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MDLXII

Lettres d’abolition en faveur de Charles d’Anjou, duc de Calabre, comte du Maine et vicomte de Châtellerault, pour les machinations et conspirations contre le roi auxquelles il avait pris part.

  • B AN JJ. 204, n° 65, fol. 41 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 41-52
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion à nous presentée par nostre très cher et très amé cousin Charles, duc de Calabre, conte du Maine, de Mortain et de Gien, et viconte de Chastelleraud1, contenant [p. 42] que, durant les derrenières divisions qui ont eu cours en nostre royaume, pendant lesquelles aucuns des seigneurs de nostre sang se sont eslevez en rebellion et desobeissance contre nous, et aucuns autres seduitz et divertiz [p. 43] pour adherer ausdictes rebellions et mesmement en l’année derrenière passée, icellui nostre cousin suppliant, qui lors estoit allé en pays de Prouvence devers nostre très cher et très amé oncle et cousin le roy de Sicille, après ce que, pour aucunes choses dont avions esté advertiz et pour certaines causes qui à ce nous mouvoient, nous eusmes fait prendre et mettre en nostre main les ville et chastel d’Angiers2, nostre dit oncle en parla à nostre dit cousin de Calabre, suppliant, en lui demandant qu’il lui sembloit qu’il avoit à faire. Lequel nostre cousin suppliant lui dist qu’il convenoit envoyer devers le connestable conte de Saint Pol3, son oncle, pour savoir qu’ilz avoient à faire. Et lors y envoyèrent Françoys de Lusembourg4, nepveu dudit conte de Saint Pol, et avant qu’il fut retourné, s’en parti nostredit cousin dudit pays de Prouvence pour venir devers nous, et en s’en venant rencontra ledit Françoys près de Roussillon ou Daulphiné ; lequel lui dist qu’il avoit [p. 44] charge de par ledit connestable s’il le trouvoit encores en Prouvence, lui dire qu’il n’en partist point et qu’il estoit en danger de sa personne, s’il venoit devers nous. Et avec ce lui dist seul à seul que les seigneurs de nostre royaume devoient envoyer en ung certain lieu, en Savoye ou en Bresse, chacun leur scellé et que, s’il vouloit y envoyer le sien, qu’il y envoyast audit jour. Et lors ledit suppliant lui dist qu’il s’en allast devers sondit oncle le roy de Secille lui dire lesdictes choses et que au regard de lui il ne envoyeroit point audit lieu, maiz que sondit oncle avoit puissance de tout faire pour lui ce qui lui plaisoit. Et lui semble que ledit Françoys lui dist que Hector de Lescluze5 estoit jà audit lieu de Savoye ou de Bresse de par ledit connestable, pour attendre les autres, et que les gens du duc de Bourgongne y estoient ou se y trouveroient de brief, et aussi qu’il avoit passé par Molins et qu’il avoit dit toutes ces choses à nostre très cher et très amé frère le duc de Bourbonnois, et d’Auvergne6 de par ledit connestable. Et lors s’en parti ledit Françoys et ne le vit depuis nostredit cousin suppliant. Et depuis ce, et nostre cousin suppliant [p. 45] estant ès marches de par deça, nostre dit oncle de Secille lui manda qu’il lui envoyast troys blancz scellez, pour en faire ce qu’il adviseroit ; ce que nostre dit cousin suppliant fist et les lui envoya, desquelz il n’a depuis esté adverti par sondit oncle ne autres qu’il a esté fait desdiz scellez. Et au passer par Molins par nostredit cousin suppliant, parla audit duc de Bourbon des choses dessusdictes, auquel il prya qu’il obliast toutes les questions du temps passé et qu’ilz feussent dès lors en avant amys et aliez, en lui offrant son scellé. A quoy ledit duc de Bourbon respondi qu’il estoit content et qu’il envoyeroit ung homme après lui ; dont depuis il ne oyt parler et que ledit connestable avoit bien mandé à nostredit cousin suppliant que le duc de Nemours7 estoit de la bande des autres, maiz que jamaiz n’a rien escryt ne fait savoir audit duc de Nemours ne ledit duc de Nemours à lui. Et avec ce ledit connestable fist savoir à nostredit cousin suppliant, lui estant derrenièrement à Paris, par devers nous, qu’il se retirast en ses pays et qu’il estoit en danger de sa personne, s’il séjournoit par devers nous ; et à ceste cause, s’en parti à haste de devers nous, combien qu’il eust charge expresse de par nostre dit oncle de Secille de nous servir, et suivir, obeir et complaire plus que jamaiz n’avoit fait, et de poursuir les besongnes de nostredit oncle envers nous ; et que en oultre, nostredit cousin retourné en sondit pays du Maine, ledit connestable lui fist savoir par plusieurs foiz qu’il se donnast garde de sa personne et qu’il fist reparer ses places et les gardast bien, et que avant qu’il [p. 46] feust peu de temps, nous arions à besongner de lui, combien que icellui nostredit cousin fust deliberé venir par devers nous, nonobstant toutes les choses dessusdictes et les rigueurs que on lui tenoit pour le fait de Guillaume de Roquemeaure et la prinse de sa nef à la Rochelle, et le soustenement des habitans de Mortaing à l’encontre de lui. Et tantost après se parti du Mans icellui nostre cousin suppliant, et s’en ala à Sablé ; ouquel lieu lui fut rapporté que nous transportions au Mont-Saint-Michel et à Nostre-Dame de Behuart, et que faisions mener avec nous sept ou huit cent lances pour le prendre et toutes ses places. Pour laquelle cause et aussi que ledit connestable lui avoit mandé qu’il envoyast en Bretaigne, delibera de y envoyer Regnault de Velort8, pour sentir le duc de Bretaigne qui lors estoit en guerre avec nous, s’il le recueilleroit en son pays, quant en auroit mestier, et s’il le secourroit, quant en auroit à besongner, lui offrant lui et ses places, pour le doubte qu’il avoit de sa personne. Et lors ledit de Velort envoya son homme devers Gilbert de Grassay9, à Nantes, et lui escripvi qu’il vouloit bien parler à lui et qu’il lui fist savoir où il le pourroit trouver ; et se rendirent à Martigny. Et ce pendant nostredit cousin suppliant s’en alla à Mayenne en attendant la response dudit Regnaut ; lequel lui dist, à son retour audit Mayenne, que Gilbert de Grassay se faisoit fort de faire telle aliance avec ledit duc de Bretaigne qu’il vouldroit. Et après ce que ledit de Velort et [p. 47] son homme eurent esté par plusieurs foiz par devers ledit duc de Bretaigne, fut appoincté de bailler leurs seellez l’un à l’autre, c’est assavoir nostredit cousin suppliant audit duc et ledit duc à nostredit cousin. Et avant que lesdiz seellez feussent baillez, nostre dit cousin suppliant lui escripvi de sa main comme il estoit bien joyeulx de ce qu’il lui offroit le recueillir et lui aider en ce qu’il pourroit et ledit duc pareillement ; et tantost après fut fait le seellé, promettant l’un à l’autre aider et secourir de leurs gens et de leurs places. Et pour ce que ledit seellé contenoit comprins amys et alyez, nostredit cousin suppliant deist expressement audit Regnault, pour dire aux gens du duc qu’il entendoit excepter les Bourgoignons et Anglois, qu’il ne vouloit estre bourgoignon ne anglois. Et après plusieurs debatz sur ce euz entre eulz et les gens dudit duc, se acordèrent et fust dit que nostredit cousin n’aroit que faire que au duc, et non point à ses amys, bienvueillans ne alliez. Et aussi pour ce qu’il y avoit audit seellé ung mot qui disoit nomméement contre nous, nostre dit cousin de Calabre commanda au chappellain messire Pierre, qui escryvoit, que ce mot fust osté, et qu’il ne sut se depuis il fut osté ou non. Et au regard du seellé dudit duc, nosdit cousin suppliant et ledit de Velort le brulèrent, nostredit cousin estanst à Aluye ; et quant ledit duc de Bretaigne sceut que nostredit cousin suppliant venoit par devers nous, ledit duc de Bretaigne lui manda audit lieu de Mayenne, qu’il faisoit bien de venir devers nous et qu’il le quictoit et lui envoya ung brevet non signé, lequel nostredit cousin suppliant a muscé, lequel il monstrera quant nostre plaisir sera. Et après ce, vint par devers nostredit cousin suppliant ung nommé Jehan Le Verrier pendant ce que le bastard du Maine10 et le bastart de [p. 48] Harecourt11 estoient par devers nous à Compiengnc, lequel Verrier dit à nostredit cousin suppliant que les Angloix estoient à Dorlans, et que lui mandions qu’il estoit temps qu’il vensist devers nous pour nous servir, et que avions commandé à maistre Girault et aux Rousseletz qu’ilz feissent ce que nostre dit cousin suppliant lui commanderoit et qu’il estoit le grant maistre du mestier, dont icellui nostre cousin fut despit pour ce qu’on lui offrist la maistrise de nostre artillerie, se lui sembloit ; à quoy il respondit qu’il n’avoit point d’argent et plusieurs autres paroles mal sonnantes qu’il ne devoit pas dire, desquelles il n’est à present recors ; et que semblablement ung nommé Marbery12 vint par deux foiz par devers nostredit cousin, et que à l’une des foiz il apporta lettres de par ledit connestable par lesquelles il lui mandoit ledit Marbery pour le mettre en son hostel combien qu’il vensist pour lui apporter lettres de par ledit connestable ; et lui dist à telle foiz comme les Angloix sans point de faulte venoient, et que pour en savoir encores mieulx, s’en alloit en Normandie et de là en Bretaigne, devers le duc, pour lui dire les nouvelles dudit connestable et desdiz Angloix, et qu’il [p. 49] rappasseroit par devers nostredit cousin suppliant, pour savoir s’il vouloit riens mander audit connestable. Pour ce que nostre dit cousin ne se fioit pas trop dudit Marbery, ne manda aucune chose par lui, fors qu’il se recommandoit à lui et qu’il lui prioit qu’il lui fist savoir tousjours des nouvelles. Et depuis par plusieurs foiz ledit connestable a fait savoir audit suppliant que, s’il vouloit qu’il meist de ses gens d’armes en sa place de Guise et qu’il la lui garderoit bien et qu’elle n’estoit pas seurement et qu’il doubtoit que la preinssions, ce que nostredit cousin suppliant lui a tousjours acordé. Maiz ce neantmoins a toujours differé de ce faire et n’y a voulu mettre autres gens que les siens, et que par plusieurs foiz il a fait savoir par Le Picart audit connestable comme il se fyait en lui et que, s’il avoit à besongner de gens pour Guyse, il prendroit des siens et lui prioit qu’il lui fist savoir tousjours des nouvelles. Et aussi manda à Guillaume de Verues13 qu’il allast souvent devers ledit connestable pour savoir des nouvelles et lui en faire savoir, et que à une autre foiz et entre les autres, ledit connestable manda à nostredit cousin suppliant par ledit Picart qu’il estoit force qu’il print de troys parti l’un et fut devant que les Angloix vinsissent en nostre royaume : l’un qu’il faignit se tirer par devers nous et qu’il tirast tout à coup à Saint Quentin ou à Guyse et que de ses gens d’armes et de ce qu’il avoit, il seroit aussi bien maistre que lui ; l’autre, qu’il tirast devers ledit duc de Bourbon et de là s’en entrast en la Bourgongne et en Prouvence ; et l’autre qu’il s’en tirast en Bretaigne et qu’il fust seur du duc, et que là il lui feroit savoir de ses nouvelles et qu’il [p. 50] lui envoyeroit sauf conduit des Angloix et des Bourgoignons, et deux gallées dudit duc de Bourgongne, pour le mener en Flandre, pour de là se tirer par devers ledit connestable. Et avec ce manda ledit connestable à icellui nostre cousin suppliant, par ledit Picart, qu’il sentist se le duc seroit bon pour eulx ou s’il prendroit parti avec nous, et que après qu’il eust senty par ceulx qui mennoyoient14 les traictez desdiz scellez fist savoir audit connestable par ledit Picart, qu’il pensoit que oy. Et que en tant que touche le chastel d’Angiers, que icellui nostre cousin suppliant a bien fait venir aucuns du pays du Maine, lesquelz il ne congnoist, et que on disoit qu’ilz avoient des parens audit chastel d’Angiers, et leur demanda s’il y avoit remède de faire parler à eulx, et leur dit qu’ilz feissent des promesses de par lui ; lesquelz y allerent et depuis leur firent responce qu’ilz n’avoient riens peu faire, et que à ceste cause nostredit cousin suppliant ne fist depuis autre poursuite. Et en tant que touche le duc de Millan15 et la duchesse de Savoye16, que icellui nostre cousin suppliant a bien eu parolles à eulx et a esté requis de par eulx de s’entre aider l’un à l’autre à garder leurs pays, maiz de seellé n’en a point esté baillé par nostre dit cousin suppliant.

A l’occasion desquelz cas dessus declairez, ainsi faiz et commis par nostredit cousin suppliant et autres dont il n’est à present memoratif, ainsi advenus durant ledit temps desdictes divisions, icellui nostre cousin suppliant doubtant qu’il en feust on temps avenir reprouché par nous ou autres, nous a humblement fait supplier et requerir [p. 51] que, attendu les moyens dessus declairez par le moien desquelz il les a ainsi commis et perpetrez et son jeune aage, qui est de xxviie à xxviiie ans, en quoy il est encores à present constitué et que il a bon vouloir de nous desormaiz obeir, servir et complaire en toute obeissance, humilité et amour, il nous plaise sur ce lui impartir noz grace, pardon et abolicion de tous lesdiz cas et autres, ainsi par lui commis durant le temps desdictes divisions et jusques à present, humblement requerant iceulx. Pour quoy nous, ces choses considérées et mesmement la proximité du lignage en quoy nous attient nostredit cousin suppliant et ledit jeune aage en quoy il est encores à present constitué, comme dit est, à icellui, pour ces causes et consideracions et autres à ce nous mouvans, avons quicté, remis, pardonné et aboli, remettons, quictons, pardonnons et abolissons, de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, par ces presentes, les faiz et cas dessus declairez, ensemble tous autres que pourroit avoir faiz et commis icellui nostre cousin suppliant à l’encontre de nous et de nostre auctorité et magesté royal, et lesquels nous tenons cy pour expressement declairez, avec toute peine, amende et offence corporelle, criminelle et civile en quoy, à l’occasion d’iceulx et de chacun d’iceulx il pourroit estre encouru envers nous, nostredicte auctorité et justice. Et l’avons restitué et restituons à sa bonne fame et renommée en nostre dit royaume et à ses biens, honneurs, terres et seignouries, et quant à ce imposé et imposons silence perpetuel à nostre procureur general et à tous autres, en mettant au neant tous procès, deffaulx, ban et appeaulx, s’aucuns s’en sont ou estoient pour ce ensuiz. Si donnons en mandement par cesdictes presentes, à nostre amé et feal chancellier, à noz amez et feaulx conseillers les gens de nostre court de Parlement à Paris et à tous noz autres justiciers et officiers ou à leurs lieuxtenans ou commis, presens et [p. 52] avenir et à chacun d’eulx, si comme à lui appartendra et que requis en sera que de noz presens grace, quictance, remission, pardon et abolicion facent et seuffrent nostredit cousin suppliant joir et user plainement et paisiblement, sans pour ce le traveiller ou molester ne souffrir estre traveillé ou molesté, ores ne pour le temps avenir, en corps ne en biens en aucune manière en contraire ; mais se son corps ou aucuns de sesdiz biens, terres et seigneuries sont ou estoient pour ce prinses, saisies, arrestées ou empeschées, les lui mettent ou facent mettre sans delay à plaine delivrance et un premier estat et deu. Et afin que ce soit chose ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à cesdictes presentes. Sauf toutes voyes en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à la Victoire près Senliz, ou moys d’octobre, l’an de grace mil cccc. soixante quinze, et de nostre règne le xvme.

Ainsi signé : Par le roy en son conseil, ouquel vous, l’evesque d’Evreux17, les sires du Lude18, gouverneur du Dauphiné, d’Argenton19 et autres estoient. — J. Maure.


1 Charles II d’Anjou, comte du Maine et de Mortain, vicomte de Châtellerault, etc., fils de Charles Ier mort le 10 avril 1473 et d’Isabelle de Luxembourg, seconde fille de Pierre Ier de Luxembourg, comte de Saint-Pol et de Brienne. Son oncle, le roi René, après le décès de son petit-fils, Nicolas d’Anjou, duc de Lorraine, de Bar et de Calabre (24 juillet 1473, cf. vol. précédent, p. 250, note), l’ayant institué son héritier au royaume de Naples, il prit le titre de duc de Calabre, sous lequel il est le plus souvent désigné dans les textes de l’époque. On le trouve qualifié aussi, après la mort de son oncle Charles IV, roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem. C’est au mois de juillet 1480 que Charles II, comte du Maine, succéda aux états et seigneuries du roi René ; le 10 décembre 1481, à Marseille, il fit son testament par lequel il instituait Louis XI son héritier universel, et il mourut le lendemain, âgé de trente-cinq ans, sans postérité de Jeanne de Lorraine, fille aînée de Ferry II de Lorraine, comte de Vaudémont, qu’il avait épousée par contrat passé à Troyes, le 21 janvier 1473.

Ce personnage nous intéresse spécialement à cause de ses possessions poitevines, la vicomté de Châtellerault, les baronnies de Civray, Melle, Saint-Maixent, Chizé, etc. Cependant il convient de reconnaître que les faits relatés dans les présentes lettres d’abolition relèvent plutôt de l’histoire générale et que, par suite, on n’aurait pu nous savoir mauvais gré de ne pas les comprendre dans notre publication. Ce qui nous décide à en donner le texte, c’est que plusieurs gentilshommes de la maison ou de l’entourage du duc de Calabre, appartenant à des familles du Poitou, furent compromis dans les machinations, les menées et les intrigues reprochées à ce prince. Deux sont nommés dans ces lettres d’octobre 1475 : Renaud de Velort et Guillaume de Verruyes. Un autre, Pierre de Dercé, obtint personnellement des lettres d’abolition, le 21 juin 1476, dans lesquelles il est question aussi des agissements de Joachim Rouault, maréchal de France, et de la condamnation à mort du même Renaud de Velort. Or, les lettres d’octobre 1475 et celles du 21 juin 1476 s’éclairent ou se complètent l’une par l’autre, et il est bon d’avoir toute facilité de se reporter du premier texte au second, ou du second au premier, surtout quand il s’agit, comme c’est ici le cas, d’intrigues fort compliquées entre de multiples personnages, dont les intérêts ne sont pas toujours complètement identiques, et qu’il y a lieu de dissiper bien des obscurités.

Il n’est pas inutile non plus de rappeler ici très brièvement dans quelles circonstances se produisirent les menées imputées au duc de Calabre, de concert avec son oncle le roi René. Celui-ci venait, par son troisième testament, rédigé à Marseille le 22 juillet 1474, de léguer l’Anjou et la Provence à son neveu Charles, comte du Maine, comme seul descendant mâle des fils du duc Louis II. Mécontent de n’être point au nombre des héritiers. Louis XI se saisit de la ville d’Angers, de l’Anjou et des revenus du domaine de tout le duché. « Malgré toute sa philosophie, le vieux duc René en conçut un violent dépit. Il paraît avoir écouté alors, dit son historien, les suggestions de quelques amis intéressés, qui l’engagèrent à se rejeter du côté du duc de Bourgogne, seul prince capable de la protéger, et à lui léguer le comté de Provence. On n’a pas la preuve formelle du fait ; mais Commines, ordinairement assez impartial, malgré l’intimité qui l’unissait à son maître, raconte qu’il en était question à l’époque de la bataille de Granson … Selon d’autres contemporains, ce projet en faveur de Charles de Bourgogne n’était qu’une appréhension ou même qu’une invention du roi. » Cette dernière interprétation est beaucoup plus vraisemblable ; autrement le comte du Maine n’aurait plus eu de raison de prendre fait et cause pour son oncle qui l’aurait dépossédé d’un legs important comme celui du comté de Provence, pour en faire bénéficier Charles le Téméraire. Les ducs de Bourgogne et de Bretagne, et les autres ennemis de Louis XI, ne pouvaient qu’être enchantés de voir entrer dans leur alliance contre le roi deux princes éminents comme le roi de Sicile et le comte du Maine, et, aux ouvertures que ceux-ci leur firent, ils ne purent que répondre favorablement sans leur demander de gages. Ils trouvèrent même qu’ils n’entraient pas assez avant dans leurs machinations. C’est sans doute par ce que Louis XI jugea de la même façon et qu’il ne considérait pas l’oncle et le neveu comme des adversaires bien dangereux, l’un trop vieux, l’autre jeune, il est vrai, mais de faible complexion et de santé débile, qu’il s’arrangea avec eux, moyennant certaines promesses. Toutefois, avant de traiter, pour frapper les esprits, et intimider le roi de Sicile, il le fit mettre en accusation au Parlement, le 6 mars 1475, le chargeant, entre autres, d’avoir impliqué le comte du Maine dans les conspirations du connétable de Saint-Pol, condamné récemment pour félonie. L’accord entre les deux rois fut signé le 25 mai suivant. (Voy. Lecoy de la Marche, le Roi René, 2 vol. in-8°, Paris, 1875 ; Louis XI et la succession de Provence, in-8°, tirage à part de la Revue des questions historiques.) On peut voir, en outre, dans le recueil des lettres missives de Louis XI, pour l’année 1476, différentes allusions aux intrigues et menées dévoilées dans les lettres d’abolition en faveur du duc de Calabre. (Edit. Vaësen, in-8°, t. VI, p. 45, 47, 62, etc.) ; ces dernières ont été publiées dans la table des documents mis au jour par M. le duc de La Trémoïlle, sous le titre : Archives d’un serviteur de Louis XI, Nantes, 1888, in-4°, p. 161 et suiv.

2 La ville d’Angers et le duché d’Anjou furent mis sous la main du roi peu de temps après qu’il eut connaissance du récent testament du roi René. Il nomma capitaine du château d’Angers Antoine de Sourches, sire de Maigné, que nous retrouverons ailleurs dans le présent volume, et afin de mieux assurer la garde de la forteresse, il lui adjoignit deux écuyers, les frères de Grany. Dès le mois de décembre 1474, avant l’établissement régulier de la municipalité, un maire et des échevins étaient en fonctions dans la ville et donnaient des ordres au nom du roi. (Lecoy de la Marche, le Roi René, etc., t. I, p. 395.)

3 Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, que Louis, en 1465, avait nommé connétable de France dans l’espoir de le détacher de la ligue des princes mécontents. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici les principaux événements auxquels prit part ce personnage et les nombreuses trahisons dont il se rendit coupable. On sait qu’elles lui valurent une condamnation à mort, prononcée par le Parlement, le 19 décembre 1475, et exécutée le même jour.

4 François de Luxembourg, 5e fils de Thibaud, seigneur de Fiennes, frère cadet du connétable, et de Philippe de Melun, était attaché à la personne et aux intérêts de Charles d’Anjou comte du Maine, duc de Calabre, dont il était cousin. Celui-ci, en reconnaissance, lui fit don par son testament (Marseille, 10 décembre 1481) de la vicomté de Martigues en Provence dont il porta désormais le titre. Ambassadeur en Angleterre (1488), gouverneur et grand sénéchal de Provence (1491), il accompagna Charles VIII à la conquête du royaume de Naples. (Le P. Anselme, Hist. généalogique, in-fol., t. III, p. 737.)

5 Hector de L’Écluse, qualifié simplement écuyer, ayant été au service de feu Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, connétable de France, obtint lui-même des lettres d’abolition, à Lyon, le 26 mars 1476, n.s., adressées au Parlement, au Prévôt de Paris et aux baillis de Vermandois et d’Amiens. Par commandement de son maître, il avait accompli plusieurs missions auprès de différents seigneurs du royaume. Les faits visés dans ces lettres se rapportent plus particulièrement aux machinations du connétable avec Charles le Téméraire, et sont présentés avec toute la précision désirable. (JJ. 204, n° 38, fol. 15 v°.) Hector de L’Écluse était seigneur du Mas en Bourbonnais et devint, au mois d’août 1477, écuyer d’écurie de Louis XI. (Cf. sur ce personnage une note de B. de Mandrot, Journal de Jean de Roger, in-8°, t. Ier, p. 363.)

6 Jean II le Bon, duc de Bourbonnais et d’Auvergne, né en 1426, fils aîné de Charles Ier auquel il succéda en 1456, était alors (1475) lieutenant général pour le roi dans le Lyonnais. Pendant la minorité de Charles VIII, bien qu’il eût été nommé connétable de France et lieutenant général du royaume, il prit part à la révolte du duc d’Orléans. Il mourut à Moulins, sans postérité légitime, le 1er avril 1488, et eut pour successeur dans le duché de Bourbon, son frère Pierre, connu jusque-là sous le nom de sire de Beaujeu.

7 Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, comte de Pardiac, etc., fils de Bernard, comte de Pardiac, et d’Eléonore de Bourbon, fille de Jacques, comte de la Marche. Convaincu d’intelligence, avec le roi d’Angleterre, le duc de Bourgogne et le connétable de Saint-Pol, il fut condamné à mort par arrêt du Parlement et décapité aux Halles de Paris, le 4 août 1477. (Cf. notre volume précédent, p. 276, note, et B. de Mandrot, Jacques d’Armagnac, duc de Nemours. Paris, 1890, in-8°, extrait de la Revue historique.)

8 Il sera question plus longuement de ce Renaud de Velort dans l’abolition octroyée, le 21 juin 1476, à Pierre de Dercé (Voy. ci-dessous.)

9 Gilbert de Grassay (ou plutôt Graçay), seigneur de Champeroux, chambellan de Louis XI, membre du conseil de Charles VIII, connu surtout pour le rôle important qu’il joua pendant la guerre de Bretagne, où il commanda une compagnie de cent hommes d’armes et tomba entre les mains des Bretons, le 3 mars 1488, lors de la capitulation de Vannes. (Le duc de La Trémoïlle, Correspondance de Charles VIII avec Louis II de La Trémoïlle, pendant la guerre de Bretagne en 1488 Paris, 1875, in-8°, passim ; A. Dupuy, Hist. de la réunion de la Bretagne à la France t. II, p. 65.)

10 Louis, bâtard du Maine, seigneur de Mézières-en-Brenne, Sainte-Néomaye, Thuré, etc., fils naturel de Charles Ier d’Anjou, comte du Maine, et, par conséquent, frère de Charles, duc de Calabre, sur lequel cf. notre précédent volume, t. XXXVIII des Archives historiques, p. 118, et note.

11 Jean, bâtard d’Harcourt, fils naturel de Jean VII d’Harcourt, et de Philippe Noëlle, avait été légitimé par lettres de 1470. Seigneur de Gironde en 1475, conseiller et premier chambellan de Charles II, comte du Maine, vicomte de Châtellerault, gouverneur pour ce prince et capitaine de Saint-Maixent, sénéchal du Maine en 1481, il laissa la terre de Gironde à Charlotte d’Argouges. (Le P. Anselme, Hist. généalogique, t. V, p. 134.) Charles d’Anjou, par son testament dans lequel il constituait le roi de France son héritier universel (10 déc. 1481) avait recommandé particulièrement le bâtard d’Harcourt à Louis XI qui en fit l’un de ses chambellans. Le 6 avril 1482, il mandait au Parlement de juger promptement un procès soutenu par ce personnage contre le sire de Richebourg, au sujet de la seigneurie d’Alluye donnée par le roi audit de Richebourg, malgré l’assignation précédemment faite par Charles d’Anjou au bâtard d’Harcourt, en garantie d’une somme de 10.000 écus d’or qu’il lui avait promise. (Vaësen, Lettres de Louis XI, t. IX, p. 196.)

12 Robert de Marbery (aliàs Marburi) était avec Hector de L’Écluze l’un des serviteurs et agents du connétable de Saint-Pol.

13 Sans doute de Verruyes ; nous n’avons rien trouvé de particulier relativement à ce personnage, mais précédemment nous avons donné une notice sur sa famille, possessionnée aux xive et xve siècles, dans la Gâtine (Arch. hist. du Poitou, t. XXI, p. 96.)

14 Sic, Corr. « moyennoient ».

15 Galéas-Marie Sforza, duc de Milan depuis le 8 mars 1466, assassiné, le 26 décembre 1476, dans l’église de Saint-Étienne de Milan.

16 Blanche Marie, fille de Galéas-Marie Sforza, duc de Milan, femme de Philibert Ier, duc de Savoie (1472-1482), se remaria depuis à l’empereur Maximilien Ier.

17 A cette date, l’évêque d’Évreux était Jean Héberge (1474-1479).

18 Jean de Daillon, seigneur du Lude, gouverneur du Dauphiné, chambellan du roi. (Cf. vol. précédent, p. 186, note.)

19 Philippe de Commines, seigneur d’Argenton.