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MCLXVI

Lettres d’abolition en faveur de Jean Gendrot, marchand de Thouars, qui, étant commis du receveur des aides de Poitou dans le pays thouarsais, avait mis en circulation trente ou quarante mille mailles du pays de Liège, qu’il avait achetées en bloc et revendues avec bénéfice.

  • B AN JJ. 179, n° 183, fol. 102
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 90-94
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Gendrot, marchant demourant à Thouars1, contenant que, jaçoit ce qu’il soit homme [p. 91] de bonne vie et renommée et qui tout son temps a usé de fait de marchandise, et aucunes foiz de fait de change pour soustenir la vie et estat de lui, sa femme et enfans, en quoy et en toutes autres choses il s’est bien et deuement gouverné, sans avoir esté reprins, actaint ne convaincu d’aucun vilain cas, blasme ou reprouche, et telement que pour la bonne renommée de lui, nostre bien amé Anthoine Vousy2, receveur de noz aides en Poictou et des tailles mises sus, tant pour noz affaires comme pour le paiement [p. 92] des gens d’armes logiez oudit païs, l’a ordonné et fait son commis ou païs de Thouarçois et en plusieurs autres lieux, en quoy il s’est aussi bien et notablement gouverné et gouverne sans ce que aucun se plaigne de lui, et que depuis naguères nous eussions envoyé en nostre dit païs de Poictou nostre amé et feal conseiller maistre Jehan Bureau, tresorier de France, pour reformer toutes manières de gens de tous cas3 ; et depuis ayons donné abolicion generale à tous les habitans dudit païs de tous les cas qu’ilz pourroient avoir commis et perpetrez, tant en general que en particulier, supposé qu’ilz ne feussent exprimez en nos dictes lettres d’abolicion, excepté de crime de lèze majesté, herezie et meurdre d’aguet apensé. Neantmoins, pour ce que trois ans a ou environ paravant nostre dicte abolicion, ledit suppliant achetta ou fist achetter de ung appellé Fremin Caignet trente ou quarante milliers de mailles que l’en avoit apportées du païs du Liège et en eut cinq ou six pour ung denier tournois, et les exploicta, et en bailloit aucunes foiz quatre, aucunes foiz cinq pour ung denier ; car lors on ne povoit bonnement finer de change, obstant que bien longtemps paravant on n’avoit en noz monnoyes forgié doubles mailles, deniers ne autre menu [p. 93] change et en avoit le peuple grant disette ou souffrance, car souventes foiz les povres gens envoyent querir maille de moustarde, de chandelle ou autres petites choses à eulx necessaires, qui n’ont de quoy plus largement en acheter ; et par ce aussi que l’en a aucunement acoustumé de user desdictes mailles en fait de change au païs, il ne cuidoit en riens mesprendre. Et supposé que aucune faulte y eust, si en devroit il estre quicte moyennant nostre abolicion dessus dicte, et que ledit Fremin Caignet a esté trouvé depuis saisy de certains faulx doubles et deniers, dont ledit suppliant n’a riens veu ne eu, et à ceste occasion a esté prins et mené à Paris prisonnier par devers les generaulx maistres de noz monnoyes, et ledit suppliant a esté adjourné à comparoir en personne par devant les diz generaulx maistres de nos dictes monnoies à Paris4, au lendemain de la saint André prouchainement venant. Et doubte icelui suppliant que, soubz umbre de ce que dit est, l’on le vueille molester et travailler, et dire le dit cas non estre comprins en l’abolicion dessus dicte, en son grant prejudice et dommaige, se par nous ne lui estoit sur ce pourveu de remède convenable, comme il dit, requerant humblement que, attendu ce que dit est et que audit païs a couru et encores courent plusieurs et diverses monnoyes, et que les mailles dessus dictes n’estoient point marquées à nostre marque, et en a usé en faisant change ou fait de sa dicte marchandise, en default d’autre change, sans contraindre aucun à les prendre, mais les prenoit l’en voulentiers, et se ledit cas n’est declairé en l’abolicion dessus dicte, aussi n’est il pas expressement [nommé] en l’expedicion, nous lui vueillons subvenir de nos diz grace et remède. Pour quoy nous, etc., audit suppliant avons [p. 94] octroyé et octroyons, de grace especial par ces presentes, que par le moyen de l’abolission dessus dicte, ainsi generalement donnée aux habitans dudit païs de Poictou, il demeure quicte et paisible du cas dessus dit, tout ainsi comme s’il feust en icelle abolicion expressement declairé, et lequel cas, en tant que besoing est, nous avons aboly et abolissons, et l’avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement à nos amez et feaulx conseillers les gens tenans et qui tendront nostre Parlement à Paris, aux generaulx maistres de noz monnoyes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Razillé, ou mois de septembre l’an de grace mil cccc. quarante et huit, et de nostre règne le xxvime.

Ainsi signé : Par le roy, l’evesque de Magalonne5, les sires de Precigny et de Gaucourt et autres presens. Rolant. — Visa. Contentor. E. Froment.


1 Jean Gendrot, fils de Pierre, d’une riche famille bourgeoise de Thouars, était, comme il le rappelle ci-dessous, l’un des commissaires des tailles dans la ville et la châtellenie de Thouars. Convaincu d’avoir, dans l’exercice de cette charge, exigé des contribuables des sommes excessives, il avait été condamné à payer, conjointement avec son collègue Jean de Lavau, une amende de 20 livres tournois, taxe pour laquelle il figure sur le compte de recette de la somme de 18000 livres accordée, à titre de composition, par les officiers royaux du Poitou qui avaient eu l’administration ou le maniement des deniers publics, afin d’obtenir des lettres d’abolition générale. (Arch. hist. du Poitou, t. XXXI, p. 137.) Ce délit et celui d’avoir spéculé sur les monnaies montrent déjà que, malgré la bonne réputation qu’il s’attribue, Jean Gendrot n’était pas trop scrupuleux sur le choix des moyens capables de l’enrichir. Mais il eut, quelques années plus tard, à répondre en justice de faits beaucoup plus graves, pour lesquels il fut, tout d’abord, détenu prisonnier à Thouars.

A la mort d’une de ses parentes, Colette Gendrot, veuve sans enfants de Jean Labbé, il s’était approprié frauduleusement les biens meubles de celle-ci et l’argent monnayé contenu dans ses coffres, montant à la somme considérable de dix ou douze mille écus. C’est du moins ce dont l’accusait Perceval d’Appelvoisin, écuyer, frère utérin de la défunte et son légitime héritier, qui se trouvait frustré d’une bonne part de la succession. Perrette Mignot, alors décédée, mère de Colette et de Perceval, avait été mariée trois fois : 1° à Pierre Gendrot (autre que le père de Jean), « qui estoit ung des plus riches hommes de la viconté de Thouars », dont naquit Colette Gendrot ; 2° à Guillaume Sevestre, « grand riche homme », mort sans postérité ; 3° à messire Louis d’Appelvoisin, « tenant mille livres de rente et riche en biens meubles », aussi défunt à l’époque, père dudit Perceval. Suivant la coutume, Perrette hérita successivement de tous les biens meubles et acquêts de ses trois maris, « et de son vivant fut renommée la plus puissante femme de son estat qui feust en Poitou ». Elle avantagea sa fille, lors du mariage de celle-ci avec Jean Labbé, « qui estoit grand riche homme et un des notables du païs, lequel trepassa, delaissant tous ses biens à Colette, sa femme ». Jean Gendrot sut capter la confiance de sa parente, qui lui donna en garde la plus grande partie de sa fortune.

Perceval, voyant sa sœur vieillir sans enfants, la laissa jouir des biens communs entre eux deux, jusqu’à ce qu’elle mourût à Thouars de la peste. Cette épidémie avait obligé le frère à s’absenter, tandis que Gendrot demeurait, sous prétexte de soigner sa parente et de donner ordre à ses affaires. Elle morte, il visita la maison, força la serrure, ouvrit les écrins et fit main basse sur tout ce qu’il trouva, puis, quand les coffres eurent été ainsi vidés, il y fit mettre les scellés par l’autorité judiciaire. Invoquant la considération dont il jouissait, sa réputation de négociant riche et honnête, Jean Gendrot niait avoir rien détourné de la succession de sa parente. Il n’aurait pu le faire, disait-il, sans être vu des nombreux gens qui alors conversaient, mangeaient et buvaient dans l’hôtel. Il affirmait d’ailleurs que Colette, riche en biens fonds, ne l’était pas en meubles. Le procès, porté au Parlement, y dura plus de sept ans ; l’on en peut suivre les péripéties du 13 juillet 1456 au 13 juillet 1463, mais nous n’en connaissons pas la solution définitive. (Arch. nat., X2a 27, fol. 110 v°, 111, 272 v° ; X2a 28, aux dates des 13 juillet 1456, 31 janvier et 12 décembre 1457, 7 mai 1459 ; X2a 30, fol. 44, 265 v°, 266.)

Guillemine Flamand, femme de Jean Gendrot, et son fils, André, furent aussi poursuivis comme complices de ces détournements. André Gendrot possédait le fief de Bilazais près Thouars, ou du moins son fils aîné Colin en fit l’hommage le 13 octobre 1483. (Les fiefs de la vicomté de Thouars, publ. par MM. le duc de La Trémoïlle et H. Clouzot. Niort, 1893, in-4°, p. 84.)

2 Sur ce personnage cf. ci-dessus p. 55 et note.

3 Jean Bureau, maître des comptes, trésorier de France, maître de l’artillerie, chambellan du roi, etc., décédé à Paris, le 5 juillet 1463. (Voy. notre vol. précédent, p. 172, note 3.) Il avait été envoyé en Poitou, avec mission de faire une enquête approfondie sur les excès, abus de justice, exactions et autres prévarications des officiers de justice et de finance, d’exercer des poursuites et de punir les coupables. C’est alors que les gens du pays envoyèrent au roi des députés, pour lui offrir une somme fixée d’un commun accord à 18000 livres, moyennant laquelle ils obtinrent des lettres d’abolition générale, datées de Montils-lès-Tours, mars 1447, dont le texte a été publié dans notre précédent volume, p. 413-418. Par autres lettres du 24 mai suivant, Jean Bureau fut encore chargé, avec l’évêque de Poitiers, Jean Gouge de Charpaignes, et Jean Rabateau, président au Parlement, « d’asseoir, imposer et esgaler icelle somme de xviiim livres sur tous les delinquans, crimineulx et malfaicteurs dudit païs de Poictou, en ayant regard à leurs facultez et puissance, et aussi aux crimes, deliz, abuz et malefices par eulx commis et perpetrez, le fort portant le foible, etc. » (Arch. hist. du Poitou, t. XXXI, p. 120.)

4 Les registres des causes civiles de la Cour des Monnaies à Paris présentent une lacune du 2 janvier 1438 n.s. au 11 décembre 1456, et les registres des matières criminelles ne commencent que le 22 juin 1470. (Arch. nat., série Z1B.)

5 Robert de Rouvres, d’abord évêque de Séez (de 1422 au 4 mars 1433), fut transféré au siège épiscopal de Maguelonne à cette dernière date et l’occupa jusqu’en décembre 1453.