusieurs hommes tenens, qui tiennent en particulier sur droit de complant, devoir feodal et auquel des fruiz croissans oudit fief dudit suppliant et dudit Jordain. Et combien que selon la sence3 et coustume de nostredit pays de Poictou et mesmement du pays où ledit fief de vigne est situé et assis il ne soit permis ne loisible à aucuns teneurs dudit fief icellui ouvrir ne vendanger sans le congé, permission ou licence desdiz suppliant et Jourdain, seigneurs dudit fief, ce non-obstant, le xviie jour de ce present moys de septembre mil iiiiclxxix, Jehan et Pierre Caignault, frères, et autres teneurs dudit fief, leurs adherans et complices, de leur auctorité privée et au desceu desdiz suppliant et Jourdain, seigneurs dudit fief, se transportèrent oudit fief et icellui ouvrirent et vandangèrent par avant qu’on eust fait ouvrir [p. 299] ledit fief, ainsi qu’il estoit de coustume ès années et vendanges precedans et par l’usaige dudit pays de Poictou où est situé et assis ledit fief de vigne, dont ledit suppliant, quant il arriva oudit fief ledit jour, environ sept ou huit heures devers le matin, fut mal content et desplaisant, et sur ce eut grosses parolles entre luy et ledit Jehan Caignault ; lequel Caignault tantost après que icelluy suppliant fut au pas ou entrée dudit fief, s’en yssit hors d’icellui fief avec une jument qu’il trouva chargée de une somme de vendange et par dessus ladite somme ung panier ou corbillon plain de raisins, couvers et mucé d’une vielle robbe ; lequel corbeillon et raisins ledit suppliant prinst en disant audit Caignault, qui dès le bien matin estoit entré oudit fief et en avoit emmené une autre somme de vandange, qu’il ne luy appartenoit aucunement de ouvrir ledit fief et en enmener la vandange d’icellui ne aussi ledit panier ou corbillon de raisins ainsi furtivement au desceu dudit suppliant et dudit Jourdain, seigneurs dudit fief. Et quant icelluy suppliant eust ainsi prins ledit corbillon et raisins, dist audit Caignault qu’il s’en allast et frappa icelluy suppliant d’une verge ou petit baston qu’il tenoit en sa main ung petit coupt sur la courpe de la jument dudit Caignault, laquelle se prinst ung pou à trotter et tumba ung pou de raisins du comble de ladite somme, par quoy ledit Caignault reprist ladite jument et la voulut ramener oudit fief, en jurant le sang de la mort de Nostre Seigneur qu’il y retourneroit et y referoit ladite somme aux despens dudit suppliant, combien que la vandange qui en estoit tumbée n’estoit pas de la valeur d’une pinte de vin ; ce que voulut empescher ledit suppliant, en disant audit Caignault qu’il s’en allast et qu’il ne retourneroit point oudit fief, mais ledit Jehan Caignault, lequel estoit fort oultrageulx, dist audit suppliant en jurant le sang et la mort de Nostre Seigneur, soy approuchant d’icellui suppliant, comme pour le vouloir oultrager et en appellant à haulte [p. 300] voix ung sien frère, nommé Pierre Caignault, lequel estoit au dedens dudit fief de vignes, qui bientoust et tout incontinent se rendist à luy avec ung gros baston en sa main ; et dist audit suppliant que en despit de luy et voulsist ou non, il referoit sadite somme de vandange, et luy disoit par grant rigueur plusieurs autres grosses parolles injurieuses, par quoy ledit suppliant qui est noble homme et seigneur dudit fief, soy voyant ainsi oultragé, sourprins de ire et de courage et en chaulde colle, considerant la malice desdiz Jehan et Pierre Caignault, qui sont gens de labour, subgetz et teneurs dudit fief, par lesqueulx il doubtoit estre oultragé, veu les grosses parolles et menasses qu’il luy donnoient de ce faire et le baston que avoit ledit Pierre Cagnault, frère dudit Jehan, icelluy suppliant tira ung penart ou grant cousteau qu’il avoit à sa sainture, et par ce que ledit Jehan Caignault, en jurant le sang et la mort de Nostre Seigneur, comme dit est, continuoit et par grant ire et fureur s’adreçoit contre ledit suppliant qui estoit descendu à pié de dessus son cheval, doubtant estre enclos entre lesdiz Jehan et Pierre Caignault en ung estroit chemin ouquel estoit ledit Jehan Caignault et sadicte jument et par eulx estre oultragé et envillenné en sa personne, pour à ce obvier et seulement pour le cuider faire reculer, toucha ledit Jehan Caignault ung pou avecques la pointe de sondit cousteau ou penart sur le devant, du costé senestre, et croyant ledit suppliant ne l’avoir aucunement blécié et n’avoir que seullement touché à sa robbe, dist par plusieurs foiz audit Caignault qu’il s’en allast ; lequel Caignault de prime face ne faisoit semblant d’estre aucunement blécie, ains alloit et venoit le long dudit chemin estroit, et tousjours donnoit de grandes menaces audit supliant, en luy disant et jurant comme dessus que, s’il le trouvoit audit lieu de Saint-Marcs, qu’il se trouveroit batu. Et lequel Jehan Caignault en usant desdiz grans seremens et grosses parolles en détestant le [p. 301] nom de Dieu, ainsi qu’il aloit et venoit le long dudit chemin estroit et sans ce que ledit suppliant luy touchast ou donnast plus aucun autre coupt, icelluy Jehan Caignault tumba à terre et tantost après, par son oultrage et courroux, ou par deffault d’avoir esté pensé et bien gouverné, alla de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays, etc. Pour quoy, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou à son siège ordinaire de Thouars et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou moys de septembre, l’an de grace mil cccc. soixante diz neuf, et de nostre règne le xixe.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. F. Texier. — Visa. Contentor. F. Texier. — Registrata.


1 Les lettres de rémission obtenues par Pierre des Noyers, coseigneur de Saint-Mars-la-Réorthe, pour le meurtre de Jean Caignault, n’étaient pas encore entérinées le 20 avril 1480, à cause de l’opposition de Jeanne, veuve, et de Colas, fils de la victime, opposition qui fut portée en appel au Parlement. Un ajournement fut prononcé ce jour-là (Arch. nat., X2a 44, à la date), et depuis on perd la trace de cette affaire dans les registres de la cour.

2 Sauvage Jourdain, écuyer, était aussi seigneur du Puy-Jourdain et de la Vaugrolière, par héritage de Hardy de Montours, comme on l’a vu quelques pages plus haut, p. 287, note. Il figure au ban de 1467 en qualité de brigandinier de Jean de Brosse, seigneur de L’Aigle, et fut chargé de procuration pour rendre aveu au vicomte de Thouars de l’hôtel de la Flocellière, sis au bourg de Sainte-Verge, le 14 novembre 1476. (Beauchet-Filleau, Dict. des familles du Poitou, 1re édit., t. II, p. 257.) Sauvage était mort avant le 17 août 1483, date d’un hommage rendu à Nicole de Bretagne, par son fils Guillaume Jourdain, écuyer, qualifié seigneur du Puy-Jourdain pour le fief du Coudray-Granbigneau. (Coll. dom Fonteneau, t. IX, p. 383.)

3 Sic : ne faut-il pas corriger l’usance ? [L.C.].