[p. 283]

MCCXXV

Lettres octroyant à Pierre Frotier, écuyer, et à Prégent, son fils, le droit de haute, moyenne et basse justice en leur seigneurie de Melzéar, mouvant de Melle, en échange de l’abandon et de la cession qu’ils ont faits au roi de l’hommage et autres droits féodaux qu’ils possédaient, à cause de la baronnie de Preuilly, sur la vicomté de la Guerche en Touraine.

  • B AN JJ. 181, n° 119, fol. 66
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 283-288
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, que comme nostre amé et feal conseiller Pierre Frotier, escuier, seigneur de Prully et de Mellezar, tant en son propre et privé nom, que comme ayant le bail, garde, gouvernement et administracion de Prigent Frotier, son filz, et de feue Marguerite de Pruilly, damoiselle, jadis sa femme1, et icellui Prigent [p. 284] avec l’auctorité de son dit père, nous aient cedé, transporté, quicté, delaissé et remis à perpetuité, pour eulx et chacun d’eulx, et pour leurs hoirs et successeurs et qui d’eulx et de chacun d’eulx auront cause, tout le droit de hommage et serment de feaulté, ressort, justice et [p. 285] juridicion, feage et droiz de fief avec tous les honneurs, services, legences et autres droiz, devoirs et reddevances quelzconques que lesdiz Pierre Frotier, et Prigent, son filz, et chacun d’eulx avoient et avoir povoient et devoient, et qui à eulx et chacun d’eulx povoient et pourroient pour le temps avenir competter et appartenir à cause de la seigneurie de Preuilly, et autrement en et sur les viconté, terre, seigneurie, ville, chastel et chastellenie de la Guierche en Touraine2, paravant tenue à foy et hommage de la dicte seigneurie de Prully, sans riens reserver ne retenir à eulx [ne à] aucun d’eulx ou de leurs hoirs, ne à ladicte seigneurie de Prully, en quelque manière que ce soit, et s’en soient desvestuz et dessaisiz en noz mains, et nous en ayent vestu et saisi, et voulu et consenti expressement que ledit hommage et autres droiz et reddevances quelzconques, qu’ilz avoient sur la dicte viconté de la Guiarche feussent et soient perpetuelement uniz et consolidez à nostre dommaine et directe seigneurie de la duchié de Touraine, tant pour consideracion de plusieurs biensfaiz et avantaiges que avons fait au dit Pierre Frotier et autres predecesseurs dudit Prigent, et que esperons encores leur faire, et mesmement audit Prigent, pour le temps avenir, que aussi parmi ce et affin que voulsissions donner et octroyer ausdiz Pierre Frotier et Prigent, et aux leurs, droit, puissance et auctorité de avoir, tenir et exercer perpetuelement [p. 286] haulte justice et juridicion, moyenne et basse, avecques l’exercice d’icelle et tout ce qui en deppend en la terre, fief et seigneurie de Melleziar, appartenans audit Pierre Frotier, tenuz à foy et hommage de nostre très chier et très amé frère et cousin le conte du Maine3, à cause de sa seigneurie de Melle, en laquelle ladicte terre et seigneurie de Melleziar est assise, et parmy ce aussi que leur en feissons avoir consentement exprès et lettre bonne et valable de nostre dit frère et cousin ; lesquelles choses nous leur ayons octroyé et accordé, ainsi que plus à plain est contenu ès lettres dudit transport. Pour ce est il que nous, ayans agreable lesdiz cession, transport et delaiz desdiz foy, hommage, serment de feaulté, droiz de fiefz et autres devoirs et autres reddevances sur ladicte viconté de la Guiarche, à nous faiz par lesdiz Pierre Frotier et Prigent, son filz, et chacun d’eulx, par la manière que dit est, et tous les poins et articles contenuz ès lettres dudit transport, icelles lettres de transport nous avons auctorisé, confermé et approuvé, auctorisons, confermons et approuvons par ces presentes. Et avons voulu et ordonné, voulons et ordonnons que lesdiz foy et hommage, serement de feaulté de ladicte viconté de la Guiarche et autres devoirs et reddevances quelzconques que lesdiz Pierre Frotier et Prigent, son filz, avoient sur icelle, soient perpetuelment annexez, uniz et consolidez à nostre dommaine et directe seigneurie de Touraine, et lesquelz nous y avons uniz et annexez, unissons et annexons par ces presentes. Et en oultre, en accomplissant de nostre part les choses appointées et accordées ès lettres dudit transport, nous, pour et en recompense desdiz foy et hommage et autres droiz et devoirs à nous transportez, comme dit est, avons donné et [p. 287] octroyé, donnons et octroyons, par la teneur de ces presentes, ausdiz Pierre Frotier et Prigent, son filz, et à leurs hoirs, successeurs et ayans cause, plaine puissance, droit et auctorité de avoir, tenir et exercer perpetuelement en ladicte terre de Melleziar justice et juridicion, haulte, moyenne et basse, exercice d’icelle et tout ce qui en deppend, avecques tous les droiz, noblesses, proffiz, prerogatives et preeminences, qui à justice, haulte, moyenne et basse appartiennent et puent appartenir, selon la coustume du païs ; pour icelle juridicion avoir et tenir hommageement de nostre dit frère et cousin le conte du Maine, à cause de sa dicte seigneurie de Melle, et tout en ressort et juridicion d’icelle, et en joïr et user doresenavant perpetuelement par ledit seigneur de Prully et ledit Prigent, son filz, et leurs hoirs, successeurs, qui tendront et possideront ledit fief, terre et seigneurie de Melleziar, soubz les foy, hommage, serement de feaulté et autres droiz et devoirs que ledit Pierre Frotier est tenu et a acoustumé de faire au seigneur de Melle, pour raison d’iceulx fief, terre et seigneurie de Melleziar, reservé à nous le droit de souveraineté, et à nostre dit frère et cousin et à ses successeurs, à cause de sa dicte seigneurie de Melle, ledit hommage et serement de feaulté, avecques le ressort des appellacions et autre tel devoir que seigneur feodal puet et doit avoir sur ses vassaulx qui tiennent haulte, moyenne et basse juridicion soubz lui. Si donnons en mandement à noz amez et feaulx les gens de noz comptes et tresoriers à Paris, au seneschal de Poictou et à noz procureur, receveur et autres nos officiers et justiciers en nostre conté de Poictou, et à tous noz autres justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenans, presens et avenir, que de nostre presente concession et octroy ilz facent, seuffrent et laissent joïr et user ledit Pierre Frotier et Prigent, son filz, plainement et paisiblement, sans avoir empeschement ou contredit. Et afin que ce soit chose ferme et estable à tousjours, [p. 288] nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à Chicé en Touraine, ou mois de juing l’an de grace mil cccc. cinquante deux, et de nostre règne le xxxe.

Ainsi signé : Par le roy, le sire de Vauvert4, maistres Jehan Barbin5, Estienne Chevalier, Pierre Doriole6 et autres plusieurs presens. Chaligaut. — Visa.


1 On connaît le rôle important joué par Pierre Frotier dans le gouvernement de Charles VII, pendant la régence et les trois premières années du règne. Il remplit l’office de sénéchal de Poitou d’avril à juillet 1425, durant la disgrâce de Jean de Torsay ; nous avons rencontré son nom à plusieurs reprises dans les deux précédents volumes de ce recueil. (T. XXVI des Arch. hist. du Poitou, introduction, p. xxvii, notice, p. 364, note ; t. XXIX, p. 40, note, 145, note, et 271.) On trouve d’autres renseignements sur ce personnage dans les registres du Parlement ; procès par lui soutenus : 1° contre le procureur général, Jean Amouroux et Nicolas Machon, lieutenants en la sénéchaussée de Poitou, Jean Arembert et Jean Vasselot, procureur du roi en Poitou, Jean Tranchant, greffier des assises de ladite sénéchaussée, qui le poursuivaient pour excès de pouvoir, 31 juillet 1423 (Arch. nat., X1a 9190, fol. 241 v°) ; 2° contre le procureur général qui s’opposait à l’entérinement des lettres de don de Gençay qu’il avait obtenues du roi, janvier 1424 (id., fol. 248, 270) ; 3° contre Pierre de Salvinhac, affaire criminelle, 12 et 28 avril 1431 (X2a 18, fol. 250 v°, 251 v°) ; 4° à cause de sa femme, Marguerite de Preuilly, contre Louise de Preuilly, dame de Saint-Georges, veuve de Geoffroy Chasteigner, 7 juin 1432 (X1a 9192, fol. 292) ; 5° contre Petitjean Domery, sergent royal, 7 juillet 1433 (X2a 21, à la date) ; 6° avec Raoul de Gaucourt, à cause de leurs femmes, contre Marguerite, dame de Malval, 22 juin et 26 août 1434 (X1a 9194, fol. 72 et 78 v°) ; 7° contre Raoul de Gaucourt et ses autres beaux-frères, à cause de l’héritage de leur beau-père, 9 et 20 janvier, 3 février 1434 (X2a 21) ; 8° contre Jacques de la Cueille et autres, 15 septembre 1434 (X2a 20, fol. 76 v°) ; 9° avec Raoul de Gaucourt, en revendication des biens provenant de Jeanne Turpin, veuve de Guillaume de Naillac (X2a 21, aux dates des 6 et 15 septembre, 15 décembre 1434, 12 janvier, 11, 12 et 19 mars, 1er et 30 avril, 7 septembre et 23 décembre 1435) ; 10° contre Germain Girardin, au sujet d’une obligation de 60 marcs d’or, 25 mai 1436 (X1a 9193, fol. 142).

Pierre Frotier, seigneur de Melzéar et de Miseré en Poitou, avait épousé Marguerite, la deuxième des cinq filles de Gilles, baron de Preuilly, seigneur de la Rochepozay, et de Marguerite de Naillac, par contrat du 6 août 1421 (texte publié par Carré de Busserolle, Dict. hist. géogr. d’Indre-et-Loire, t. V, p. 211). Ils firent leur testament le 8 février 1445, et Marguerite de Preuilly mourut le 13 août de la même année. Son mari lui survécut environ douze ans. Le 26 décembre 1443, il fit hommage au roi de la baronnie du Blanc, mouvant de la Tour de Maubergeon. (Arch. nat., P. 5541, n° lxx bis.)

Prégent Frotier, nommé ici, baron de Preuilly après la mort de son père, seigneur d’Azay-le-Féron, du Blanc, etc., avait épousé, vers 1450, Isabeau de Billy, fille et héritière d’Huguet de Billy, seigneur de Thuré et de la Tour-d’Oiré près de Châtellerault, et de Jeanne Rouault. Elle testa avec son mari l’an 1480. Le 19 novembre 1471, Prégent s’était emparé du château de la Rochepozay, qui appartenait alors à Louise de Preuilly, veuve de Geoffroy Chasteigner, le mit au pillage, puis se retira avec un riche butin, consistant principalement en armes d’un grand prix, en espèces et en vaisselle d’or et d’argent. Un arrêt du Grand Conseil le condamna à restituer ces richesses. Tristan l’Hermite, grand prévôt de l’hôtel, chargé de l’exécution de la sentence, vint trouver Prégent à Preuilly et s’entendit avec lui sur les moyens de faire tourner cette affaire à leur profit. Opposition fut faite à l’ordonnance ; un nouvel arrêt confirma le premier et fut encore attaqué, si bien que Louise de Preuilly, fatiguée de cette interminable procédure, fut amenée au but que se proposaient les deux complices, à un accommodement. Cet accord fut assez favorable à Frotier pour que l’envoyé du roi pût être largement payé de ses services. (Carré de Busserolle, op. cit., t. V, p. 220.) Prégent Frotier était appelant de l’évêque de Poitiers contre Jean de Champrupin, abbé de Saint-Cyprien de Poitiers, prieur de Luray, le 19 novembre 1483. (Arch. nat., X1a 4825, fol. 13 v°, 187 v°.) Il mourut en 1487, laissant trois fils et deux filles, et fut enterré dans l’abbaye de Preuilly. Le château actuel d’Azay-le-Féron fut bâti par lui en 1480.

2 L’acte de renonciation par les Frotier à l’hommage de la vicomté de la Guerche, tenue jusqu’alors de la baronnie de Preuilly, porte la date du 24 mai 1452. Outre la haute justice de Melzéar, le roi, en échange de cet abandon fait à son profit, leur fit don de 6.000 écus d’or. Prégent confirma et renouvela cette renonciation le 6 octobre 1457. Son père était alors décédé, contrairement à l’affirmation des généalogistes qui fixent la mort de Pierre Frotier à l’année 1459. (Arch. nat., J. 183, n° 152.) La Guerche appartenait alors à André de Villequier, qui l’avait achetée, le 19 octobre 1450, de Nicolas Chambes, ou Chambre, gentilhomme originaire d’Écosse, pour le prix de 1.000 écus d’or. Le château fut bâti vers cette époque, très probablement aux frais de Charles VII, qui en fit don à sa maîtresse, Antoinette de Maignelais, femme d’André de Villequier. (Carré de Busserolle, Dict. hist. d’Indre-et-Loire, t. III, p. 268 ; de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. V, p. 63.)

3 Par acte passé à Mehun-sur-Yèvre, le 31 juillet 1452, Charles d’Anjou, comte du Maine, donna, comme seigneur de Melle, son consentement à l’érection de Melzéar en haute justice au profit de Pierre et Prégent Frotier. (Original scellé, Arch. nat., J. 183, n° 151.)

4 Jean de Lévis, seigneur de Vauvert, fils d’Antoine de Lévis, comte de Villars, conseiller et chambellan de Charles VII, jouissait de la plus grande faveur auprès de ce prince. Il avait épousé, le 25 novembre précédent, au château de la Villedieu-de-Comblé, appartenant à Étienne Gillier, en présence du roi et de la cour, Antoinette, aliàs Thomine de Villequier, sœur d’André de Villequier, mari depuis deux ans d’Antoinette de Maignelais, la maîtresse du roi. (Voy. de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. V, p. 68, 76.)

5 Jean Barbin naquit en 1406. Dès l’an 1432, il jouissait d’une certaine réputation comme avocat au Parlement de Poitiers. Le 28 décembre de cette même année, il épousa Françoise Gillier, fille aînée d’Étienne Gillier, sr des Rosiers et de la Villedieu (ci-dessus, p. 275, note). Vers la même époque, il acquit de Jean de la Leigne et de Rose de Jaunay sa femme, la terre de Puygarreau avec les seigneuries de l’Écuré, de Louzil et de Verneuil, et Charles VII l’autorisa, par lettres d’octobre 1434, à fortifier son château de Puygarreau. (L’abbé Lalanne, Hist. de Châtellerault, I, p. 455.) Par son mariage, il devint aussi seigneur de Pruniers et de la Roche-de-Mérigné, dont Françoise Gillier hérita d’Agnès Bourde, veuve de Nicolas Gillier, son oncle. (Le baron d’Huart, Persac, etc. Mém. des Antiq. de l’Ouest, 2e série, t. X, 1887, p. 307.) En 1445, il est qualifié conseiller et avocat du roi pour le criminel au Parlement, c’est-à-dire avocat général lai, et nous voyons ici qu’il siégeait au Grand Conseil. Les Archives de la Vienne possèdent un acte sur parchemin du 3 octobre 1446, par lequel les maire, bourgeois et échevins de Poitiers nomment sire Jean Barbin, avocat du roi au Parlement, leur conseiller à ladite cour et lui attribuent une pension annuelle de 10 livres. (B. 5.) Au commencement de 1451, Jean Barbin, dit M. de Beaucourt, vint s’installer auprès de Charles VII, qui le retint pendant presque toute l’année, à cause des arrestations qui eurent lieu alors à plusieurs reprises et des poursuites qui furent dirigées contre des particuliers, soit pour avoir tenu des propos injurieux contre le roi, soit sous l’inculpation d’un crime de lèse-majesté. (Hist. de Charles VII, t. V, p. 94.) Le sr de Puygarreau fut aussi l’un des juges de Jacques Cœur, en 1452. Il avait suivi de près Jeanne d’Arc à Poitiers et put, au procès de réhabilitation, faire une importante déposition (30 avril 1456) ; il est dit, dans cet acte, legum doctor, advocatus regis in sua Parlamenti curia, ætatis l. annorum. (J. Quicherat, Procès de Jeanne d’Arc, t. III, p. 82 et s.) Révoqué à l’avènement de Louis XI, ce prince lui accorda des lettres de rémission le 19 décembre 1463 (JJ. 199, n° 74) ; elles seront publiées à leur date. Jean Barbin mourut en 1469, sans postérité, et fut inhumé au couvent des Cordeliers de Poitiers.

6 Pierre Doriole, sire de Loiré, né à la Rochelle en 1407, mort le 14 septembre 1485. Trésorier de France et conseiller de Charles VII, il fut chargé, par ce prince et son successeur, d’importantes négociations et remplit les fonctions de chancelier de France de 1472 à 1483.