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MCXC

Rémission donnée en faveur de Jacques Poussart, écuyer, poursuivi à cause du meurtre de Simon Pelletier qu’il avait frappé d’un coup de dague, celui-ci et ses deux frères l’ayant assailli sous prétexte qu’il chassait dans leurs vignes.

  • B AN JJ. 185, n° 242, fol. 173
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 178-181
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France, à tous ceulx qui ces presentes lettres verront, salut. Savoir faisons nous avoir receu l’umble supplicacion de Jacques Poussart, escuier1, aaigié de vingt cinq ans ou environ, contenant que, le lendemain de Pasques fleuries, penultime jour de mars derrenier passé, il se parti après disner de l’ostel de Lousmelière, appartenant à sa mère, à pié, ung tiercelet d’autour sur le poing et deux petiz chiens à oyseaux avec une levrière seulement, pour aler en gibier pestre son dit oyseau sur une perdriz, en attendant maistre Thibault Gracien2, bourgoys de Saint Maixent en Poictou, qui se devoit venir esbatre avec lui audit lieu de [p. 179] Losmelière. Et quant il fut près du villaige de Bessagu, il sailli une perdriz que ledit tiercelet vola et remist en ung fief de vignes, appellé Riantbeuf, où ledit suppliant entra après son dit tiercelet ; et tantost qu’il fu dedans, ladicte perdriz revola dehors en ung champ appartenant à maistre Pierre Claveurier à cause de sa femme3. Et ainsi comme ledit suppliant poursuivoit son dit tiercelet, survindrent Jehan, André et Simon Peletiers, frères, demourans à Bessé en la paroisse d’Augé, chacun une besoche à son col, et tantost tous esmeuz et eschauffez s’adrecèrent audit suppliant, en l’appellant truant et en lui disant qu’il avoit fait que saige de saillir de leur vigne, et qu’il avoit fait cheoir et abatre les bourgeons à ses chiens, et que se il lui eussent trouvé, ilz l’eussent bien froté. Dont ledit suppliant, qui est gentilhomme et de bonne maison, fut bien esbay, et leur demanda à qui ilz parloient. Lesquelz lui respondirent très impetueusement qu’ilz parloient à lui, et tantost s’aprouchèrent de lui, et le cuida ledit Jehan fraper de sa besoche sur la teste, mais ledit suppliant, se recula et cheut le cop sur son braz dextre. Et lors icelui suppliant, voyant lesdiz trois frères qui estoient tous jeunes de xxv. à xxxii. ans ou environ, ainsi esmeuz contre lui et qu’il estoit seul et n’avoit de quoy se defendre, fors d’un petit eschalaz ou paisseau de vigne tout pourry qu’il tenoit en [p. 180] sa main, et d’une petite dague seulement qu’il avoit pendue à sa saincture, fut moult esbay, et pour eviter leur fureur, s’en cuida fouir, mais il ne peut, tant le suivoient fors et de près lesdiz frères, et tousjours le frappoient de leurs besoches tellement qu’ilz rompirent le paisseau, dont il se targeoit et mettoit au devant desdiz cops. Et lors il tira sa dicte dague, et afin d’avoir chemin pour s’en fouir, en frappa ung petit ledit Jehan Peltier par la poictrine, pour le faire ruser4 du chemin, toutes voies il ne lui fit pas grant mal, car il ne tendoit fors seulement se eschapper. Mais ce non obstant lesdiz frères se mistrent tous à l’entour de lui et l’acullèrent contre ung buisson, et pour ce qu’ilz ne osoient pas bonnement eulx aprocher ne joindre à lui, pour doubte de ladicte dague, ledit Jehan Peletier print une pierre et une mothe ensemble et la lui gecta à la teste, et en ce faisant s’aproucha de lui et le frappa de sa dicte besoche sur l’espaule, en amonestant sesdiz frères qu’ilz le frappassent aussi. Toutesvoies ledit suppliant s’eschappa d’eulx et s’en fouy ; mais en fuyant, l’un d’eulx gecta sa besoche après lui et le frappa par la main, de laquelle il tenoit sa dicte dague, tellement qu’elle cheu à terre, et ainsi comme ledit suppliant s’arresta pour la reprendre, lesdiz frères gectèrent leurs dictes besoches à l’encontre de lui, l’une des quelles assena ledit suppliant par la teste près de l’ueil dextre tellement qu’elle lui fist une grant playe, dont sailly moult grant effusion de sang, et tout estourdy cheu dudit coup à terre, et avoit tout le visaige et les yeulx couvers de sanc. Mais non contens de ce, iceulx frères se gectèrent tous sur lui, et en ce faisant ledit Simon Peletier eut ung cop seulement de ladicte dague par les coustez ; ne scet ledit suppliant se il frappa ledit Simon ou se lui mesmes en soy mettant sur lui se bleça, car il ne pensoit [p. 181] fors à la mort et que lesdiz frères le meurdrissent et occissent ; et illec le batirent et folèrent tellement qu’ilz le laissèrent comme mort en la place, et s’en allèrent. Et illecques demoura ledit suppliant jusques à ce que ung appellé Jehan Cousturier et ung autre appellé Jehan Usurer survindrent et l’emmenèrent oudit hostel de Lousmelière. Toutesvoies ledit Simon Pelletier, par deffault de gouvernement ou autrement ala, comme l’en dit, le landemain, de vie à trepassement. Et doubte ledit suppliant que, soubz umbre du cas dessus dit, ouquel lesdiz frères ont esté tousjours agresseurs, et n’ait ledit suppliant riens fait se non en se defendant et pour eviter la mort et fureur d’iceulx frères, et lequel, à l’occasion de ladicte bateure que lesdiz frères lui ont faicte, a esté longuement malade et a l’en pluseurs foiz esperé en lui la mort plus que la vie, et convenu qu’il ait esté amené en la ville de Poictiers pour soy faire guerir, l’on le vueille molester et travailler, mesmement que jà nostre procureur en Poictou l’a sur ce fait adjourner par devant nostre seneschal de Poictou ou son lieutenant et contre lui obtenu, comme l’on dit, deffault, lui estant ainsi malade et qu’il ne povoit comparoir, se sur ce ne lui estoit par nous pourveu de nostre grace et remède, requerant humblement, etc. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans audit suppliant subvenir, en tant que besoing seroit, de nos dictes grace et remède et le relever des vexacions et travaulx que il pourroit avoir à l’occasion de ce que dit est, à icellui suppliant avons, etc., quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement audit seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc., Donné à Paris, le xxiie jour de juing l’an de grace mil quatre cent cinquante, et de nostre règne le xxviiie5.


1 Jacques Poussart, écuyer, alors seigneur de Beauregard, puis de l’Houmelière dont il hérita de sa mère, Mathurine Lambert, appartient à une branche inconnue des généalogistes. Ceux-ci ne donnent pas la descendance de Laurent Poussart, seigneur de Faye près la Rochelle, deuxième fils de Jacques, seigneur de Peyré, et de Catherine de Vivonne, auquel notre personnage pourrait fort bien se rattacher. Ce qui est certain, c’est que Jacques était fils de Jean Poussart, seigneur, à cause de sa femme, Mathurine Lambert, de l’Houmelière et d’un fief à Clavé, qui rendit aveu de ce dernier, sis dans la mouvance de Saint-Maixent, par acte daté de cette ville, le 10 mars 1438 n.s. (Arch. nat., P. 5532, cote 398, anc. 48). On possède aussi un aveu du 22 juillet 1443, rendu par Jacques Poussart pour la moitié de la dîmerie du Breuil de Fellés, paroisse de Saint-Christophe-sur-Roc, relevant également de Saint-Maixent. Cette dîme se levait sur « les villages de Bourduil, de Feliz, de Breuil de la Groye, de la Rivière, du Plantis, de la Geneste, etc. » (P. 5193 cote xiiiic iiiixxii.) Parmi les noms isolés, relevés dans l’anc. édit. du Dict. des familles du Poitou (t. II, p. 546), on lit cette mention qui paraît se rapporter à notre personnage : « Jacques Poussart, sr de L’Houmelière, eut de Perrette Pichier, son épouse, Jean, sr de L’Houmelière, vivant en 1533 et habitant l’élection de Fontenay-le-Comte, marié à Catherine de Bernezay. »

2 Un Thibaut Gracien était, le 24 juin 1380, sénéchal de l’abbaye de Saint-Maixent. (A. Richard, Arch. du château de la Barre, t. II, p. 249.)

3 Pierre Claveurier, fils cadet de Maurice Claveurier, lieutenant du sénéchal de Poitou et de sa première femme, Guillemette Gautier. Il a été question de ses démêlés avec la justice, dans notre précédent volume, p. 41, note, à l’occasion du meurtre d’Herbert Bernard, pour lequel il avait obtenu des lettres de rémission, et de violences par lui exercées sur la personne de Guillemette Petit. De concert avec Guillaume, son frère aîné, il avait intenté un procès à son père au sujet de la succession de leur mère, mais sur le conseil de ses parents et « affins » et « attendu que ce procès est très mal seant et au grand prejudice de son ame », il s’en désista par acte du 1er juillet 1443. (Arch. du château de la Barre, t. II, p. 15, 16, 408.) Cette année-là même, il était échevin de Poitiers ; il fut aussi capitaine du château de Dissay pour l’évêque de Poitiers, et, en 1459, sénéchal de la châtellenie de Montreuil-Bonnin. (Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. II, p. 513.) Il s’agit ici de sa seconde femme, Jeanne Poussart, dame de Boisferrand, fille de Barthélemy.

4 Plus souvent écrit « reuser », faire reculer, repousser, écarter, éloigner. (F. Godefroy, Dict. de l’anc. langue française.)

5 Le texte de ces lettres est inséré dans une autre rémission que Jacques Poussart se fit délivrer au mois de novembre 1451, à la suite d’un nouveau meurtre dont il s’était rendu coupable, à la porte de son hôtel de Beauregard, sur l’un des officiers de la dame de Cherveux, qui venait le mettre en état d’arrestation.