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DCLXI

Don à Jean Harpedenne, écuyer, de tous les biens que son oncle Thomelin Harpedenne, originaire d’Angleterre, avait possédés en Poitou, en Saintonge et en toutes autres parties du royaume, pendant l’occupation anglaise, et restitution au même des héritages confisqués sur son père Jean Harpedenne, chevalier, demeuré au service du roi d’Angleterre.

  • B AN JJ. 122, n° 95, fol. 49
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 203-207
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que comme ou temps que la duchié de Guyenne estoit en l’obeissance de noz ennemis d’Angleterre, Thomelin Harpedanne, né d’Angleterre, oncle de nostre amé et feal Jehan Harpedanne1, escuier, tenist et possidast à certains tiltres ès pays de Poitou, de Xantonge et d’ailleurs en nostre royaume, plusieurs herbergemens, terres, rentes, possessions et biens, tant en fiefs comme en censive, lequel Thomelin [p. 204]est trespassez en l’obeissance de noz ennemis ; par quoy tous les heritaiges et biens qu’il tenoit furent acquis à nostre très chier seigneur et pere, dont Dieux ait l’ame, comme forfaiz et confisquiez, et il soit ainsi que le dit Jehan, son nepveu, dès le temps de son enfance ait tousjours demouré en nostre obeissance et de nostre dit feu seigneur et pere, et ait loyalment servy nostre dit seigneur et nous en noz [p. 205] guerres, en la compaignie de nostre très chier et feal cousin le sire de Cliçon, nostre connestable, son oncle, et est bien ordennez de nous grandement servir ou temps advenir. Nous, considerans les services dessus diz et pour contemplacion de nostre dit cousin et connestable, et aussi attendu la prochaineté du sanc et lignage d’entre les diz feu Thomelin et le dit Jehan, son nepveu, de nostre grace especial, plaine [p. 206] puissance et auctorité royal, ycellui Jehan avons restitué et restituons, par la teneur de ces presentes, à toute la succession et generalment à tous les heritaiges, terres, biens, droiz et possessions quelconques que tenoit le dit Thomelin, en son vivant, ès pays dessus diz. Et d’abondant tous iceulx heritaiges et biens, et aussi tous les heritaiges et biens que tenoit ès diz pays Jehan Harpedenne, chevalier, pere du dit [p. 207] escuier, le quel chevalier, né d’Angleterre, a tenu et tient la partie de noz ennemis, de quelque valeur que soient iceulx biens, avons donné et donnons par ces presentes au dit escuier, pour lui, ses hoirs, successeurs et ayans cause, estans et qui seront en nostre obeissance, non obstant quelconques dons autrefoiz faiz des terres et biens dessus diz à autres personnes quelconques. Si donnons en mandement à noz amez et feaulz gens de nostre Parlement, aux seneschaulx d’Angolesme et de Xantonge, au gouverneur de nostre ville de la Rochelle, et à leurs lieuxtenans, et à tous noz autres justiciers et officiers, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que des dictes restitucion et donnacion facent et laissent joir et user le dit Jehan, ses hoirs, successeurs et ayans cause paisiblement, sanz aucun empeschement. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre à ces presentes nostre seel ordenné en l’absence du grant. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, l’an de grace míl ccc. iiiixx et deux, et de nostre regne le tiers, ou mois de fevrier.

Par le roy, à la relacion de messeigneurs les ducs de Berry et de Bourgongne. J. Tabari.


1 On trouve ce nom écrit tantôt Harpeden, Harpedane, tantôt d’Harpedenne ou d’Harpedaine ; c’est celui d’une maison anglaise, dont la branche mentionnée dans cette donation s’établit en Poitou, lors de l’occupation qui suivit le traité de Brétigny, et y resta fixée après la soumission du pays à Charles V, grâce à ce que Jean Harpedenne le jeune, élevé par son oncle Olivier de Clisson, s’attacha au service de la France. Jean Ier Harpedenne possédait le manoir de Raine dans le Devonshire. Jean Chandos qu’il accompagnait, lorsque le lieutenant d’Édouard III prit possession du Poitou et de la Saintonge, le créa, le 1er octobre 1361, châtelain de Fontenay-le-Comte en remplacement de Perreau Courin, chevalier, qui y commandait pour le roi de France. Il fut aussi, après Baudoin de Fréville, sénéchal de Saintonge, titre qu’il prend avec celui de capitaine de Fontenay dans plusieurs actes publiés par M. Benjamin Fillon, datés des 14 et 27 novembre 1369, et du 25 septembre 1371. (Histoire de Fontenay-le-Comte, et Jean Chandos, connétable d’Aquitaine. Fontenay, 1856, p. 30-34). Le premier de ces actes est un mandement de « Jehan de Harpedanne, chevalier, seneschal de Saintonge, chastellain et capitaine des chastel, ville et chastellenie de Fontenay pour le prince de Galles », ordonnant aux habitants de onze paroisses voisines de faire le guet au château, les réparations des douves des fortifications et les charrois nécessaires pour ces travaux. Les services militaires que Jean Harpedenne rendit à Édouard III et au prince de Galles sont rapportés par Froissart. Le chroniqueur vante particulièrement son empressement à se porter au secours du comte de Pembrocke et ses efforts courageux et désespérés, lors du combat naval livré le 23 juin 1372 devant la Rochelle. Fait prisonnier avec Pembrocke, Guichard d’Angle, etc., et emmené en Espagne, il ne recouvra sa liberté que dans les premiers mois de l’année 1375. (Edit. S. Luce, t. VIII, p. xxiv et s., 36 et s., 165-166). Jean Ier Harpedenne fut créé sénéchal d’Aquitaine, le 1er mars 1384 (a.s.), selon M. Kervyn de Lettenhove (édit. de Froissart, t. XXI, p. 526). On peut voir en cet endroit le résumé des principaux événements auxquels ce personnage fut mêlé, pendant les dernières années de sa vie. Il est mentionné pour la dernière fois en avril ou en mai 1387, lorsqu’il se rendit à Bayonne au devant du duc de Lancastre qui revenait de son expédition en Galice et dans le royaume de Léon. (Id., t. XIII, p. 96). Sa mort dut arriver deux ans après au plus tard, car on trouve sa veuve remariée dès avant le mois de juin 1390. (Voy. notre t. IV, p. 402, note).

Jean Ier Harpedenne avait épousé, sans doute après qu’Olivier IV de Clisson eut été remis en possession des biens confisqués de son père et de sa mère, c’est-à-dire postérieurement à septembre 1361 (voy. notre t. III, p. 324), Jeanne, la plus jeune fille d’Olivier III de Clisson et de Jeanne de Belleville. Il en eut un fils, Jean, en faveur de qui est faite la présente donation. Jeanne de Clisson mourut jeune, on ne sait exactement en quelle année, mais avant 1372 ; car à cette époque son mari avait déjà épousé en secondes noces Catherine Sénéchal de Mortemer. (S. Luce, édit. de Froissart, t. VIII, p. xlx, note 3, p. l, note 2). Elle était fille de Guy Sénéchal, seigneur de Mortemer, et de Radegonde Béchet, dont il a été question dans notre précédent volume. (Voy. p. 58 note, 283 note, 365, 402 et note), et que nous retrouverons ci-dessous dans un acte de septembre 1390. On y voit qu’elle n’avait que quatorze ans, lorsqu’elle épousa Jean Harpedenne (n° DCCXLVI). C’est à elle que Froissart attribue la résistance à Du Guesclin, lorsque le connétable vint, le 9 octobre 1372, pour s’emparer de Fontenay-le-Comte, où elle résidait en l’absence de son mari, prisonnier en Espagne (t. IV, p. 283, note). Elle rejoignit celui-ci, après la soumission complète du Poitou, l’accompagna en Guyenne et en Angleterre, et ne revint en France qu’après sa mort. Alors elle conclut un second mariage avec un chevalier de la maison du duc de Berry, nommé Étienne d’Aventois, et obtint la restitution de ses terres de Poitou. Quant à Thomelin, le frère de Jean Ier et l’oncle de Jean II Harpedenne, nous n’avons trouvé aucun autre renseignement sur son compte.

Jean II Harpedenne naquit à Fontenay, durant que son père en était gouverneur, et fut baptisé en l’église Notre-Dame de cette ville ; ce fut sans doute en souvenir de cet évènement qu’il fit une donation à cette église, à la condition d’y célébrer une messe le samedi de chaque semaine entre soleil levant et heure de prime. (Beauchet-Filleau, Dict. des familles de l’anc. Poitou, t. II, p. 206. Cet ouvrage fournit quelques renseignements, mais la plupart sont erronés ; la biographie du père et du fils y est constamment confondue). Jean II devait avoir environ vingt ans à l’époque où le roi lui fit don des biens de son oncle, Thomelin. Grâce à son autre oncle, le connétable de Clisson, il s’éleva rapidement à une haute situation. Le 1er décembre 1386, il servait à Arras dans l’armée destinée à envahir l’Angleterre. Il était chambellan de Charles VI en 1388 et reçut de ce prince un don de 100 francs, le 13 octobre de cette année. Le duc de Touraine le gratifia d’une somme de 1200 livres, par lettres du 12 août 1389. (Actes analysés dans le dossier Harpedenne, au Cabinet des titres de la Bibl. nat.). Froissart le cite cette année-là parmi les grands personnages qui assistèrent à l’entrée à Paris de la reine Isabeau de Bavière. (Edit. Kervyn de Lettenhoye, t. XIV, p. 21). Suivant le même chroniqueur, Jean Harpedenne prit part en 1390 à l’expédition du duc de Bourbon dans les États barbaresques et assista au siège d’Afrique ou Méhédia en Tunisie. (Id., t. XIV, p. 224, 245). L’année suivante, il touchait une pension annuelle de 1,000 fr. sur le trésor royal (acte du 4 avril 1391) et exerçait l’office de sénéchal de Saintonge, suivant des lettres émanées de lui en cette qualité et datées du 26 avril. (JJ. 140, n° 293, fol. 342). Dans cet acte il s’intitule aussi seigneur de Montendre et chambellan du roi. Cependant c’est en janvier 1397 seulement que des lettres de Charles VI portent donation en sa faveur de la ville et seigneurie de Montendre (JJ. 153, n° 77, fol. 37), confisquées sur le Soudit de Latrau. (Voy. notre t. IV, p. 417, note). On trouve ensuite Jean Harpedenne guerroyant en Guyenne sous Enguerrand de Coucy, pendant les années 1395 et 1396. A cette dernière date il est dit sénéchal de Périgord, office qu’il exerçait encore le 23 mars 1399 n.s., suivant des lettres de ce jour, lui accordant de la part du roi un don de 1,000 livres tournois, en récompense de ses services. (Dossier du Cabinet des titres).

Dans le Grand-Gauthier figure un aveu de quelques petits domaines rendus par Jean Harpedenne au duc de Berry, comme comte de Poitou, le 10 janvier 1402. (Copie aux Arch. nat., R1* 2172, p. 1074). Après la mort du connétable de Clisson, on procéda au partage de ses biens, ou plutôt on refit le partage de la succession d’Olivier III et de Jeanne de Belleville, entre les deux filles d’Olivier IV, Béatrix de Clisson, mariée à Alain vicomte de Rohan, et Marguerite de Clisson, comtesse de Penthièvre et vicomtesse de Limoges, d’une part, et son neveu Jean Harpedenne, fils de Jeanne de Clisson, d’autre part. Ce dernier eut les terres de Belleville, de Montaigu, de Vendrines et de la Lande. Le vicomte de Rohan et la comtesse de Penthièvre eurent le reste, comprenant les seigneuries de Clisson, de Palluau, de la Garnache, de Châteaumur, des Deffens, du Fief-l’Évêque et de leurs appartenances. Cet acte, daté du 5 mai 1408, se trouve dans la collect. de Dom Fonteneau, t. XXVI, p. 335. Le 10 octobre 1415, François de Montberon, vicomte d’Aunay, et Louise de Clermont, sa femme, vendirent à Jean Harpedenne les terres de Cosnac et de Mirambeau moyennant 8000 écus d’or. Il était encore seigneur de Saint-Hilaire-le-Vouhis et de Mareuil et soutenait un procès, le 4 août 1418, contre Georges de la Trémoïlle, au sujet de la justice de ces terres. (Arch. nat., X1a 4792, fol. 59 v°, 61). Il intervint à la même époque comme seigneur (1er août et 15 septembre 1418) dans une contestation jugée au Parlement, entre les habitants de la ville de Montaigu, et ceux de la châtellenie au sujet du guet. (Id. ibid., fol. 57 et 82). Enfin Jean II Harpedenne, comme seigneur de Belleville et de Montaigu, eut un différend grave avec Maurice de Volvire, et ensuite avec Nicolas de Volvire, son frère et héritier, seigneur de Rocheservière et de Ruffec. Il s’agissait d’une véritable guerre privée ; les partisans de Volvire avaient fait le siège de Montaigu et de Vendrines, comme on l’apprend par des plaidoiries datées des 14 juillet et 16 août 1429. (X2a 18, fol. 164 v° et 172 v°). Nous aurons sans doute occasion de revenir sur cette affaire et sur d’autres intéressant la biographie de Jean II. Il fit son testament le 13 juin 1434, d’après MM. Beauchet-Filleau ; il s’était marié deux fois, la première avec Jeanne de Mussidan, qui le rendit père de Jean III ; la seconde avec Jeanne de Penthièvre. Ce dernier nom me paraît fort suspect et je croirais plus volontiers Besly, disant que Jeanne d’Aspremont, héritière de Poiroux, de Rié et d’Aizenay, veuve de Savary de Vivonne, fit, en 1404, de Jean Harpedenne son second mari. (Lettres de Jean Besly, publ. par Apollin Briquet, t. IX des Arch. hist. du Poitou, p. 72).