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MCCXXXIX

Rémission octroyée à Pierre Veau, demeurant à Chauché, dans la châtellenie des Essarts, poursuivi et emprisonné pour le meurtre de Jean Bruneau, seigneur de la Rabatelière, commis trente ans auparavant.

  • B AN JJ. 185, n° 307, fol. 212 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 338-341
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Pierre Veau, povre homme de labour, chargié de femme et de sept ou huit enfans, contenant que, trente ans a ou plus qu’il demouroit en la parroisse de Cauché en la chastellenie des Essars, en nostre pays de Poictou, lequel suppliant, pour l’entretenement de lui, son mesnage et faire son labourage avoit audit lieu beufz, [p. 339] vaches et veaulx, lesquelz beufz, vaches et veaulx, ung jour de Ascencion, estans aux champs pour pasturer, environ heure de vespres, ung nommé Jehan Bruneau, seigneur de la Rabatelière1, les trouva, ou partie d’iceulx en ses terres et dommaines, comme il disoit, et les en voult mener en prison, en son hostel de la Rabatelière ou ailleurs, où bon lui sembloit. Laquelle chose venue à la cognoissance dudit suppliant, il se transporta par devers ledit Jehan Bruneau, qui emmenoit son dit bestial, pour icellui recouvrer, tenant ung baston en sa main, pour ce que ledit jour ledit Bruneau avait batu son voisin. Et incontinent que ledit Bruneau vist venir ledit suppliant, il chevaucha à l’encontre de lui ; et après ce qu’il fut arrivé, ledit [p. 340] Bruneau lui dist qu’il laissast ledit baston. Lequel suppliant, doutant que, s’il eust laissé son baston, il lui eust couru sus, lui respondi que non feroit, en alant son chemin, dont ledit Bruneau ne fut pas content et de rechief dist audit suppliant qu’il laisseroit ledit baston, ce que ledit suppliant ne voult faire, et se arresta en disant audit Bruneau qu’il ne approuchast point de lui. Mais tousjours ledit Bruneau s’en approuchoit et le voult batre et oster ledit baston. Et quant ledit suppliant vist que le dit Bruneau le pressoit si fort, il se print à fouir, et ainsi qu’il fuioit, le filz dudit Bruneau courut après lui, et le print et arresta. Et tantost ledit Jehan Bruneau arriva sur eulx et descendi de dessus son cheval et print ung pal fendis de plate, duquel il voult frapper ledit suppliant. Lequel, pour obvier au cop, mist son baston au devant et recuilli son cop, et tellement que du ressort dudit cop le baston dudit suppliant frappa contre le visage dudit Bruneau. Lequel dist lors à son dit filz : « Tue le ! » Et cependant que le dit filz amassoit des pierres pour frapper ledit suppliant, le dit Bruneau et suppliant se combatoient de leurs bastons. En quoy faisant, ledit suppliant frappa le dit Bruneau de son dit baston parmy la teste, tellement que trois ou quatre jours après, par mauvais gouvernement ou autrement, le dit Bruneau ala de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, se absenta dudit lieu de Sauché et s’en ala demourer en nostre pays de Xanctonge, où il a tousjours depuis demouré, jusques ung mois a ou environ qu’il a esté prins pour ledit cas et amené prisonnier en noz prisons de Poictiers, èsquelles il est de present rigoreusement traictié et en aventure de finer miserablement ses jours, et doubte que on vueille contre lui proceder à rigueur de justice, se nostre grace et misericorde ne lui estoit sur ce impartie, humblement requerant que, attendu que ledit suppliant n’a pas esté agresseur et que ce qu’il a fait a esté en son corps defendant, [p. 341] et que en tous autres cas il a esté et est homme de bon fame, renommée et honeste conversacion, non actaint ou convaincu d’aucun vilain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise lui impartir nostre dicte grace. Pourquoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, aux seneschaulx de Poictou et de Xanctonge, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Saint Jehan d’Angeli, ou mois de juing l’an de grace mil cccc. cinquante trois, et de nostre règne le xxxie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. P. Burdelot. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 La veuve de Jean Bruneau, seigneur de la Rabatelière, nommée Olivière Buor, et ses dix enfants, Nicolas, Jacques, Milet et Charles, Marguerite, mariée alors à Jean de Velors, Jeanne, femme de Jean Goureau, aliàs Gorreau, Catherine, Françoise, Mathurine et Marie Bruneau, s’opposèrent à l’entérinement et à la mise à exécution de ces lettres de rémission. Un procès s’engagea à ce sujet d’abord devant le sénéchal de Poitou, puis en appel au Parlement. Pierre Veau, le meurtrier, dont le nom est écrit sur les registres de la Cour Vedeau ou Videau, s’étant enfui après son crime, avait été condamné par contumace au bannissement et à 200 livres de dommages et intérêts au profit des héritiers de sa victime. Le sénéchal de Poitou, malgré l’opposition de ceux-ci, rendit un jugement d’enregistrement des lettres de rémission, sous cette réserve que Vedeau ou Veau serait tenu de faire célébrer un service de trente messes, trois grandes et les autres basses, au lieu où Jean Bruneau était inhumé, de payer à ses enfants 50 livres, et de rester en prison jusqu’à l’accomplissement de ces conditions ; cependant les demandeurs étaient condamnés aux frais du procès. Ceux-ci relevèrent appel au Parlement, mais la Cour, par arrêt du 13 septembre 1456, confirma la sentence du sénéchal, sauf en ce qui concernait les dépens dont les appelants furent déchargés. (Arch. nat., X2a 27, fol. 233.) Cet arrêt ne mit pas fin à l’affaire ; car, le 21 juin 1457, on retrouve les enfants de Bruneau plaidant devant la Cour contre Pierre Vedeau, qui n’avait pas encore payé son amende et était emprisonné à la Conciergerie. A cette date, il fut élargi sous caution jusqu’après la saint Martin prochaine. (X2a 28, à la date.) Dans l’intervalle, il donna sans doute satisfaction à ses adversaires, en tout cas il n’est plus question du procès sur les registres de la Cour. La nouvelle édition du Dictionnaire des familles du Poitou fournit un certain nombre de renseignements sur les Bruneau de la Rabatelière (canton de Saint-Fulgent, Vendée) ; il commence la filiation de cette branche à Nicolas (1466), dont il ne nomme pas le père et la mère, les lettres de rémission et les actes du Parlement qui s’y rapportent n’ayant pas été connus des auteurs de cet ouvrage. (Tome II, p. 46.)