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MCC

Rémission en faveur de Jean Barraut, natif d’Ambière (auj. Saint-Genest), qui avait tué, à la Coue, village dépendant de cette paroisse, Jean Bordier, dans une rixe provoquée par celui-ci.

  • B AN JJ. 185, n° 34, fol. 28
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 206-213
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Barrault, filz de Laurens Barraut, natif de la parroisse d’Ambière ou viconté de Chastellerault, aaigé de vingt ans ou environ, contenant que, le jour saint Eloy qui fut le landemain de la Nativité saint Jehan Baptiste derrenierement passée eut ung an ou environ, le dit Barraut, suppliant, et Jehan Barraut, du Pré, son cousin, parroissien de Doussay, et Simon Moraut, parroissien dudit lieu d’Ambière se trouvèrent ensemble tous [p. 207] d’une part au lieu et villaige de la Coux en ladicte parroisse, et ilecques firent parties à jouer à la paulme et jouèrent contre ung nommé Jehan Bourdier, grant Jehan Bordier et Guion Bordier, tous frères. Et après la dicte partie ainsi faicte, jouèrent ensemble audit jeu de paulme audit lieu de la Coux, pour le vin, l’espace de trois à quatre heures après mydy. Auquel jeu de paulme les diz Bordiers frères perdirent le vin, et après ce alèrent tous ensemble boyre chex ung nommé Laurens Amoureux, demourant audit lieu de la Coux, qui vendoit vin à detail. Et après ce qu’ilz eurent beu leur vin dudit jeu, icellui Jehan Bordier, sans paier son escot, s’en ala chex ung nommé Jehannin François, demourant audit lieu de la Coux, qui semblablement tenoit vin à vendre, et dist qu’il aloit chex ledit François querir de l’argent ; et pour ce qu’il tardoit trop, le dit grant Jehan Bordier envoya Guion Bourdier, son frère, dire audit Jehan Bordier qui estoit chex ledit François qu’il s’en venist paier son escot. A quoy ledit Jehan respondy audit Guion, son dit frère, qu’il s’en alast, et que tantost il yroit après lui. Et après ce qu’ilz orent attendu aucun pou de temps, ledit grant Jehan Bordier y renvoya ledit Jehan Barraut, du Pré, cousin dudit suppliant, chieux ledit François, pour dire de rechief audit Jehan Bordier qu’il retournast chex ledit Amoureux, pour paier son escot. Lequel Barraut du Pré fist son messaige, et quant il ot fait, ledit Jehan Bordier lui dist qu’il n’avoit point d’argent et en demanda audit François, qui lui en bailla. Après ce que ledit François ot baillé ledit argent audit Jehan Bordier, icellui François dist audit Barraut du Pré de quoy il se mesloit de lui fortraire ses gens qui buvoient en sa maison, et qu’il yssist hors, et qu’il ne se trouvast point auprès de lui. Lequel Barrault du Pré, qui vouloit rapporter la response dudit Jehan Bordier à son dit frère, dist de rechief audit Jehan qui pour lors le convia à boire : « Venez vous en paier vostre [p. 208] escot, et nous en allons. » Et en ce disant, s’entreprindrent de parolles ledit Bordier et ledit Barraut du Pré. Sur lesquelles parolles survint ledit Barraut, suppliant, chex ledit Jehan Françoys ; et tantost qu’il fut au dedans de la maison d’icellui Jehan François, ledit Jehan Bordier, sans dire autre chose, s’efforça de frapper icellui Barraut, suppliant, par la poictrine d’un couteau qu’il avoit, et en soy destournant et fuyant au cop, cuidant evader la fureur dudit feu Bordier, icellui Bordier le frappa d’icellui cousteau parmy la teste de la pointe tellement que le sang en sorty, et lui rompy le test jusques au cerveau, et dudit cop ledit cousteau ploya. Lequel suppliant, ainsi blecé, sorty hors ladicte maison et acouru prandre ung pal de haye, et atout ledit pal s’en ala à l’uys dudit François et dist audit Jehan Bordier que il l’avoit afolé et que si le povoit attaindre, qu’il le blesseroit. Et après ce icellui Bordier, embastonné d’une barre d’uys et ledit François d’un grant bois de quoy on braye la fouace, et ung nommé Perrin Baillargeau, autrement appellé Terrin, d’une troinsaille1, tous raliez ensemble, poursuirent très fort ledit Barraut, suppliant, et lui convint s’en fouir très hastivement, et en fuiant son baston qu’il avoit lui cheut à terre. Pendant laquelle noise et debat, aucunes gens alèrent chez ledit Amoureux dire audit Laurens Barraut, suppliant (sic), que les Bordiers affolloient son filz, et sur ce sorty de cheux ledit Amoureux et ala veoir que c’estoit. Et trouva ledit Bordier et lui dist telles parolles ou semblables : « Ha ! tu as afollé mon filz ! » Et ledit Bordier lui respondit que par le sang Dieu, il feroit encores pis qu’il n’avoit fait et que, si le haseroit2, que si feroit il à luy mesmes. Et de fait de rechief icellui Bordier se voulu mettre en essoy de frapper icellui Jehan Barraut, suppliant, et ledit Laurens, son [p. 209] père, qui avoit ung baston gros comme le posse de trois piez de long ou environ, dont il bailla ung coup audit Bordier sur la teste, et non apparu qu’on apparceust aucune bleceure. Et quant ledit Bordier se trouva frappé par ledit Laurens, icellui Bordier tira son cousteau, s’aproucha tost contre ledit Laurent, en lui cuidant frapper ledit cousteau parmy le ventre, et de fait lui passa ledit cousteau parmy le cousté près les costes et lui perça dudit cop sa robbe, son pourpoint et sa chemise ; et non content de ce, ledit Bordier, qui ne peut pas parvenir à la fin qu’il tendoit, comme de tuer ledit Laurent, poursuit icelluy Laurens le cousteau enmy le poing, et ledit Laurens s’en fouyt. Et icelle poursuite faisant, on ala dire audit grant Jehan Bordier, frère dudit Jehan Bordier, que les Barraulx affoloient son frère. Et incontinant issit de chex ledit Amoureux et trouva le baston qui estoit choist audit Jehan Barrault, suppliant, et adreça le dit grant Jehan Bordier ses parolles audit Laurens Barrault et lui dist pourquoy c’estoit qu’il avoit batu son frère. Et il lui respondit qu’il avoit blessé son filz et cuidé le blecer luy mesmes. Et sur ce eurent plusieurs parolles ensemble, d’une part et d’autre. Après lesquelles, ledit Jehan Bordier vint de rechief atout son cousteau et s’efforça d’en frapper ledit Laurens, et aussi semblablement grant Jehan Bordier, qui estoit embastonné, disoit audit Laurens : « Pourquoy voulez vous frapper mon frère ? » et en [disant] ces parolles, haulsa le baston pour le cuidier frapper ; mais ung nommé Simon Moraut, qui estoit par derrière, empescha qu’il ne le frappast, et en perseverant tousjours à sa mauvaise voulenté, haulsa de rechief le baston pour cuider frapper ledit Laurens, lequel se recula ; et se mist ledit suppliant, son filz, entre deulx et cheut le coup sur la teste dudit Jehan Barraut, suppliant, tellement que dudit coup il cheut à terre et ne remuoit pié ne main, et cuidoit on qu’il fust mort. Et après ce, lesdis Bordiers se misdrent en fuicte, [p. 210] afin qu’ilz ne feussent prins, et fut emporté ledit suppliant cheux ledit Amoureux, et fut gardé toute nuyt, et y estoit ung chappellain nommé messire Adam, pour confesser ledit suppliant, s’il eust parlé. Mais il fut bien quinze jours ou environ sans parler. Et le landemain, il fut porté sur une table à force de gens chieux son père, et a esté bien demy an avant qu’il ait esté gary, et tout ce par le moien et malice dudit Jehan Bordier. Et après toutes ces choses et que ledit suppliant a esté guery, ledit Jehan Bordier, en perseverant en sa dicte malice, et pour monstrer la hayne qu’il avoit audit Barraut, suppliant, fut present, à ung jour de dimanche qui fut quinze jours après la Penthecoste derrenière passée, en bourg de Lacloiste oudit vicomté de Chastelleraut. Auquel lieu et jour, ledit Barraut, suppliant, avoit fait partie à jouer à la paulme, lui tout seul, contre ung nommé Micheau Thipheneau, dudit lieu, et Guion Bordier, frère dudit Jehan Bordier ; et estoit l’emprinse telle que ledit Barraut, suppliant, jouoit à l’encontre des autres deux, chacune allée pour ung cartier de chevreau. Et advint que ledit Barraut, suppliant, perdit deux emprinses, entre lesquelles ilz furent en debat d’une chasse que ledit suppliant avoit jouée ; et en leur debat ledit Bordier, sans ce qu’on lui en demandast du jeu, et de soy en jugea et dist les parolles, et dist que c’estoit Barraut qui l’avoit perdue, en monstrant tousjours sa malice contre ledit Barraut, suppliant. A quoy ledit suppliant lui respondit qu’il ne le croiroit point et qu’il en croiroit toutes gens de bien, en disant audit Jehan Bordier qui l’esmouvoit à en parler et qu’il ne se pouvoit tousjours tenir de parler sur lui, et que autres foiz lui avoit fait grant dommaige du corps. Et ledit Jehan Bordier lui dist telles parolles ou semblables en substance : « Tu n’en as pas eu assez, tu en auras de l’autre avant qu’il soit gaires de temps. » Et icellui suppliant lui respondy telle parolle : « Menasse qui te craint, et ne me [p. 211] abreuves point de parolles. » Et après ces parolles et choses dessus dictes, ledit suppliant et ses parties parachevèrent leur jeu, et puis alèrent boire chieux ung nommé Jehan Sermigneau, dudit lieu de Lacloistre, et rendirent les estues qu’ilz avoient empruntez, et burent chieux ledit Sermigneau. Et après boire, ledit suppliant et ses dictes parties yssirent en la rue, et de rechief eulx et plusieurs autres jouèrent à qui en seroit du jeu par ebat ; et y furent audit jeu par aucun temps et jusques à ce que ledit Micheau Thipheneau et ung nommé Micheau Nerbonneau, mosnier, se prindrent à jouer l’un contre l’autre pour ung quartier de chevreau, et perdit ledit Narbonneau deux emprinses et pinte de vin. Et en jouant survint la pluye qui les destourba de jouer. Et print icellui Thipheneau la robbe dudit Narbonneau et la porta chieux ledit Sermigneau, et fut avecques eulx ledit Jehan Barraut, suppliant, qui estoit leur juge ; et aussi y estoit ledit Jehan Barraut, du Pré, son cousin germain. Lesquelx, en attendant le soupper à appareiller, chantoient et foisoient bonne chière. Et eulx esbatant et faisant bonne chière, attendans ledit soupper, survint sur eulx ung nommé Jehan Limosin, de Doussay, Perrin Descartes et Colin Le Mareschal, parroissien d’Ambière, et plusieurs autres, et leur donnèrent à boire. Et après eulx survint aussi ledit Jehan Bordier, auquel ledit Jehan Barraut du Pré donna à boire. Et après ce ledit Bordier s’en ala asseoir au coign de la table, et ilecques trouva le chien dudit Jehan Barraut, suppliant, et d’un baston qu’il avoit frappa ung coup très fort sur ledit chien ; et estoit ledit baston de cosdre, gros comme la verge d’un fleau. Pour lequel coup le chien s’en fouy en la rue, et demanda ledit suppliant audit Jehan Bordier pourquoy c’estoit qu’il avoit frappé son chien ; et icellui Bordier luy respondy qu’il n’estoit pas sien et qu’il ne lerroit point pour lui à le frapper, et qu’il ne l’avoit point nourry. A quoy ledit suppliant luy respondy que sy estoit vrayement [p. 212] et qu’il l’avoit nourry. Et ledit Bordier luy dist qu’il regardast en la rue, pour veoir s’il estoit sien. Et en regardant tous deux ensembleement, ledit suppliant dist audit Bordier qu’il estoit sien, et ledit Bordier dist audit suppliant et respondit qu’il avoit menty, et qu’il n’estoit pas sien, et qu’il l’avoit plus nourry que n’avoit fait ledit suppliant. Et adonc ledit suppliant dist audit Bordier que c’estoit luy qui avoit menty, et en icelle parolle ledit suppliant bailla ung cop de baston audit feu Bordier sur le cousté destre de la teste, et estoit le baston court d’un pié et demy, ung peu plus gros que le posse. Et incontinant ledit Jehan Bordier dist audit Barraut, suppliant : « Ha ! traistre chien, me as tu frappé ! » et bailla du poing à icellui suppliant sur le visaige et l’embrassa parmy le corps. Et se trouva lors esbahy ledit Barraut, suppliant, quant il se vit ainsi saisy au corps par ledit Bordier, qui estoit fort et puissant de corps. Et ainsi qu’ilz s’entretenoient, chacun d’eulx s’efforçoit de trouver son cousteau ; et trouva ledit suppliant plus tost le sien que ne fist ledit Bordier ; et avant que ledit Bordier eust tiré le sien hors la guesne, icellui suppliant bailla ung coup de sondit cousteau par la poictrine audit Jehan Bordier. Et incontinant après ledit coup, icellui Bordier dist audit suppliant : « Tu m’as blessé, truant ! » Et tantost ledit Thipheneau et ledit Sermigneau qui survint, qui oyrent la plainte dudit Bordier, les deppartirent. Et après ce qu’ilz furent deppartiz, ledit Bordier s’efforça de rechief de frapper ledit suppliant d’un baston qu’il avoit. Mais il ne peut. Et lui disdrent ceulx qui estoient ilecques presens : « Ha ! ha ! tu as blessé Bordier. » Et tantost après ledit Bordier cheut à terre et ala de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, se absenta du païs, et n’y oseroit jamais demourer ne retourner, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce impartiz, humblement requerant que, attendu que ledit feu Bordier a [p. 213] esté tousjours agresseur, tant de fait que de parolles, envers ledit suppliant et que, avant ledit cas advenu, l’avoit ainsi feru du cousteau par la teste, navré et mutilé comme dit est, et aussi que ledit feu Bordier estoit en son vivant très rigoureux, noisif et coustumier de frapper du cousteau, et que ledit suppliant est jeunes homs de labour, aaigé de vingt ans ou environ, comme dit est, de bonne vie, renommée et honneste conversacion, il nous plaise lui pardonner, etc. Pour quoy nous, ce consideré, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, à icellui Jehan Barraut avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschal de Poictou, bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou mois de fevrier l’an de grace mil cccc. cinquante, et de nostre règne le xxixe.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Pregrimaut. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Tronçon, morceau de bois, échalas. (F. Godefroy, Dict. de l’anc. langue franç.)

2 « Haser » signifiait irriter, piquer, aiguillonner, etc. (Id. ibid.)