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MCXLII

Rémission accordée à Jean Gandouet, natif de la Rochelle, étudiant en l’Université de Poitiers, qui, en jouant au tir de la flèche sur le Pré-l’Abbesse de cette ville, avait blessé mortellement son camarade, Jean Esluneau.

  • B AN JJ. 178, n° 192, fol. 112
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 22-24
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de maistre Jehan Gandouet, natif de nostre ville de la Rochelle, naguères escollier estudiant en l’Université de Poictiers, en droit civil, aagé de xxii. ans ou environ, contenant que lui et Jehan Esluneau, aussi natif de nostre dicte ville et escollier en la dicte Université, ont demouré en nostre ville de Poictiers aucun temps ensemble et logiez en ung mesme hostel, en continuant la dicte estude et estans compaignons, et couchoient ensemble tousjours, au moins très souvent, et s’entr’amoient très bien et aloient souvent à l’esbat aux champs et ailleurs ensemble, pour la grant amour qu’ilz avoient ensemble ; et que puis aucun temps ença, en eulx esbatant, ainsi que jeunes escolliers ont acoustumé de faire, pour eulx (blanc au registre), ilz se sont jouez et esbatuz à tirer une fleiche comme d’une darde et jouoyent à reculer l’un l’autre, et en ce faisant tiroient ladicte fleiche l’un contre l’autre. Et ung jour, puis demy an ença ou environ, les diz suppliant et Esluneau, en la compaignie d’autres escolliers, alerent pour eulx esbatre au Pré l’Abbesse, qui est entre la closture de nostre dicte ville de Poictiers, et porterent une fleiche pour faire leur dit esbatement et jouer audit jeu, ainsi que autres foiz avoient [p. 23] fait. Et eulx estans audit pré, c’est assavoir ledit suppliant d’une part, et ledit Esluneau, d’autre, commancerent à gecter ladicte fleiche, laquelle ledit suppliant print et la gecta en arrière main envers ledit Esluneau, et tantost qu’il l’eust ainsi gectée, crya à haulte voix et dist audit Esluneau par plusieurs foiz : « Garde, la fleiche ! garde, la fleiche ! » Et lors ledit Esluneau, lequel peut bien oïr ledit suppliant, regarda où aloit ladicte fleiche, mais il ne s’en peut pas garder ne destourner si promptement ne hastivement que ladicte fleiche vint à lui et lui cheut sur le genoil, et lui fist une playe. Et tantost après, ledit suppliant, quant il sceut que ledit Esluneau, son compaignon, estoit blecié, vint par devers lui et le mena en l’ostel d’un barbier en ladicte ville de Poictiers, et le fist appareiller et penser le mieulx qu’il peut. Et depuis ont couchié plusieurs mois ensemble et fait bonne chière, ainsi qu’ilz avoient acoustumé par avant, et a aidé tousjours ledit suppliant à penser et appareiller ledit Esluneau, durant ladite blesseure, de laquelle il a esté malade deux mois ou plus, ès mains des barbiers qui le pensoient ; et ce pendant a tousjours conversé avecques lui, très desplaisant de son mal, jusques à ce qu’il sceut que les barbiers qui pensoient ledit Esluneau disoient qu’il estoit en peril de mort. Lequel suppliant, troublé et desplaisant de ce, se absenta et se mist en franchise. Et ce pendant, environ la feste de saint Jehan Baptiste derrenier passée, à l’occasion de ladicte blesseure, ledit Esluneau, par faulte d’avoir esté bien pensé et par barbiers en ce non expers et congnoissans, et de gouvernement ou autrement, est alé de vie à trespassement. A l’occasion du quel cas ledit suppliant qui estoit prest d’entrer à l’examen de sa licence, doubtant rigueur de justice, s’est absenté et a delaissé son dit estude et n’oseroit jamais retourner au pays, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties ; humblement requerant que, attendu le jeune aage dudit [p. 24] suppliant, que ledit cas est advenu de cas d’aventure et non pas d’aguet apensé ne propoz deliberé, par mauvaise malice, ne aucune hayne ou malvueillance, et n’avoit entre les diz feu Esluneau et suppliant aucune noise et debat, mais s’entr’amoient comme frères, couchoient ensemble paravant et depuis ledit cas avenu, ont fait plusieurs foiz comme frères et compaignons d’escolle ont acoustumé faire, et que plusieurs foiz ilz avoient joué ensemble audit jeu, sans ce que aucun inconvenient en feust advenu, etc., il nous plaise sur ce lui impartir icelles. Pourquoy nous, attendu ce que dit est et la manière dudit cas, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaulx de Poictou, Xanctonge, gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Bourges, ou mois de juillet l’an de grace mil cccc. quarante et sept, et de nostre règne le xxve.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. E. Froment. — Visa. Contentor. P. Le Picart.