III

Les rémissions octroyées à des gentilshommes sont nombreuses dans ce volume. On doit constater qu'elles visent généralement des faits graves de violence contre les personnes. Sur la liste qu'on en pourrait dresser, figurent à côté des plus grands noms du pays, beaucoup de représentants de la moyenne et de la petite noblesse. Les services militaires rendus par eux et leurs relations de famille leur permettaient souvent de trouver des protecteurs puissants à la cour ou dans le conseil, de sorte que des cas qui auraient été jugés irrémissibles pour d'autres, leur étaient pardonnés sans difficulté. Les lettres font quelquefois mention de ces intermédiaires. Malgré la variété des circonstances relatées, les affaires criminelles sont souvent identiques pour le fond. Afin d'éviter des répétitions fréquentes, nous n'insisterons que sur quatre ou cinq exemples, dont l'intérêt réside autant dans les faits en eux-mêmes que dans la qualité de leurs auteurs, et nous en indiquerons quelques autres qui sont instructifs à des points de vue spéciaux.

La première rémission que nous allons examiner présente ceci de particulier que le début, fort développé, est un long réquisitoire contre la victime. Le crime est raconté beaucoup plus brièvement que les méfaits, vrais ou supposés, du défunt, contrairement aux autres lettres, où le fait principal est relaté avec détails et les circonstances atténuantes présentées ensuite assez sommairement. Il s'agit d'un meurtre avec guet-apens, commis par Hector de Marconnay, Jean de Saint-Germain et Perrinet de Flet sur la personne de Jean Gressart, fermier des aides royales à Sauves et paroisses voisines. Celui-ci traitait durement les pauvres gens, exigeait d'eux plus qu'ils ne devaient, les faisait saisir ou leur suscitait des procès sans raison ; il appliquait à son profit le produit de ses exactions et brutalisait ceux qui voulaient lui faire des représentations. Guy de la Rochefaton et Antoine de Vernou, cousin d'Hector, dont les sujets avaient eu à souffrir particulièrement de ces vexations, lui ayant reproché sa conduite, il leur répondit par des injures et des voies de fait. Les hommes d'Hector de Marconnay, qu'il détestait et menaçait journellement, étaient encore plus maltraités. Tel est le résumé des griefs portés à la charge de Jean Gressart ; ils tiennent trois pages du texte et paraissent fort exagérés. Il est peu vraisemblable qu'un simple fermier des aides s'attaquât aussi ouvertement à toute la noblesse du pays. Quoi qu'il en soit, la vengeance fut cruelle et indigne de gentilshommes. Hector de Marconnay s'associa Jean de Saint-Germain et Perrinet de Flet, épia Gressart et, ayant appris un matin que celui-ci se rendrait seul de Sauves à Loudun, les trois complices allèrent tout armés se mettre en embuscade sur la route ; quand leur ennemi fut à portée, ils se précipitèrent sur lui et le massacrèrent. Gressart était à cause de son office placé sous la sauvegarde royale. Les meurtriers de plus étaient accusés de lui avoir dérobé l'argent qu'il portait sur lui. Les élus de Loudun les firent ajourner, quoique Marconnay se prétendit clerc et justiciable seulement de l'évêque de Poitiers, et le procureur général des aides fit lancer contre eux un mandat d'arrestation, ordonnant qu'ils seraient conduits prisonniers au Châtelet de Paris. Les trois complices cependant faisaient agir les influences dont ils disposaient, et ils obtinrent leur rémission, sous cette seule réserve de faire célébrer un anniversaire pour le repos de l'âme de Jean Gressart (p. 49-54).

Thibaut Portier, seigneur de Magné et de Sainte-Néomaye, alors valet de chambre du duc de Berry et depuis son sénéchal en Poitou, agit de la même façon à l'égard d'un sergent à verge au Châtelet, dont il avait eu autrefois à se plaindre. Etant sous le coup d'un emprisonnement, il s'était réfugié dans une église, et le sergent avait usé de ruse pour l'en faire sortir. Cette humiliante aventure lui avait laissé un vif ressentiment. Aussi, à son passage à Paris, au retour de la guerre de Flandre, il dit à son frère et à deux de ses serviteurs : « Si vous ne me vengez de ce ribaut, jamais plus vous ne mangerez de mon pain ni ne boirez de mon vin. » Ceux-ci se mirent aux aguets, à l'entrée de la nuit, près de la demeure du sergent, et le rouèrent de coups d'épées et de bâtons, dont il mourut au bout de huit jours. Par l'entremise de son maître, Thibaut Portier se fit délivrer des lettres de grâce, mais on y mit la condition qu'il payerait à l'Hôtel-Dieu la somme considérable de cinq cents francs d'or (p. 21-24).

Ce fut aussi pour un assassinat aggravé de guet-apens que Jacques de Saint-Gelais, Jean Rogre, écuyer, et Jean Gaschier, dit Jacquart, durent avoir recours à la miséricorde royale. Nous avons dit combien ils éprouvèrent de difficultés à faire entériner leurs lettres. Mathurin de Gascougnolles, leur victime, était le représentant de la branche cadette d'une ancienne famille de chevalerie des environs de Melle. Son père Jean, seigneur de la Taillée, et son frère cadet étaient frappés de démence, le premier par suite de blessures reçues à la guerre ; Mathurin était leur curateur. C'était un homme d'une grande force et d'un tempérament violent, qui avait eu lui-même à se faire pardonner un meurtre (p. 243). Saint-Gelais et ses complices n'avaient pas voulu avouer les motifs de la haine qu'ils avaient conçue contre lui. Ayant résolu de se débarrasser de leur ennemi, ils allèrent tous trois, accompagnés d'un valet et garnis de cottes de fer et d'armes offensives, se mettre en embuscade, non loin de son hôtel de la Taillée, près d'un moulin sur les bords de la Sèvre, où ils savaient qu'il devait passer au point du jour. Quoique surpris par une attaque aussi brusque qu'imprévue, Gascougnolles tint tête à ses quatre adversaires et se défendit bravement. Prenant son épée à deux mains, il en porta un coup qui trancha le gourdin dont le menaçait l'un des assaillants et blessa grièvement le valet; mais il finit par succomber sous le nombre. Percé de plusieurs coups, il tomba. Les meurtriers alors purent le désarmer et ils le précipitèrent dans la rivière. On leur reprochait en plus de s'être débarrassé en le noyant de leur valet, que ses blessures empêchaient de fuir et qui aurait pu les trahir, et d'avoir volé à Mathurin de Gascougnolles sept cents écus qu'il portait à Saint-Maixent, pour les mettre en sûreté ; mais cette dernière accusation ne put être prouvée. La rémission leur fut accordée en considération des services qu'ils avaient rendus au roi dans ses guerres, et surtout grâce à de puissants appuis (p. 413-418). Car Jacques de Saint-Gelais n'était guère recommandable. Quelques années auparavant, il s'était rendu coupable d'un faux, pour se faire mettre en possession de toute la terre de Villiers-en-Plaine, dont une partie seulement avait été donnée à son père (p. 336-337).

La violence exercée par Robert de Salles, seigneur de Chantemerlière, aidé de ses beaux-frères, sur un jeune écuyer, Mérigot de Magné, son familier, est bien caractéristique aussi des mœurs barbares de l'époque. Robert, d'un naturel très jaloux, soupçonnait sa femme de le tromper avec Mérigot. Bien qu'il prétendît les avoir surpris en flagrant délit, le fait ne paraît pas absolument démontré. Toutefois le mari résolut de venger son honneur d'une façon terrible. Il raconta son affront à Giraud et Aimery d'Orfeuille, frères de l'épouse infidèle, et les décida sans peine à lui prêter leur concours. Extrêmement curieux et pittoresques sont les détails de la poursuite du fugitif à travers les forêts, l'arrivée au matin des trois justiciers à l'hôtel de Magné, la capture de Mérigot encore couché, les supplications de sa mère, et par-dessus tout le récit, avec sa crudité d'expressions, du supplice qu'ils infligèrent au malheureux jeune homme, une mutilation honteuse. Les lettres octroyées aux coupables rappellent les services militaires rendus par Ponce de Salles, père de Robert, par Olivon d'Orfeuille, frère aîné de Giraud et Aimery, tué au siège de Taillebourg, etc. (p. 367-372, 385-389). Le courage déployé par ces chevaliers dans les combats est digne d'éloge; mais il ne saurait cependant les absoudre de tous les excès auxquels ils se livraient dans les loisirs de la paix.

Mentionnons encore les meurtres perpétrés par Lancelot Rouault sur la personne de Jean de Bègues, qu'il accusait d'entretenir des relations adultères avec sa mère (p. 72) ; par Charles de Saint-Gelais, sur un homme qui lui avait donné un démenti (p. 390); par Philippe de La Forêt sur Pierre Cotet, qui avait insulté sa parente Jeanne Frétart, femme de Jean d'Armessange (p. 401) ; et tant d'autres homicides dont se rendirent coupables André Béry, seigneur de la Touchotière, Héliot de la Vergne, que la duchesse de Berry, à l'occasion de son entrée à Maillezais, délivra de la prison ; Jean Prévost, écuyer, maître d'hôtel d'Etienne de Loypeau, évêque de Luçon ; Macé Marciron, Colin et Jean de La Forêt, etc. Le récit de l'enlèvement de Catherine Royrand est plein aussi de détails intéressants; on ne voit pas bien cependant pour quels motifs Jean Buor se livra à cette violence et y compromit plusieurs de ses parents. Catherine était une veuve, âgée de quarante ans, mère d'un grand fils du premier lit; elle n'avait pas refusé la demande en mariage de Buor, seulement elle l'avait prié d'attendre. L'alliance était agréable à toute la famille ; rien ne s'opposait à ce que les choses se passassent régulièrement. Il faut donc supposer ou que la requête en grâce ne contient pas toute la vérité, ou que Jean Buor n'avait été poussé que par un amour excessif de la mise en scène (p. 309-312).

D'autres chefs d'accusation visés par les lettres données en faveur de gentilshommes poitevins sont la falsification de titres, la subornation de témoins ou le faux témoignage et le vol. Pierre Raveau, ancien capitaine d'Esnandes, ayant fait usage contre Guillaume de Vivonne d'une fausse reconnaissance, avait été condamné à être tourné au pilori à la Rochelle, à Esnandes et à Fontenay-le-Comte. Après avoir subi une partie de sa peine, il resta trois mois étroitement enfermé dans une tour du château de la Rochelle, dont il parvint à s'échapper. On lui fit grâce du pilori à Fontenay-le-Comte et de la peine qu'il avait encourue pour le bris de prison (p. 263). Geoffroy Petit, écuyer, qui avait porté un faux témoignage dans un procès entre le sire de Taillebourg et Guyon de Laval, subit une condamnation à la même peine infamante et obtint aussi sa grâce (p. 398). Une fausseté bien plus grave est celle qui existait à la charge de Géheudin et Sebran Chabot. Leur père avait été condamné à rembourser à Thibaut Chabot, seigneur de la Grève, une somme de treize mille livres. Ils prétendirent que cette dette avait été payée, mais que la quittance avait été soustraite par leur adversaire ; pour faire croire à leur affirmation, ils imaginèrent toute une machination. Des témoins qu'ils subornèrent vinrent déclarer qu'en l'absence de Sebran Chabot, son hôtel de la Roussière avait été envahi et mis au pillage par des gens armés, commandés par le seigneur de la Grève, qui en avaient enlevé or, argent, meubles, papiers et particulièrement la fameuse reconnaissance. La fraude fut découverte, et la condamnation des imposteurs était imminente. Mais ils eurent le crédit de se faire délivrer des lettres de rémission, sous la condition toutefois qu'ils demeureraient en prison pendant six mois (p. 66-70). Citons encore le cas d'Aimery Alexandre, écuyer, et de ses amis et complices, qui s'introduisirent de nuit dans l'hôtel de Jeanne Bastard, veuve de Simon de Saint-Maixent, et lui dérobèrent, en usant de violence, un sac et un coffre fermé à clef. Neveu et se prétendant héritier dudit Simon, Aimery avait trouvé ainsi le moyen de se mettre en possession des titres de la succession (p. 219).

Les lourdes charges résultant des guerres continuelles avaient réduit à la misère un certain nombre de familles nobles. Quelques-uns supportaient dignement leur indigence. D'autres au contraire, exempts de préjugés, n'hésitaient pas à chercher dans le brigandage les occasions de conquérir la fortune. Nous voyons même deux gentilshommes, Perrot du Fouilloux et Colin Copeau, affiliés à une bande de vulgaires voleurs, dévalisant les maisons inhabitées. Ils avaient, entre autres exploits, pris part au pillage de l'hôtel de Jean de l'Hôpital à Saint-Antoine-de-la-Lande, et partagé les objets dérobés : des tasses et cuillers d'argent, des fourrures, des pièces de drap, des nappes et autres objets de lingerie (p. 151, 258, 293). Jean de Messemé était pauvre aussi et n'avait pas les moyens de soutenir son état ; mais il tenait à l'honneur. Si ses deux filles n'étaient pas habillées et parées suivant leur condition, du moins il veillait avec soin sur leur conduite. Une veuve nommée Denise, femme de mauvaise vie et publiquement diffamée, habitait tout près de chez lui. Plusieurs fois il lui avait interdit de venir dans sa maison, d'autant qu'ayant été malheureux en ménage, cette méchante voisine, qui ne craignait pas de faire le métier d'entremetteuse, n'avait pas été étrangère à son infortune conjugale. Celle-ci cependant fréquentait les jeunes filles le plus qu'elle pouvait, malgré toutes les défenses ; elle s'efforçait de gagner leurs bonnes grâces et par des paroles insinuantes et de perfides conseils cherchait à les entraîner au mal. Une discussion que Jean de Messemé eut un jour avec cette femme, à propos d'autres griefs, lui remit en mémoire tout ce qu'il avait souffert à cause d'elle. Transporté de colère, il la frappa d'un gros bâton par derrière la tête et l'abattit à ses pieds ; puis tirant de sa poche un petit couteau, il lui creva les deux yeux (p. 344). Bien qu'il eût accompli sa vengeance avec une cruauté raffinée, ce gentilhomme ne paraît pas, comme tant d'autres, complètement indigne de la grâce qui lui fut accordée.

Nos textes fournissent aussi bon nombre de renseignements touchant les sergents du roi ou du comte de Poitou, et les officiers des seigneurs, qui constituaient une classe intermédiaire entre les nobles et les gens du commun. Ils nous les montrent généralement arrogants et brutaux dans l'exercice de leurs fonctions. Pierre Regnaudeau, sergent et garde des vignes d'Hélie Chasteigner, ayant à mettre en état d'arrestation deux hommes surpris en flagrant délit de vol de raisin, fait à l'un une blessure qui détermine sa mort (p. 38). Jean Belleren, messier de l'abbaye du Bois-Grollant, trouve un petit berger de douze ans dont les bêtes paissaient dans un champ de blé sur la terre de la Cigogne, appartenant à l'abbaye, et le corrige si rudement que l'enfant succombe dix jours après aux coups qu'il avait reçus (p. 139). Ailleurs ce sont les officiers de Jean du Plessis, qui tuent un pauvre homme parce qu'il coupait des ajoncs sur les terres de ce chevalier (p. 216, et t. V, p. 286). Jean Vallée, sergent du duc de Berry, étant allé au village de Pouzioux apposer les panonceaux du comte en signe de sauvegarde sur une maison appartenant à André Douhet et Perrot Nozilleau, se rend coupable d'un homicide, dont il obtient facilement le pardon (p. 280). Le même cas se présente pour Pierre Fèvre, sergent de la Roche-sur-Yon, qui, dans une querelle avec Perrot Dupont, contre lequel il était chargé d'exécuter un jugement d'amende, avait fait usage de ses armes et blessé mortellement son adversaire (p. 427).