[p. 175]

DCCXCVI

Rémission accordée à Pierre Letart, de Nieul-le-Dolant, pour un meurtre commis lors d'un conflit qui se produisit au pèlerinage de Sainte-Flaive, entre les paroissiens de Saint-Georges de Pointindoux et ceux de Nieul-le-Dolant.

  • B AN JJ. 146, n° 208, fol. 108
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p. 175-178
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, de la partie des amis charnelz de Pierre Le Tart, povre laboureur, marié, demourant à Nyeuil le Doulant ou païs de Poitou, nous avoir esté humblement exposé que comme icellui Pierre Le Tart et aucuns autres parroissiens dudit lieu de Nyeuil avec leur curé, meuz de devocion et en l'onneur et reverence de madame saincte Flesve, le dimenche après la Trinité derrenierement passée, feussent alez en procession et pelerinage à l'esglise de Saincte Flesve1 distant du dit lieu de Nyeuil d'une lieue ou environ, et eulx arrivez à la dicte esglise firent leur offerte et oyrent la messe bien et devotement comme bons crestiens doivent faire, et ce fait, yssirent dehors de la dicte esglise et s'en [p. 176] alerent chieux le curé d'icelle où ilz beurent et mengerent, et après s'en yssyrent ; et ou cimitiere d'ilec ou environ, encontrerent aucuns des parroissiens de Saint George de Petindoux, lesquelz avoient un cheval malet2 que demennoit un appelle Fouschier, et aussi avoient un autre cheval malet yceulx parroissiens de Nyeuil, que Guillaume Giraut demennoit, pour eulx esbatre. De quoy iceulx de Saint George furent corrouciez; car, quant iceulx de Nyeuil s'en alerent d'ilec en la dicte ville de Saincte Flesve, en l'ostel d'un appelle Bedoit, aucuns d'iceulx de Saint George les poursivirent et deux ou trois d'eulx entrèrent ou dit hostel. Et pour doubte de riote ou débat, le curé du dit lieu de Nyeuil3 et un appelle Laurens Letart les mistrent hors du dit hostel, disans qu'ilz ne vouloient point leur compaignie et fremerent l'uis, dont ils ne tindrent compte et se venterent et distrent que les diz [de] Nyeuil seroient batuz. Et quant iceulx de Nyeuil eurent beu et mengé, sanz penser en nul mal, ilz entendirent que les aucuns d'iceulx parroissiens de Saint George les menaçoient et faisoient bastons pour les batre et villener; entre les quelx de Nyeuil estoit ledit Pierre Letart, le quel et aucuns autres d'eulx, pour obvier, se mestier feust, à la malice des diz de Saint George, pristrent chacun un baston et se mistrent au chemin, pour eulx en aler bien et paisiblement, avec leur dit curé, à leur dicte parroisse. Mais tantost qu'ilz feurent auprès de l'issue de la dicte ville de Saincte Flesve, un homme d'iceulx de Saint George vint par devers le dit Laurens Letart, auquel icellui homme [p. 177] de Saint George demanda où ilz aloient, le quel lui dist qu'ilz aloient à leur dicte parroisse de Nyeuil. Et lors icellui homme de Saint George respondi qu'ilz s'en yroient pas ainsi et se voult prendre au dit Laurens, lequel y resista à son povoir. Et ce fait, environ une fontaine et une croix au dehors de la dicte ville de Saincte Flesve, plusieurs des diz de Saint George se assemblerent ensemble et, par maniere de guet apensé ou autrement, saillirent dehors d'un vergier ou maison du costé devers la mer et coururent sus au dit curé de Nyeuil et plusieurs de ses diz parroissiens ; et iceulx frapperent par plusieurs foiz d'iceulx bastons ; à quoy aucuns d'iceulx de Nyeuil se défendirent, en eulx alant tous diz leur chemin pour doubte des dessus nommez, disans telz moz aus diz de Saint George : « Seigneurs, laissiez nous aler, nous ne vous demandons riens. » En laquelle place et débat le dit Pierre Letart fu feru et blecié par la jambe par aucun estant ilec qu'il necongnoissoit pas, dont il fut moult courroucié par ce qu'il n'avoit forfait à aucun. Entre les quelx parroissiens de Saint George estoit un appelle Michau Boquillon, lequel le dit Pierre Letart, ainsi courroucié et meu de chaude cole et par temptacion de l'ennemy, encontra ilec presentement et le frappa d'un baston un cop seulement parmi la teste. Pour occasion duquel cop, icellui Micheau Boquillon chei tantost à terre en arriere, et depuis, IIII jours ou environ après, est alez de vie à trespassement. Pour la quelle chose le dit Pierre Letart, doublant rigueur de justice, s'est absentez du païs et n'y oseroit jamais retourner, ainçois en seroit du tout desert, se par nous ne lui estoit sur ce pourveu de nostre grace. Supplians humblement les diz exposans que, comme en touz autres cas le dit Pierre Letart se soit bien et deuement porté, sanz estre reprins d'aucun vice ou blasme, mais ait esté et soit homme de bonne vie, fame et renommée, bien amé au pais, et ne soit mie ribeur, yvrongne ne dissipeur de biens, ne oncques mais n'avoit veu ne [p. 178] congneu icellui Micheau Boquillon, ne eu paroles, discort ne debat ensemble, ne ne cuidoit mie tellement navrer le dit Micheau, ainçois en fu très courroucié, nous sur ce lui vueillons impartir nostre grace. Pour quoy nous, ces choses considérées, etc., au dit Pierre Letart ou cas dessus dit avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d'Anjou, de Poitou et du Maine, et à touz noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou mois d'aoust l'an de grace mil CCC IIIIXX et XIIII, et de nostre regne le quatorziesme.
Par le roy, à la relacion du conseil. Mercier.


1 II y avait à Sainte-Flaive une église paroissiale sous le patronage de la sainte du même nom, une chapelle sous le vocable de sainte Radegonde, dont le chapelain était nommé par l'évêque, une confrérie de Saint-Nicolas, et un prieuré simple, à la collation de l'abbé de Montierneuf de Poitiers. (L'abbé E. Aillery, Pouillé de l'évêché de Luçon, 1860, in-4°, n° 116.)
2 Cheval malet. Du Cange, Glossaire, traduit malet par mallier, qui porte les malles. M. F. Godefroy, qui renvoie précisément et seulement à ce texte du Trésor des chartes, explique malet par brancardier, sans entrer dans aucune explication. (Dict. de l'ancienne langue française.)
3 Le successeur de Jean Bastart, curé de Nieul, mort en mars 1387, des suites d'un coup de couteau que lui avait porté son beau-frère. (Voy. le vol. précédent, p. 325-327.)