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MDCXCVIII

Rémission donnée en faveur de Patrice Calendar, Écossais, serviteur de Cleriadus de Saint-Mauris, chambellan du roi, qui se rendant de Tours à la mer, sur l’ordre de son maître, avait tué dans une rixe à Lusignan, Mathurin Pelletier, parent et valet de l’hôtelière de la Tête noire, avec lequel il avait eu maille à partir.

  • B AN JJ. 209, n° 159, fol. 88
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 41, p. 470-475
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, Nous avoir receue l’umble supplicacion de Patris Calendar, natif d’Escosse, contenant que, puis ung mois ença ou environ, lui estant en la ville de Tours en la maison d’une nommée Jabonnarde, demourant audict Tours, en la compaignie de nostre amé et feal conseiller et chambellan Cleriadus de Sainct Moris1, son maistre, lequel Cleriadus l’envoya et ung nommé Estienne Bernard, page et serviteur de Raymonnet de Sainct Moris, son frere, à la mer, pour ce qu’ilz avoient esté mors d’un chien enragé, et leur ordonna y mener deux chiens qui pareillement avoient esté mors. Lesquelz se partirent de ladicte ville et allerent au giste à Chastellerault où ils couscherent une nuit. Et le lendemain allerent disner en l’ostellerie des Trois Pilliers à Poictiers, et d’illec se partirent après disner et trouverent en leur chemin ung marchant qui se disoit estre de Xaintes, et tous ensemble s’en allerent loger à l’enseigne de la Teste Noire en la basse ville de Lergnem2, [p. 471] auquel lieu ilz souppèrent. Et après qu’ilz eurent souppé et fait bonne chiere ensemble, ung nommé Mathurin Pelletier vint en chambre où ilz avoient souppé, pour les desservir ; et, tantost après qu’il fut arrivé en ladicte chambre, ledict Estienne Bernard deist audict Patris Calendar et autres qui estoient en ladicte chambre qu’ilz ne sonnassent mot. Et lors icellui Patris dist à ung barbier qui faisoit la barbe dudict marchant qu’il ne sonnast mot et qu’il les laissast faire. Lequel barbier dist qu’il ne diroit mot. Et incontinant ledict Estienne Bernard, qui avoit certaines clefs en ses mains, liées ensemble à une courroye de cuir, dist audict Mathurin Pelletier qu’il avoit trouvées lesdictes clefz, mais qu’il ne les povoit avoir de ladicte courroye, sans la coupper en desnoher ung noul qui estoit en icelle, et ledict Mathurin lui dist qu’il gaigeroit à lui qu’il les osteroit bien, sans coulper ou desnoher ladicte courroie. Et ledict Estienne Bernard dist qu’il mectroit à lui deux onzains que non feroit. Lequel Mathurin Pelletier fist responce qu’il n’avoit point d’argent. Et lors ledict Estienne Bernard dist audict Patris Calendar telles parolles ou semblables : « Patris, prestez lui deux onzains ! » Lequel Patris dist qu’il le vouloit bien, et incontinant les lui bailla. Et afin que ledict Patris ne se mefiast de lui, lui voult ledict Mathurin bailler son bonnet qu’il avoit en sa teste pour gaige desd. deux onzains, ce que ledict Patris ne voult faire, disant qu’il ne se meffioit point de lui et lui rendit sondict bonnet sans retenir de lui aucun gaige. Et après ce iceulx Estienne Bernard et Mathurin firent ensemble ladicte gaigeure desdictes clefs et courroye, et perdit ledict Mathurin lesd. deux onzains. Et après ce que ledict barbier s’en fust allé hors de ladicte chambre, ledict Patris dist audict Mathurin et autres qu’il ne congnoissoit point ledict Mathurin et qu’il vouloit savoir avecques l’ostesse dudict lieu si elle lui respondroit desd. deux onzains, ou si elle avoit point de congnoissance dudict Mathurin, pour ce que [p. 472] le lendemain il vouloit partir matin pour accomplir sondit voyage le plus tost qu’il pourroit. Lequel Patris, pour ce faire, se voult descendre en la chambre de ladicte hostesse par ung degré de bois estant en icelle hostellerie, sur lequel il trouva le vaslet dudit lieu, auquel il demanda si ladicte hostesse estoit couschée, lequel vaslet lui dist que oy. Et ce fait ledit Patris lui demanda si elle lui vouldroit bien respondre desd. deux onzains qu’il avoit prestez audit Mathurin. Lequel lui fist responce que sadicte maistresse lui avoit dit qu’elle en respondroit. Et après s’en plus en enquerir, s’en alla coucher. Et l’endemain au matin, après ce que lui et ledit Estienne Bernard furent housez et prestz de monter à cheval, ledit Patris appella ladicte hostesse pour venir compter avecques eulx ; laquelle vint en la chambre où ilz estoient. A laquelle incontinant qu’elle y fut arrivée, ledit Patris demanda c’elle lui rebatroit lesd. deux onzains, ainsi que lui avoit dit ledit varlet le soir devant ; auquel ladite hostesse fist responce que non et qu’elle n’en avoit jamais parlé audit varlet, et que ledit Mathurin estoit homme passant son chemin comme ledit Patris et que aucunement elle ne le congnoissoit point. Et oultre lui dist, en la presence desd. marchant et Estienne Bernard, que ledit Mathurin s’en estoit allé, dès trois heures après mynuit, le chemin de Sainct Maixant. Et ce fait, ledit Patris, doubtant que ladite hostesse ne lui dist verité, il la fist jurer et lever la main, en disant telles parolles ou semblables : « Par vostre foy, est-il point vostre parent ? » Et lors ladite hostesse lui fist responce que oy ung petit. Lequel Patris lui dist, comme il lui semble, qu’elle estoit bien povre femme de renoncier son parent pour deux onzains, en lui disant oultre que ledit Mathurin estoit en ladite hostellerie. Et a tant ladite hostesse se departit, sans autre chose lui dire. Et incontinant qu’elle s’en fut allée d’avecques ledit Patris de ladite chambre, le varlet dudit logis vint en icelle [p. 473] chambre, auquel ledit Patris dist qu’il estoit mauvais garson de lui avoir dit, le soir paravant, que ladicte hostesse lui respondroit desd. deux onzains, veu qu’elle ne les lui avoit voulu rabatre ne desduire sur son escot ; lequel varlet dist audit Patris qu’il cuidoit que ledit Mathurin les lui eust baillez. Lequel Patris menassa à batre ledit varlet pour les parolles qu’il lui avoit dictes, par quoy s’en alla de ladicte chambre pour soy latiter et mectre hors de la veue dudict Patris. Et ce fait ledict Patris descendit de ladicte chambre pour s’en aller, et tout droit s’en alla à l’estable où estoit son cheval ; lequel, si tost qu’il y fut venu, trouva adiré ung des etriers de la selle de sondict cheval. Et ce voiant, demanda à ladicte hostesse, qui estoit en la cuisine dudict logis, où estoit le varlet ; laquelle lui fist responce qu’elle ne congnoissoit ne savoit où il estoit et qu’il n’y avoit guères qu’elle estoit avecques elle (sic). Et incontinant ladicte hostesse et une de ses chamberieres appellerent à haulte voix ledict varlet, mais icellui varlet ne respondit point ; pour laquelle cause ladicte chamberiere, qui estoit en certaines galleries estans en ladicte hostellerie, appelloit tousjours ledict varlet, adreçant sa voix envers le fenil3 dudict logis. Et ce voyant, semble audict Patris que ledict varlet fut monté audict fenil, par quoy il s’en alla où estoit ladicte chamberiere ; à laquelle ledict Patris bailla son manteau qu’il avoit jà prins et mis sur lui pour s’en aller, disant à ladicte chamberiere qu’il s’en alloit ou fenil estance illec près, ce qu’il fist, cuidant y trouver ledict varlet ; mais il ne le y peut trouver, et à ceste cause se voult descendre pour soy en aller, et en descendant et ainsi qu’il fut au droit de certaine porte estant au cousté dudict fenil, sur main senestre, vit au coing de ladicte porte ledict Mathurin le Pelletier, qui estoit tout debout. Et incontinant que ledict Patrix l’apperceut, lui dist : « Estes vous là, mon [p. 474] mignon ! Baillez moy l’argent que je vous presté assoir ; car par Dieu vous le paieraiz (sic). » Auquel ledict Mathurin dist en soy descendant dudict lieu où il estoit au bas de ladicte hostellerie : « Je feroy voz fievres quartaines ! Je ne vous doy rien ne ne vous baillee (sic) riens, et se vous vous approuchez de moy je vous donneré de la dague. » Et lors ledict Patris, voyant que ledict Mathurin avoit ladicte dague dont il l’avoit menassé, doubtant sa personne, s’en alla et descendi en ladicte chambre où il avoit cousché, prandre ung baston pour soy deffendre dudict Mathurin, en laquelle chambre il trouva ung braquemart ou espée, et il descendi (sic) en courant de ladicte chambre après ledict Mathurin ; et quant il fut au bas de ladicte maison, il trouva en son chemin ledict Estienne, auquel il demanda où estoit icellui Mathurin, lequel lui dist qu’il estoit illecques devant en la rue où il s’enfuyoit tant qu’il pouoit. Et lors ledict Patris, sans autre chose dire, se print à courir derechief après ledict Mathurin aiant ladicte espée avec le fourreau en sa main. Et quant il fut à deux brasses ou environ loing de ladicte hostellerie, tira ladicte espée hors dudict fourreau en courant ; et ainsi qu’il fut près dudict Mathurin, ladicte espée toute nue, dist à icellui Mathurin qu’il le paiast ; lequel se retourna devers lui, aiant ladicte dague en sa main hors du fourreau, en lui disant : « Se tu approuches, je te toucheré bien ! » Et lors ledict Patris le frappa de ladicte espée sur le bras, dont il se print à crier, et se aproucha dudict Patris, le voulant frapper d’estoc de ladicte dague. Lequel Patris fist ung pas en arriere et donna ung estoc par le cousté de ladicte espée audict Mathurin, duquel coup il est allé de vie au trespas, comme l’en dit. Pour lesquelz cas, crimes et delitz, ledict Patris a esté prins et constitué prisonnier en noz prisons de Lezignem et Poictiers où il est encores miserablement detenu. Et combien qu’il n’ait fait ne commis lesd. cas, deliz et crime que par les menasses dudict Mathurin [p. 475] et par sa simplesse et ignorance, et qu’il ait tousjours bien et honnestement vescu, sans avoir esté actaint ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, neantmoins il doubte que l’en vueille proceder contre lui et ses biens par rigueur de justice, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, etc. Pour quoy Nous, etc., voulans, etc., audict Patris Calendar avons quicté, remis et pardonné le fait et cas dessusdict, avecques toute peine, etc., en mectant au neant, etc. Et l’avons restitué, etc., satisfacion, etc. Et imposons, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou et à tous, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à la commanderie de Praisles, ou mois de novembre, l’an de grace mil cccc. quatre vings et ung, et de nostre regne le vingt et ungiesme.

Ainsi signé : Par le roy, le conte de Marle4, mareschal de France, le sire d’Ussé5 et autres presens. Gassault. — Visa. Contentor. Texier.


1 Cleriadus de Saint-Moris était à cette époque capitaine de Beauvoir-sur-Mer et recevait de Louis XI une pension de 600 livres par an, pension qui lui fut diminuée de 63 livres pour l’année commencée en octobre 1480. (Bibl. nat., ms. fr. 2.900, fol. 9 ; 2.906, fol. 9 ; J. Vaësen, Lettres de Louis XI, t. VIII, p. 122.) Cette réduction fut peut-être le résultat du mécontentement qu’avait éprouvé le roi d’une révolte des habitants de Beauvoir-sur-Mer, qui justement avait éclaté au mois d’octobre 1480, à l’instigation d’un frère Bernardin nommé Jean Maillou, au sujet d’un supplément de deux sous par livre pour trois ans, à eux imposé en sus du quatrième denier jusque-là payé sur le sel. (B. de Mandrot, Ymbert de Baternay, p. 95 à 97 ; J. Vaisen, op. cit., t. VIII, p. 339.)

2 Sic. Corr. « Lezignem » pour « Lusignan ».

3 Fenil, fœnile, ou fenière, grenier à foin.

4 Pierre de Rohan, sr de Gyé, comte de Merles (Voy. ci-dessus p. 249, note).

5 M. Carré de Busserolle dit que la terre d’Ussé appartenait en 1477 à Antoine du Bueil, fils de Jean V, comte de Sancerre, du chef de sa mère Jeanne de Montejan, et qui la vendit le 12 novembre en 1485. (Dict. géogr. hist. d’Indre-et-Loire, t. VI, p. 338.) Le personnage désigné ici sous ce titre de sr d’Ussé serait donc Antoine de Bueil. Cependant nous avons vu que Jacques d’Espinay, qualifié sr de Segré, souscrivit plusieurs actes publiés dans le présent volume (p. 111, note, et p. 67.207 du ms.) ; il pourrait se faire qu’il s’agît encore de lui en cet endroit et que l’acquisition d’Ussé soit antérieure à la date imprimée dans le Dict. d’Indre-et-Loire.