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MCCLXVI

Rémission octroyée à Robert Jarnou, dit Tanguy, compagnon armurier, détenu dans les prisons de Lusignan, pour le meurtre de Jean Hervé, qui l’avait frappé le premier.

  • B AN JJ. 189, n° 29, fol. 19 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 426-431
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Robert Jarnou, dit Tanguy, natif de la parroisse de Gueillier ou païs de Bretaigne, en l’eveschié de Saint Malo de l’Isle, et aagié de trente et cinq ans ou environ, povre homme, armeurier, prisonnier detenu en noz prisons et chastel de Lezignen, contenant que le dit suppliant a par certain temps suy noz guerres et nous servy en icelles bien et loyaument, et mieulx qu’il a peu contre noz adversaires, et mesmement au siège qui de par nous fut mis devant Fougières1, quand nosdiz adversaires les Anglois l’occuppoient, soubz et en la compaignie du sire de Malestret2, mareschal de Bretaigne, et après ce que ladicte ville de Fougières fut prinse, recouvrée et remise en nostre obeissance, ledit suppliant se mist avecques ung gentilhomme dudit pays de Bretaigne, nommé Estienne Guy, qui aussi se mist en la compaignie de nostre bien amé escuier d’escuirie Robert de Floques, [p. 427] dit Floquet3, bailly d’Evreux, où il a esté et ledit suppliant en sa compaignie durant la recouvrance de nostre pays et duché de Normandie ; après laquelle recouvrance, ledit suppliant s’en ala à Rennes oudit païs de Bretaigne, où il fut malade par aucun temps. Et si tost qu’il fust guery, il se print à besongner et ouvrer de son mestier d’armeurier tant en ladite ville de Rennes que en la ville de Nantes, jusques environ la feste de saint Michel derrenierement passée, qu’il s’en vint en la ville de Nyort, où il a besongné de son dit mestier avecques ung nommé Henry l’Armeurier par certain temps, et de là s’en ala à la Rochelle où il besongna aussi ung peu de temps. Et de là s’en revint et retourna en ladicte ville de Nyort, où derechief il besongna de sondit mestier, jusques au mercredi septiesme jour du mois de janvier derrenier passé, qu’il se party de ladicte ville de Nyort pour venir à Poictiers et veoir s’il trouveroit à besongner de sondit mestier, et s’en vint icelluy jour coucher à Saint Maixent. Et le landemain au matin qui fut le jeudi, vint à disner à Souldan et de là jusques à Rouyllé, où il arriva environ vespres ; auquel lieu il beut, et trouva au bourg dudit Rouyllé feu Jehan Hervé, mercier, lequel estoit en la maison où ledit suppliant buvoit ; lequel Jehan Hervé avoit prins debat avecques certains compaignons qui avoient voulenté de le batre. Pour laquelle cause, icelluy Hervé se tira par devers ledit suppliant et luy demanda dont il estoit, et il luy dist qu’il estoit du païs de Bretaigne, et ledit Hervé luy dist qu’il en estoit aussi et le lieu dont il estoit, et trouvèrent ensemble qu’ilz n’estoient pas loing l’un de l’autre. Et dès lors, icelluy Hervé dist audit suppliant [p. 428] qu’il s’en vendroit avecques luy jusques en la ville de Lezignen ; et après ce que ledit suppliant eust repeu audit lieu de Ruilly (sic) et qu’ilz eurent beu ensemble luy et ledit Hervé, ilz se mirent à chemin pour eulx en venir en ladicte ville de Lezignen. Et quant ilz furent bien à moictié chemin, ilz faillirent à leur dit chemin et s’en alèrent en ung villaige, ouquel ledit suppliant donna deux blans à ung homme dudit villaige appelé Pierre Pefron, gendre de Blays Delalande, pour les mener et conduire d’ilecques jusques audit lieu de Lezignen, et leur fut donné audit villaige une rille de porc pour leur soupper ; et les conduisi ledit Pierre jusques ès forsbourgs de Lezignen, à l’enseigne de La Pomme et hostel d’un nommé Mathelin Gueynart, ouquel ilz se lougèrent, et y arrivèrent environ jour couché, et avoit ja ledit Mathelin Guenart, et ses gens et hostes qu’il avoit, presques souppé ; et tantost que ledit suppliant et ledit Hervé furent arrivez oudit hostel, icelluy suppliant et ledit Hervé souppèrent ensemble et firent soupper en leur compaignie ledit Pierre Pefron qui les avoit conduiz, comme dit est. Et quant ilz eurent souppé, ledit Pierre Pefron qui les avoit ainsi conduiz et amenez print congié d’eulx et s’en retourna en son hostel, et ledit suppliant et icelluy Jehan Hervé demourèrent après, longue espace de temps, au feu et mirent cuire leur reylle de porc, qui leur avoit esté donnée audit villaige où ilz avoient passé ; et pendant que la dicte reylle cuisoit, ledit Jehan Hervé, qui estoit yvre dès l’eure qu’ilz partirent dudit bourc de Rouyllé, ainsi que ledit suppliant l’avoit bien aperceu, pour ce qu’il estoit cheu deux ou troys foiz en chemin et avoit convenu audit suppliant porter sa balle, et demanda ledit Hervé audit suppliant à donner une chestives chausses qu’il avoit, lesquelles ledit suppliant luy donna, et encores demanda et requist audit suppliant qu’il luy donnast sa dague, lequel ne voult ce faire, mais la bailla secretement à garder à la fille [p. 429] dudit Guenart, leur hoste. Et si tost que ladicte reylle fut cuite, luy et ledit Jehan Hervé se misdrent de rechief à table, et mengièrent leur dicte reille ; et cependant ledit Mathelin Gueynart et sa femme s’en alèrent coucher en leur chambre, et pareillement ung gentilhomme qui estoit arrivé icelluy soir oudit hostel, et le gendre de leur dit hoste, nommé Berthomé, autrement ne scet ledit suppliant son nom, tous deux ensemble en ung lit. Et quant icelluy suppliant et ledit Jehan Hervé eurent mengié leur dicte reylle et demouré par aucune espace de temps devant le feu, ledit suppliant se voult aler coucher, et pour ce que ses chausses estoient moillées, il appella ung jeune enfant, varlet de leurdit hoste, aagié de treize à quatorze, pour luy aider à tirer ses dictes chausses ; et ainsi que ledit enfant tiroit icelles chausses, ledit Jehan Hervé vint audit enfant qui estoit bessé et le frappa sur le coul et sur la teste, de desplaisir qu’il eut de ce qu’il deschaussoit ledit suppliant au devant de luy. Pour quoy icelluy suppliant fut mal content et demanda audit Jehan Hervé pour quelle cause il avoit batu ledit enfant, lequel Hervé luy respondy bien arrogamment et mal gracieusement qu’il le batroit et luy avecques. Desquelles parolles ledit suppliant fut courroucié et desplaisant, et leva la main et bailla deux soufflés audit Hervé sur la joue, sans luy faire guères de mal ; et ce voyant, ledit Jehan Hervé se print audit suppliant et le fist tumber ou feu, lequel suppliant se releva le plus tost qu’il peut, et quant il fut relevé, luy et ledit Jehan Hervé s’entreprindrent corps à corps et s’entrefrapèrent des poings l’un sur l’autre. Et adonc ledit Berthomé, gendre de leur dit hoste, se leva du lit et les vint departir, et quant ilz furent departiz, ledit suppliant se print à deslacher son pourpoint, cuidant soy aler coucher avec ledit Berthomé et ledit gentilhomme ; et ne vouloit point coucher avec ledit Hervé, affin que icelluy Hervé et luy n’eussent plus de debat ensemble. Et lors le [p. 430] dit Hervé tira ung couteau qu’il avoit à sa sainture, et enle tenant tout nu en sa main, dist souldainement audit suppliant qu’il print sa dague et s’en deffendist, et qu’il avoit son cousteau. Et ce voyant ledit suppliant et doubtant que icelluy Hervé le tuast ou mehaignast dudit cousteau, sailly par dessus la table, de l’autre cousté d’icelle. Et adoncques ledit Hervé dist audit suppliant qu’il luy donnast choppine et ilz seroient amis, et ne luy demanderoit plus riens. A quoy ledit suppliant respondy qu’il en estoit content, et lors ledit Berthomé, gendre dudit hoste, qui s’en estoit tourné coucher decouste ledit gentilhomme, dist qu’ilz n’auroient plus de vin et qu’ilz en avoient trop eu, et dist audit suppliant qu’il se alast coucher couste luy et ledit gentilhomme ; et en disant ces parolles, ledit Hervé print ung baston ou coing de la cheminée et en frappa ledit suppliant par dessus la table ung coup sur les espaulles, tellement que dudit coup ledit baston rompy en deux pièces, et non content de ce, icelluy Hervé print ung hachereau, duquel il s’efforça frapper ledit suppliant et le gecter encontre luy, mais icelluy suppliant gauchy et evada le coup, et print à coup ung autre baston qui estoit encontre ung entremoien de ladicte chambre, duquel il frappa ung coup seulement sur ledit Hervé, qui l’ataingny d’aventure sur la teste, tellement que dudit coup il tumba à terre et ne parla oncques puis, et ung jour ou deux après ledit coup par luy ainsi donné et au moyen d’icelluy, ou par faulte de bon pensement et gouvernement, ledit Hervé ala de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant a esté prins et mis et est detenu en noz prisons de Lezignen, où il est en grant povreté et misère ; et combien que ledit cas, quant à la part dudit suppliant, ne soit avenu d’aguet appensé et n’y pensast en riens, quant il se acompaigna avec ledit Jehan Hervé, et ait ledit suppliant donné ledit coup audit Hervé en son corps deffendant et en soy revenchant d’icelluy et pour obvier à sa [p. 431] mauvaise entreprinse et voulenté, qu’il avoit et demonstroit evidemment, de grever ledit suppliant, neanmoins icelluy suppliant doubte que justice vueille rigoureusement proceder contre luy et que sa destruction totale ne s’en ensuyst, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties ; humblement requerant que, attendu ce que dessus est dit et mesmement l’oultraigeuse et desraisonnable voye et manière de proceder par ledit Hervé, que en tous autres cas ledit suppliant est bien famé et renommé, sans ce qu’il soit mencion que jamais il ait esté actaint ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise nos dictes grace et misericorde luy impartir. Pour ce est il que nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant, en faveur des bons et agreables services par luy à nous faiz, comme dessus est dit, en nos dictes guerres, à icelluy avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Saint Poursain, ou mois de fevrier l’an de grace mil cccc. cinquante cinq, et de nostre règne le xxxiiiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Des Vergiers. — Visa. Contentor. Du Ban.


1 Les Anglais qui s’étaient emparés par surprise de la ville de Fougères, en mars 1449, la reperdirent au mois de novembre suivant. (Voy. ci-dessus, p. 144, note.)

2 Jean IV Raguenel, seigneur et baron de Malestroit, vicomte de la Bellière, second fils de Jean III Raguenel et de Jeanne de Malestroit, dame du lieu, succéda à son frère aîné. Il fut d’abord écuyer d’Artur de Bretagne, comte de Richemont, connétable de France. L’an 1448, il accompagna François, duc de Bretagne, à la conquête de la Normandie pour le roi de France, et l’année suivante, au siège de Fougères. On le trouve qualifié maréchal de Bretagne en 1451. Le sire de Malestroit mourut le 24 décembre 1471. (Fr. Aug. Du Paz, Hist. généal. de plusieurs maisons illustres de Bretagne, in-fol., 1620, p. 149 et suiv.)

3 Robert de Floques, dit Floquet, est connu surtout comme chef de routiers. Il portait déjà le titre d’écuyer d’écurie du roi et de bailli d’Évreux dans les lettres d’abolition de tous ses excès de guerre, qui lui furent octroyées par Charles VII, au mois d’août 1448. (A. Tuetey, Les Écorcheurs, etc., t. I, passim, t. II, p. 447.)