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MCCLXI

Rémission octroyée à Pierre de Sazay, écuyer, coupable du meurtre de Philippot de Châteauneuf, son beau-frère, pendant une discussion provoquée par ce dernier au sujet de la succession de Méry Regnoux, sr de Champmargoux, leur beau-père.

  • B AN JJ. 191, n° 149, fol. 79 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 409-412
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Pierre de Saray1, escuier, contenant que luy et feu Philippot de Chasteauneuf furent jà pieça conjoincts par mariage, c’est assavoir ledit suppliant avecques Katherine Regnouhe et ledit feu de Chasteauneuf avecques Jehanne Regnouhe, seurs, filles et heritières de feu Mery Regnoux, en son vivant, seigneur de [p. 410] Champmargoux, et de Marguerite Jenvre2, sa femme ; lequel feu de Chasteauneuf, qui en son vivant estoit homme brigueux et rioteux, se transporta naguères audit lieu de Champmargneux (sic), auquel lieu ledit suppliant et sa femme, comme à eulx appartenans à cause d’elle, pour leur droit de ainsnesse, faisoient et font leur demourance. Lequel de Chasteauneuf ledit suppliant receut bien et doulcement et luy donna à disner à bonne chère ; et après qu’ilz furent comme à la fin du disner, ledit de Chasteauneuf commença à parler rigoureusement avec ledit suppliant touchant la succession dudit feu Mery Regnoux, qui encores estoit par indivis entre eulx, et entre autres choses luy dist telles parolles ou semblables : « Pierre de Sazay, vous prenez tousjours le mien. Noz mestaiers vous ont donné deux chevreaux ; j’en devroye aussi bien avoir deux comme vous. » Lequel suppliant luy respondi que Guybaust de Chasteaubourdin leur en devoit ung, et qu’il le prist ou l’envoyast querir, se bon luy sembloit. A quoy ledit feu de Chasteauneuf respondit qu’il n’en vouloit point, pour ce qu’il estoit trop mesgre. Et lors ledit suppliant luy dist qui leur en estoit deu aussi deux à Bauçay et qu’il en prist ung. Après lesquelles parolles et plusieurs autres qu’ilz eurent ensemble touchant ladicte succession et la revenue d’icelle, ledit feu de Chasteauneuf, qui ne queroit que mouvoir debat et noise entre eulx, dist de rechief audit suppliant qu’il prenoit tousjours du sien, et qu’il avoit prins du mestaier de Vernichamp la somme de sept solz six deniers tournois, en la quelle somme il avoit sa part. Lequel suppliant lors luy dist et respondi que au regard desdiz sept solz six deniers, il estoit prest de luy en bailler sa part, et que autre chose il n’avoit de luy. Mais ledit feu de Chasteauneuf, en perseverant [p. 411] tousjours en sa malice, dist d’abondant audit suppliant que tousjours il prenoit du sien, et que ladite Marguerite Jenvre, mère de leurs dites femmes, le nourrissoit et luy aidoit à vivre, chacune année, de plus de cent solz. Lequel suppliant qui estoit homme doulx et paisible, bien famé et renommé, et nous a servi ou fait de noz guerres, et estoit encores assis à table, au devant dudit feu de Chasteauneuf, pour obvier à tous debatz, respondi tout doulcement audit de Chasteauneuf que ladite Jenvre, mère de leurs dites femmes, ne le nourrissoit point, et que si elle luy faisoit aucuns biens, il le deserviroit bien envers elle. Lequel feu de Chasteauneuf dist que si faisoit, et ledit suppliant luy dist que non. Et lors ledit de Chasteauneuf, qui encores estoit assis à table, se leva et en soy levant et tenant la main à sa dague, luy dist qu’il mentoit. Auquel ledit suppliant respondi que c’estoit luy qui mentoit. En disant lesquelles parolles, lesdiz suppliant et Chasteauneuf, qui estoient esmeuz à l’occasion d’icelles parolles et avoient bien beu ensemble durant leur dit disner, tirèrent leurs dagues. Lequel suppliant, veant ledit de Chasteauneuf esmeu et qu’il tenoit sa dague en sa main, doubtant que de sa dite dague il le frappast, pour ce qu’il s’estoit impetueusement levé de table, donna et frappa à icelluy de Chasteauneuf ung cop seullement de sa dague par la poictrine, du costé senestre. Après lequel cop frappé, ledit feu de Chasteauneuf monta sur le banc où il estoit assis, pour frapper de sa dite dague et cuider tuer ledit suppliant qui estoit assis devant luy à table, comme dit est, et s’efforça de frapper ou tuer ledit suppliant ; mais ceulx qui estoient presens oudit cas obvièrent à ce et se mirent entre deulx ; et ce fait, ledit suppliant mist sa dague ou fourreau, et descendit ledit feu de Chasteauneuf de dessus ledit banc, tenant sa dite dague en sa main, en disant qu’il estoit blecié, et luy dist [ledit suppliant], comme dolant et courrocé de [p. 412] l’avoir frappé, que maudictes feussent ces femmes. A l’occasion duquel cas, ledit de Chasteauneuf est depuis alé de vie à trespassement. Lequel suppliant, à l’occasion dudit cas, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et n’y oseroit jamais retourner ne converser, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu ce que dit, que ledit feu de Chasteauneuf fut agresseur de parolle et mist la main à la dague impetueusement, que ledit suppliant nous a par cy devant bien et loyaument servi ou fait de noz guerres, et qu’il est bien famé, etc., il nous plaise luy impartir nostre dite grace. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, aux seneschaulx de Poictou, de Xanctonge et Limosin, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Bourges, ou mois de juing l’an de grace mil cccc. cinquante et cinq, et de nostre règne le xxxiiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. De Puigiraut. — Visa. Contentor. J. Du Ban.


1 Pierre de Saray, ou mieux de Sazay, écuyer, tenait « à cause de sa femme, à hommage plain, la dixme du fié des Groyes assis en la paroisse de Béceleuf, desclaré plus à plein par ledit fief ». (Livre des hommages et aveux dus à Richemont, seigneur de Parthenay, Arch. nat., R1* 190, fol. 264.) Dans un aveu rendu le 19 mars 1460 n.s. au sieur de Parthenay (Dunois), par le sieur du Fontenioux, pour son hôtel du Fontenioux, l’hébergement de la Marière, etc., on lit que la Mothe-Barret et ses appartenances étaient tenus de lui sous ledit hommage, à foi et hommage lige par Pierre de Sazay, qui avait sous lui plusieurs hommes de foi et roturiers. (A. Richard, Archives du château de la Barre, t. II, p. 205.) Peut-être était-il le fils d’Aimery de Sazay (lui-même fils de Jean de Sazay) et de Guillemette de La Forest, fille de Jean de la Forest, dit de Mons, que l’on trouve en procès, l’an 1430, contre Pierre Thibault et Jeanne de Voulon, sa femme, au sujet des hébergements de Gourdon et de Romefort en la châtellenie de Saint-Maixent, valant 60 livres de rente, et qui avaient appartenu à Aimery Bar. En 1408, lors des fiançailles d’Aimery de Sazay et de Guillemette (celle-ci étant âgée de huit ans et son futur époux de dix ans), il avait été convenu que ces deux terres leur seraient données en faveur de leur mariage. (Ordre de faire une enquête sur place, le 13 décembre 1430, Bibl. nat., ms. fr. 29143, Pièces originales, 2659, n° 3.)

2 Marguerite Janvre épousa, le 24 janvier 1419. « Aimery Renoul, écuyer », dit d’Hozier, cité par Beauchet-Filleau. (Dict. des familles du Poitou, 1re édit., t. II, p. 244.)