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MCCLXIV

Rémission en faveur de Guillaume Fricquet, boucher, demeurant à Saint-Sauvant, qui en tirant de l’arc avec ses compagnons, avait blessé mortellement, par mégarde, un habitant de Lesterp, nommé Simon Audéer.

  • B AN JJ. 187, n° 153, fol. 78 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 421-424
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Guillaume Fricquet, jeune compaignon, de l’aage de vint ans ou environ, filz de Mathelin Fricquet, boucher, demourant ou bourg de Saint Sauvain en Poictou, en la chastellenie de Lezignen, contenant que en l’an mil cccc. cinquante quatre, le dimenche d’après la feste de Toussains, ledit suppliant et autres jeunes compaignons se transportèrent en ung pré appartenant, comme l’en dit, à ung nommé Pierre Audeer, laboureur, demourant ou village de Lesterpt de la parroisse dudit Saint Sauvain, lequel pré est contigu et touchant par l’un des boutz d’icellui au grant chemin public par lequel l’on va dudit lieu de Lezignen et dudit village de Lesterpt et autres villages circumvoisins audit bourg de Saint Sauvain ; ou quel pré ledit suppliant et les diz autres compaignons, si tost qu’ilz furent arrivés en icellui, commancèrent à tirer et jouer de l’arc au long dudit pré à deux chappeaulx, desquelx [p. 422] ilz avoient faiz leurs butz. Et advint que, pendant ce qu’ilz tiroient par ledit pré, plusieurs des habitans des villages dudit lieu de Lesterpt, de Nullé, de Nemarie1 et de Sayre qui aloient à vespres à l’eglise dudit lieu de Saint Sauvain, dont ilz sont de parroisse, survindrent oudit pré, ouquel ilz entrèrent et prindrent leur voye, pour ce que ledit grant chemin public, à l’endroit d’icellui pré, estoit pour lors telement rompu et plain d’eaue et de boue que à bien grant peine gens de pié y pouvoient passer ; lesquelz habitans, entre lesquelz estoient feu Simon Audeer, filz dudit Pierre Audeer, auquel le dit pré appartient, et sa femme, Mathelin et Jean Audeers, leurs enfans, demorans pour lors oudit village de Lesterpt, Jehan Delavau et Pernelle Lesperonne, sa femme, dudit village, Jehanne Bossarde, femme de Guillaume Buneteau, dudit village de Nullé, Jehanne et Pernelle Audeers, filles de Michau Audeer, Katherine Bernarde, femme de Michau Durant, demorant oudit village de Nemarie, Jehan Aymerigeau et sa femme, après qu’ilz furent arrivez oudit pré, s’arrestèrent ung peu à veoir et regarder tirer ledit suppliant, et Phelippon Fricquet, fils de Jehan Fricquet, dudit bourg de Saint Sauvain, et cousin germain dudit suppliant, et Gregoire Delavau, filz de Jehan Delavau, bolengier dudit lieu de Saint Sauvain. Et ce pendant qu’ilz regardoient ainsi les diz tireurs, icelluy suppliant et ses diz compaignons tirèrent un cop ou deux contremont le long dudit pré. Et quant ledit suppliant et l’un des compaignons furent alez à l’un des boutz dudit pré pour querir leurs traiz et fleuches, il se print à tirer à l’autre bout dudit pré, du cousté et par devers ledit grant chemin public où estoient les dessus diz habitans. Et commança ledit suppliant à tirer le premier ; et paravant ce qu’il tirast et laissast aler son trait, cria et hucha à haulte voix, par deux ou trois [p. 423] foiz, à tous les dessus diz habitans en general qu’ilz se tirassent arrière de leur jeu et se gardassent du trait ; lesquelz ainsi le firent, fors et reservé ledit feu Simon Audeer qui ne voulsit bouger du lieu où il estoit, ains dist audit suppliant et à ses diz compaignons qu’ilz tirassent hardiment. Et lors ledit suppliant tira et laissa aler son dit trait et fleiche, qui ala et cheut sur le dit feu Simon Audeer, qui estoit loing dudit but d’une lance ou environ, et le frappa ou front au dessus de l’uie sur le costé senestre. Et incontinent que le dit Simon Audeer se senty feru et blecié, il tira ledit trait et fleiche de sondit front et la plaie se print à saigner ; et sa femme print ung couvrechié qu’elle avoit et en banda le front et plaie dudit Simon, son mary, et l’emmena et retourna à leur hostel oudit village de Lesterpt. Ouquel il fut après, par l’espace d’un mois ou environ, ung pou malade et sans estre ne soy tenir en lit. Pendant lequel temps et ainsi qu’il commençoit fort à guerir, il commença à besongner et fist deux ou trois [fois] chauffer leur four, à quoy il s’eschauffa telement que sa dite plaie s’enbourrouma ou apostuma ; et si fut aux champs veoir les blez de son père et lui. Et au bout dudit mois, par son mauvaiz ou simple gouvernement, ou autrement, il ala de vie à trespassement, disant à la fin de son dit trespas qu’il mouroit par sa faulte et coulpe, et que ledit Guillaume Fricquet, suppliant, n’en povoit mais, requerant à ses diz femme et enfans qu’ilz n’en feissent aucune poursuite contre ledit suppliant. Et combien que icellui suppliant n’ait fait ledit cop et cas à son essient et ait, comme dessus est dit, crié et huché à haulte voix : « Gare le trait ! » et que l’en se ostast du jeu, telement que tous ceulx qui là estoient le oyrent, et mesmement ledit Simon qui à ce respondi audit suppliant qu’il tirast hardiement, et ne se voult oster de là où il estoit, et que en tous autres cas il ait tousjours esté et soit bien famé et renommé, etc., ce non obstant icellui suppliant doubte rigueur de justice [p. 424] et que on voulsist contre lui rigoureusement proceder, et que sa desertion totale s’en ensuivist, se nostre grace et misericorde ne lui estoit sur ce impartie, humblement requerant icelle. Pour ce est il que nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Saint Pourcein, ou mois de novembre l’an de grace mil cccc. cinquante et cinq, et de nostre règne le xxxiiiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Des Vergiers. — Visa. Contentor. J. Du Ban.


1 Aujourd’hui « Annemarie ».