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MCCXXXIII

Rémission octroyée à Vincent Gautereau, poursuivi pour avoir extorqué, en usant de force et de menaces, une promesse de mariage de Christine Bretin, de Fontenay-le-Comte, qu’il avait arrêtée sur la grande route, lorsqu’elle revenait de Machecoul, où elle était allée consulter un médecin. Emprisonné quatre ans après à la Rochelle, il s’était évadé.

  • B AN JJ. 184, n° 306, pl. 211 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 309-316
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Vincent Gautereau1, contenant que, le premier jour de juillet l’an mil cccc. xlvi, une femme nommée Chrestine Bretin, fille de Mery Bretin2, de Fontenay le Conte, se [p. 310] partit de la ville de Maschecol en Rays, accompaignée de deux hommes et deux femmes, auquel lieu de Machecol ladicte Chrestine estoit alée à ung barbier nommé Faucheret, pour cuider trouver remède d’aucunes maladies qu’elle avoit ; et ledit suppliant, acompaigné de trois ou quatre compaignons du lieu de la Benaste vint après ladicte Chrestine et sadicte compaignie, et les suyvirent tellement qu’ilz les aconsceurent entre Faleron et Saint Estienne de Malemort. Et incontinant qu’ilz les eurent aconsceuz, print ledit suppliant la haquenée d’icelle Chrestine par la bride, et luy dist icelluy suppliant que elle s’en vendroit avec luy et sadicte compaignie, et que ladicte Chrestine n’ameneroit avec elle que une des femmes qu’elle avoit en sa compagnie, et que le demourant de sadicte compagnie s’en yroit et ne vendroit plus avec elle, pour ce qu’il la vouloit mener à ung gentil homme de la court du duc de Bretaigne qui la vouloit avoir à femme et espouse. Et après ce, se partirent lesdiz suppliant et ses compaignons et enmenèrent ladicte Chrestine et une desdictes femmes, pour luy tenir compagnie, et en traversant pays droit à la Benaste, en ung boys nommé l’Oezelière, [p. 311] ledit suppliant vit ung nommé Jehan de La Mare et avec luy la femme d’un orfèvre de Fontenay le Conte qui venoient après en poursuyvant ladicte Chrestine et ledit suppliant et autres de sa compagnie ; et quant ledit suppliant appersceut ledit de La Mare avec la dicte femme, il vint à l’encontre d’eulx et tira l’espée et dist que, s’ilz ne s’en retournoient, il les courrouceroit du corps. Et après aucunes parolles dictes et pour crainte dudit suppliant, s’en retournèrent ledit de La Mare et ladicte femme. Et ledit suppliant s’en ala à sa dicte compagnie et menèrent ladicte Chrestine et une desdictes femmes audit boys, et eulx estans oudit boys assez près d’un village, ledit suppliant fist descendre icelle Chrestine et ladicte femme, et luy dist qu’il failloit qu’elle feust sa femme [et] espouse. Laquelle Chrestine luy respondit qu’elle ne se vouloit point marier et qu’elle n’estoit pas habille pour l’estre pour aucunes maladies qu’elle avoit. Et lors ledit suppliant dist que pour les maladies ne se laissast point et que, se elle ne le faisoit, qu’il la transporteroit en place pour en faire sa volenté. Et lors ladicte Chrestine accorda de fiancer ledit suppliant, pour la doubte qu’elle avoit de son corps. Et adoncques vint ung des compaignons d’icelluy suppliant qui les fiança par parolle de present. Et après ce ledit suppliant luy donna ung viel escu et luy mist en sa bource. Et ce fait, la dicte Chrestine et la dicte femme qu’elle avoit avec elle montèrent à cheval, et aussi le dit suppliant et ceulx de sa dicte compagnie et s’en alèrent en ung village et la descendirent et se logèrent ; et trouvèrent oudit village ung chappellain, auquel icelluy suppliant requist qu’il fiançast luy et ladicte Chrestine ensemble. Lequel chappellain respondit audit suppliant qu’il n’oseroit, car il veoit que ladicte Chrestine n’en estoit pas bien contente. Et adonc le dit suppliant menaça ledit chappellain de batre. Et ce voyant, le dit chappellain s’en ala, et après qu’il s’en fut alé, ledit suppliant party et s’en ala à une lieue d’illec [p. 312] ou environ querir ung moine pour fiancer luy et ladicte Chrestine ensemble. Et quant ledit moyne fut arrivé au lieu où estoit ladicte Chrestine, il luy demanda se elle estoit bien contente d’estre fiancée avec ledit suppliant, laquelle respondi que nennil pas de son gré. Lors ledit suppliant fist semblant d’aler querir son cheval et de la vouloir mettre derrière luy, pour la mener hors d’illec ; et lors ladicte Chrestine doubtant icelluy suppliant et que par avanture il ne luy voulsist faire aucune force ou autrement, se accorda fiancer ledit suppliant, en la main dudit religieux, et les fiança icelluy religieux, en presence de plusieurs personnes, tant hommes que femmes dudit village et d’ailleurs. Et après lesdictes fiances faictes ainsi que dit est, firent appareiller à soupper et firent bonne chère ; et cuidoient espouser le lendemain au matin. Et ainsi comme ilz vouloient aler à table pour soupper, arriva ung homme, nommé Georget de Marueil, cappitaine de la dicte Benaste, lequel dist audit suppliant qu’il failloit mener ladicte Chrestine à ladicte Benaste à ung nommé Jehan de La Mare, qui vouloit parler à elle ; à quoy ledit suppliant ne mist aucun empeschement. Et ainsi ledit Georget enmena ladicte Chrestine montée sur son cheval derrière lui audit lieu de la Benaste. Et quant il fut arrivé audit lieu de la Benaste, il mist la dicte Chrestine avec sa dicte femme et autres en sa chambre. Et tantost après ledit suppliant y vint, en la presence duquel la dicte Chrestine revoqua toutes les promesses qu’elle avoit faictes audit suppliant, et dist qu’elle les avoit faictes pour la doubte du deshonneur de son corps. Et incontinant que ladicte Chrestine eut ce dit, ledit suppliant s’en partit et ne parla plus à elle. Et lors ledit Jehan de La Mare et autres gens en sa compaignie enmenèrent ladicte Chrestine droit à Fontenay le Conte ou ailleurs, et la mussèrent en l’ostel dudit Mery Bretin, son père, et à luy rendue. Et trois sepmaines ou ung moys après ou environ, ledit Mery Bretin, père de [p. 313] ladicte Chrestine, proceda fort en la court laye du duc de Bretaigne à Nantes, à l’encontre dudit suppliant à toute rigueur de justice. Et depuis, et en l’an mil cccc. cinquante, le jour saint Barnabé, ledit suppliant estant prisonnier aux Anglois de Bayonne, en ung lieu nommé Saint Jehan de Lux ou pays de Labourt, se eschappa et se rendit à Saint Sebastien en Biscaye et se mist en ung navire et s’en ala à la Rochelle. Et incontinant que ung nommé Pierre Beuf, gendre dudit Mery Bertin, demourant audit lieu de la Rochelle, sceut que ledit suppliant fut arrivé en ladicte ville, fist garder les passages, afin de faire prendre et emprisonner icelluy suppliant, à l’occasion de la dicte Chrestine, seur de sa femme, et fist tant que ledit suppliant fut prins et emprisonné et enferré en ung lieu nommé Laleu près de la Rochelle ; auquel lieu de Laleu ledit Pierre Beuf se fist partie à l’encontre dudit suppliant, lequel fut mis en estroicte prison et grandes gardes sur luy. Et ce voyant, ledit suppliant eut grant paour que on ne le fist mourir soubitement comme de le gecter de nuyt en la mer, ou faire mourir d’autre mort vilaine, et pour les grans doubtes que ledit suppliant eut, se advisa de dire au geolier et au prevost dudit lieu de Laleu qu’ilz le feissent parler à nostre procureur et aux autres gens de justice de la dicte Rochelle. Lesquelz prevost et geolier dudit lieu de Laleu leur firent assavoir, et tantost après, et à la requeste des gens et officiers pour nous en ladicte ville de la Rochelle, fut mis hors de ladicte prison de Laleu et amené enferré sur ung cheval ou chastel de la dicte ville de la Rochelle, où il fut emprisonné et enferré de gros fers autres qu’il n’avoit apportez dudit lieu de Laleu. Et après qu’il eust esté mis oudit chastel de la Rochelle, fut examiné et interrogué par la justice dudit lieu sur le cas touchant ladicte Chrestine. Et vindrent par devers icelluy suppliant l’aumosnier de Saint Berthelemieu de la Rochelle, qui pour lors estoit accesseur du lieutenant du [p. 314] gouverneur d’icelle ville de la Rochelle, avec autres gens de justice dudit lieu, lesquelz lui demandèrent qu’il leur vouloit dire et pourquoy il avoit tant requis de parler à eulx. Et adonc ledit suppliant leur dist qu’il venoit des parties de Bayonne et qu’il avoit charge de Augeron de Saint Peyr et du seigneur de Ortebie, demourans ès dictes parties de Bayonne, de parler à nous pour avoir ung sauf conduit de nous ou nostre chier cousin le conte d’Angoulesme3, de nostre admiral et de nostre amé et feal Jehan Le Bourcier4, chevalier, pour venir, à une navire ou à deux, avec cinquante ou soixante personnes en leur compagnie, pour nous faire obeissance de tout ledit pays de Bayonne. Et leur requit ledit suppliant qu’ilz le nous feissent assavoir, s’ilz ne luy vouloient mener. Et disoit icellui suppliant que icellui Agerot (sic) et ledit sieur de Ortebie l’avoient delivré des prisons de leur party et que ilz luy avoient promis certaine finance, pour faire les diligences et pour leur porter ledit sauf conduit. Et donna tout ce à entendre ledit suppliant à nos diz officiers et gens de justice de nostre dicte ville de la Rochelle, pour cuider trouver moien d’estre delivré et mis hors des dictes prisons, combien que de tout ce ne feust riens, car il n’avoit aucune charge de parler à nous de par ledit Ogerot de [p. 315] Saint Peyr ne dudit sieur de Ortebye, et ne le faisoit, sinon pour eschapper du dangier où il se veoit. Et les dictes gens et officiers pour nous en ladicte ville de la Rochelle, de ce faisans doubte, luy baillèrent plus estroicte prison que devant. Dont ledit suppliant chey en maladie. Et si firent autres personnes estans en ladicte prison dudit chastel de la Rochelle, et mesmement la femme du geolier, de laquelle on esperoit plus la mort que la vie, et le plus jeune qui feust en ladicte prison y estoit jà mort. Pour quoy ledit suppliant, doubtant plus de y mourir que autrement, veu que la mort et les maladies y estoient si grandes, entreprist avec deux autres prisonniers de lymer leurs fers et de faire pertuiz aux murs des prisons pour s’en devoir aler ; les quelz deux autres prisonniers n’osèrent s’en saillir ne yssir. Et ung jour de jeudi, second ou tiers après la saint Berthelemy ou dit an mil cccc. cinquante, le dit suppliant appella la chamberière du geolier et ung petit garson que le geollier appelloit son filleul, afin qu’ilz apportassent à boire de l’eaue à leur maistresse qui estoit malade en ung lit. Et ainsi comme ilz vindrent apporter de l’eaue à la femme dudit geolier et ilz ouvrirent la porte, ledit suppliant s’en yssy hors de ladicte prison et trouva une fourche de fer à deux dois qu’il mist en sa main, pour soy deffendre, se besoing en eust esté, et s’en ala rendre en l’ostel des Seurs noires, et leur requist franchise, lesquelles Seurs noires la luy baillèrent. Et incontinant qu’il fut en franchise, le geolier vint parler à luy et luy requist qu’il se rendist aux prisons dont il estoit sailly. Lequel suppliant luy respondit que pour icelle heure il ne yroit point, et qu’il se donnast garde d’un Anglois, qui pour l’eure estoit en prison et qui avoit lymé ses fers. En laquelle franchise ledit suppliant fut par l’espace de vii. ou viii. jours, et puis trouva moien de s’en aler hors de la dicte ville. Pour occasion duquel fait, ledit suppliant n’oseroit de present repairer ne converser en la [p. 316] dicte ville de la Rochelle ne ailleurs, pour doubte qu’il ne feust prins et aprehendé, et longuement detenu prisonnier, et d’estre rigoreusement traicté, se nostre grace et misericorde ne luy estoit sur ce impartie. Et pour ce, nous a ledit suppliant humblement supplié et requis que, attendu ce que dit est et que en autres cas, exceptez les dessus diz, s’est tousjours honnorablement et honnestement porté et gouverné, sans ce qu’il feust oncques actaint ne convaincu d’aucun villain cas, blasme ou reprouche, nous sur ce luy vueillons subvenir d’icelle nostre grace et pourveoir de remède convenable. Pourquoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant oudit cas avons remis, quicté et pardonné, etc., ensemble tous appeaulx et ban, s’aucuns s’en estoient ensuys, etc. Sy donnons en mandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou, au gouverneur de la Rochelle, aux bailliz de Touraine et des ressors et exempcions d’Anjou et du Maine et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys d’avril l’an de grace mil cccc.liii. et de nostre règne le xxxie.

Ainsi signé : Par le conseil. Tarenne. — Visa. Contentor. Valengelier.


1 Un Nicolas Gautereau était greffier de la cour de Rocheservière, en 1495. (Arch. nat., P. 14102, fol. 26, 27.)

2 Pierre Bretin ou Bertin, de Pamplie, officier de justice dans la Gâtine, nommé dans un acte du 29 septembre 1400, rendit aveu à Jean II Larchevêque du fief Mandraut sis à Saint-Ouenne et autres mouvant du château de Parthenay, le 1er décembre 1410. (Arch. nat., R1* 190, fol. 201.) Il fut père de Philippe, frère mineur du couvent de Fontenay-le-Comte, qui fut brûlé vif le 7 mai 1448, pour cause d’hérésie, par sentence du sénéchal de cette ville, et de Méry Bretin, ici nommé. Ce dernier est mentionné dans le livre des fiefs de la baronnie de Parthenay, rédigé de 1430 à 1450, comme tenant du connétable de Richemont par hommage plein son hébergement de Pamplie et appartenances, avec deux journaux de pré, six boisselées de terre et les deux parts d’un verger. (Id., fol. 253.) On voit, dans ces lettres de rémission, qu’il habitait Fontenay ; il était seigneur de Boisse à Saint-Médard-des-Prés près cette ville, et reçut, en 1448, pour son fils François, le dénombrement de la seigneurie de Guignefolle. Christine Bretin, sa fille, veuve dès le 7 décembre 1445 de Jean Mervaut, écuyer, avoua, par acte de cette date, tenir à hommage lige et droit de rachat des hommes levans et couchans en la paroisse de Longèves, « destreignables à son four », le pré de la Fontaine, tenant au grand chemin de Fontenay-le-Comte à l’Hermenault, et plusieurs autres terres, le tout dans la mouvance de la seigneurie de Mervant. (R1* 204, fol. 7 v°.) François Bretin, alors seigneur de Boisse (Méry, son père, étant décédé depuis peu), fit hommage, le 8 mars 1460 n.s., et rendit aveu, le 28 avril 1462, pour son hôtel et village de Granges et pour le fief de Grissais, mouvant de Fontenay, ce dernier appelé la terre des « Deux seigneurs », parce qu’il était commun et indivis entre lui et Germain de Vivonne, seigneur de la Châtaigneraie. (P. 5661, cote 2873, et P. 1145, fol. 41.) Méry Bretin avait épousé Catherine Toreil ou Toureille, qui fonda à Fontenay le couvent des Sœurs du Tiers-Ordre de Saint-François. (Beauchet-Filleau, Dict. des familles du Poitou, nouv. édit., t. I, p. 495.) On voit, dans la suite du présent acte, qu’il était père d’une autre fille, mariée à Pierre Beuf, habitant la Rochelle.

3 Jean d’Orléans, comte d’Angoulême (1407-1467), troisième fils de Louis duc d’Orléans, frère de Charles VI.

4 Jean Le Bourcier, chevalier, seigneur d’Esternay, conseiller et chambellan de Charles VII, fils d’Alexandre Le Bourcier et de Colette Portier. Élu sur le fait des aides en Saintonge (1436), puis général des finances de Normandie (1450), il fut employé par Charles VII en diverses expéditions militaires et négociations. A l’avènement de Louis XI, Charles de France, frère du roi, lui avait confié les fonctions de général de ses finances. Lors de la ligue du Bien public, Le Bourcier fut accusé d’avoir contribué à mettre la ville de Caudebec entre les mains des princes. Obligé de fuir, il quitta Rouen déguisé en cordelier, mais il fut reconnu par des partisans zélés du roi qui, sans aucune forme de procès, le noyèrent dans l’Eure, le 1er janvier 1466 n.s. (Journal de Jean de Roye, connu sous le nom de Chronique scandaleuse, publ. par B. de Mandrot, t. I, p. 145, 149. — Cf. aussi de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. V et VI, passim.) Ses biens confisqués furent donnés à Guérin Le Groing, chevalier, seigneur de la Mothe-au-Groing.