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MCCLXII

Rémission donnée en faveur de Jacques Punot, de Luçon, homme d’armes de la compagnie de Jean de Laperche, poursuivi pour le meurtre de Guillaume Morin, avec lequel il s’était querellé la veille à Luçon.

  • B AN JJ. 191, n° 123, fol. 65
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 412-416
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jaques Punot, jeune homme de l’aage de vingt deux ans ou environ, filz et heritier principal de feu Jehan Punot, homme de guerre estant à present à la garde de nostre ville de Bourc, soubz la charge de nostre bien [p. 413] amé Jehan de La Perche, dit Verdun1, escuier, cappitaine de par nous de ladite ville de Bourc, contenant que, après le trespas dudit feu Jehan Punot, père dudit suppliant, et paravant, icelluy suppliant, qui est son heritier principal, s’est bien doulcement et paisiblement gouverné, sans avoir esté reprins, actaint ou convaincu d’aucun villain cas, blasme ou reprouche. Lequel suppliant, après le decès de sondit père, le landemain de la Penthecouste l’an mil iiiic xlix, se trouva en la ville de Luçon, en l’ostel de Simon Raffin, barbier, demourant audit lieu de Luçon, avec plusieurs marchans et autres gens dudit lieu de Luçon, lesquelz ainsi assemblez commancèrent par esbat à jouer pour le vin aux transchouers2, pour les mettre et gecter au plus près d’une merche qui estoit sur une table ; avec lesquelz ledit suppliant joua par aucun temps et y guaigna plusieurs alées. Auquel lieu survint ung nommé Guillaume Morin, qui estoit homme grant et puissant de corps, varlet et serviteur d’un nommé Regnault Guymar3, demourant audit lieu de Luçon. Lesquelz suppliant et Morin commencèrent à jouer ensemble audit jeu des transchouers l’un contre l’autre, et y jouèrent l’espace d’une heure ou environ, sans gaigner l’un sur l’autre ; et pour ce que pendant [p. 414] le temps que lesdiz suppliant et Morin jouoient ensemble audit jeu, aucunes personnes qui avoient à besoingner avec ledit suppliant pour avoir de l’erbe de ses prez, qu’il avoit audit lieu de Luçon, survindrent illec, icellui suppliant se departy dudit lieu et laissa le jeu. Et le dismanche ensuyvant, ledit suppliant estant devant la halle dudit lieu de Luçon, en la compaignie de plusieurs personnes notables, environ heure de midi, ledit Guillaume Morin, qui avoit une dague à sa saincture, courroucié de ce que ledit suppliant s’estoit paravant desparty d’avecques luy et avoit laissié ledit jeu, pour aler besongner avecques ceulx qui lui avoient demandé avoir l’erbe de ses diz prez, vint impetueusement contre ledit suppliant et lui dist telles parolles ou semblables : « Vien à la taverne parachever ton jeu », et lui tira le chapperon de dessus la teste. Et à ceste occasion, y eut illec dites entr’eulx aucunes grosses et rigoureuses parolles, combien que ledit suppliant se porta en tout bien gracieusement. Après les quelles choses, ledit Morin esmeu et courroucié, comme dit est, tira sadite dacgue qu’il avoit à sa sainture et dist audit suppliant qu’il la luy passeroit quatre doiz hors le travers du corps, en l’appellant « Villain, truant, paillart, filz de l’orde vieille », et que quelque part qu’il le trouveroit, qu’il le comparoit. A quoy ledit suppliant respondy qu’il avoit menty. Lequel Morin, en haine de ce ou autrement, le jour ensuyvant, environ souleil couchant, mena son cheval pour paistre en certains prez et domaines près dudit lieu de Luçon, à lui appartenans. Et ce venu à la congnoissance dudit suppliant et pour doubte dudit Morin, porta avec lui une espée qu’il avoit, et en soy retournant de ses diz prez, environ jour couché, il rencontra soubzdainement ledit Morin, lequel s’estoit arresté en ung carrefour près dudit lieu de Luçon, d’aguet apensé, pour attendre ledit suppliant. Auquel Morin ledit suppliant demanda qu’il attendoit là à l’aguet. Et tantost ledit Morin, qui aussi [p. 415] estoit seul, vint la dague nue, contre ledit suppliant, et d’icelle le voult frapper et tuer, s’il n’eust demarché. Et lors ledit suppliant, doubtant la personne dudit Morin, lequel estoit plus fort et puissant que lui, tira ladicte espée qu’il avoit, et ilec s’entrebaillèrent les diz suppliant et Morin plusieurs cops l’un à l’autre, et mesmement ledit suppliant frappa ledit Morin ung cop par la teste de la dicte espée et ung cop ou visaige, et luy bailla aussi ung autre cop en la cuisse. Les quelles choses dessus declairées ou la pluspart d’icelles ledit Morin a depuis confessées estre vrayes. Lequel Morin, pour soy faire guerir des diz cops et plaies, s’en ala d’ilec en l’ostel dudit Simon Raffin, barbier, où il se fist penser, sans ce que à l’occasion desdiz cops et plaies ledit Morin ait aucunement esté detenu malade au lit, et n’a point laissé à aler par tout, comme homme sain, pour quinze jours ou trois sepmaines, et ne demandoit que une escu audit suppliant pour son interest, et pour soy faire penser. Et depuis, pour certains excès qu’il fist, tant en portant certain bois de la forest dudit lieu de Luçon jusques audit lieu de Luçon, où il y a de distance de demye grant lieu ou environ, que pour autres excès qu’il fist en buvant aux tavernes et autrement quoy que soit, par le moien desdites playes qui se enflamèrent et esmeurent de rechief à l’occasion des ditz excès, ledit Morin cheut au lit malade, tellement que à peine ledit barbier de Luçon y voult mettre les mains, pour ce qu’il congnoissoit qu’il estoit en dangier de mourir, et pour son mauvais gouvernement. A l’occasion desquelz cops et excès, par faulte de bon gouvernement ou autrement, ledit Morin ala, deux ou trois jours après, de vie à trespassement. Après la mort duquel Guillaume Morin, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, se absenta du païs de Poictou et ville de Luçon, où ses diz biens, tant meubles que heritaiges, sont situez et assis, lesquelz ont esté prins par la justice dudit lieu de [p. 416] Luçon, et autres où ilz sont situez et assis. Et s’est ledit suppliant, depuis son absence dudit païs, applicqué en nostre service, tant soubz la charge dudit Verdun que autrement, et ne oseroit jamais retourner ne converser seurement au païs, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties ; humblement requerant que, attendu que ledit feu Guillaume Marin fut agresseur de fait et de parolle, et que ledit suppliant luy bailla lesdiz cops en son corps deffendant, que ledit cas est avenu de chaude colle et par le moyen dudit jeu, que lesdiz suppliant et Morin n’avoient, paravant qu’ilz eussent joué ensemble, aucun debat ou discort, que ledit feu Guillaume Morin estoit content dudit suppliant au temps de son trespassement, que ledit suppliant estoit jeune et qu’il s’est depuis employé en nostre service et fait encores chacun jour, etc., il nous plaise luy impartir nostre dite grace. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant, etc., avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, aux seneschaulx de Poictou, Xantonge et Guienne, gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Bourges, ou mois de juillet l’an de grace mil cccc. cinquante cinq et de nostre règne le xxxiiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. G. Authouis. — Visa. Contentor. J. Du Ban.


1 Ce Jean de La Perche, aliàs dit « Vredin », était seigneur de Velluire en Poitou, à cause d’Inde de La Rochechandry, sa femme. Le 15 août 1451, il rendit aveu au connétable de Richemont, seigneur de Parthenay, d’« ung viel chastel froust appellé le chastea de Chaillé », mouvant des château et châtellenie de Mervent. (Arch. nat., R1* 204, fol. 44 v°.)

2 Jeu du palet.

3 Un Jean Guymar était châtelain puis sénéchal de Talmont pour Louis d’Amboise, vicomte de Thouars (actes des 23 novembre 1444 et 17 juillet 1452. Cartulaire de l’abbaye d’Orbestier, t. VI des Arch. hist. du Poitou, p. 490, 527) ; il était en procès, au Parlement, les 5 et 8 juin 1469, contre Jean Chauvin, qui le poursuivait pour excès, ainsi que les autres officiers de Talmont. (Arch. nat., X2a 35, aux dates.) Ce nom paraît être le même que Gaymart, qui est celui d’une ancienne famille du Bas-Poitou. Dans la liste des complices de Georges de La Trémoille, que l’évêque de Luçon, Jean Fleury, poursuivit pour violences, pillages, vols et autres crimes commis à son préjudice, se trouve un Pierre Gaymart, de Luçon. (Cf. vol. précédent, Introduction, p. liii, note.)