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MCLXVII

Rémission en faveur d’Alain Gaultier, couturier, demeurant à Puy-Belliard, qui avait frappé mortellement un nommé Jean Duvergier, en se défendant.

  • B AN JJ. 179, n° 255, fol. 147 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 94-97
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Alain Gaultier, cousturier, natif de la parroisse de Vertou ou dyocèse de Nantes, et à present demourant au Puy Beliart, contenant que il a esté tout le temps de sa jeunesse et encores est homme de bonne fame, renommée et honneste conversacion, et en son temps n’a esté actaint ne convaincu d’aucun vilain cas, blasme ou reprouche ; lequel suppliant, xxv. ans a ou environ, se party de la dicte paroisse de Vertou et s’en ala demourer [p. 95] en la ville de la Rochelle, pour aprendre le mestier de cousturier, lequel il a telement continué et conversé qu’il a depuis tenu fenestre et compaignons avecques lui au lieu de Montagu, où il a demouré dix ans et plus. Et durant ce temps a servy de sondit mestier nostre chier et amé cousin le sire de Belleville1, qui a present est, et plusieurs autres notables gens. Et depuis trois ans a ou environ ledit suppliant, saichant que audit lieu de Puy Beliart afflue grant quantité de gens passans et rapassans, en entencion de plus y gangner de son dit mestier que ailleurs, y ala demourer et y a tousjours depuis continuelment residé et tenu fenestre à grant acourserie de notables gens, et se y est bien et honnestement entretenu, sans avoir noise ne debat à personne quelconque. Et jusques à ce que, le jour de saint Michel derrenierement passé, ung nommé Jehan Duvergier, homme vacabond, natif du pays de Normandie ou de Picardie, se transporta devers le dit suppliant, et à l’occasion de ce que le dit suppliant avoit fait une robe et chapperon audit Duvergier, se meurent certaines paroles contencieuses entre eulx par ce que le dit Duvergier disoit que le dit suppliant n’avoit pas employé tout le drap qu’il lui avoit baillé en ses robe et chapperon, et l’injurioit très grandement, et le dit suppliant lui respondy que s’il pretendoit aucun droit à l’encontre de lui, qu’il le fist convenir par justice et il esteroit à droit, ainsi qu’il appartendroit par raison, ou que ledit Duvergier baillast autant de drap à ung autre cousturier comme il avoit fait audit suppliant, et s’il estoit trouvé faulte oudit suppliant, il lui repareroit. Et ledit jour de saint Michel, après disner, ledit Duvergier, [p. 96] lequel toute sa vie n’a fait si non suivre les guerres et user de sa voulenté, estant en la hale dudit lieu du Puy Beliart, donna plusieurs menaces audit suppliant de le tuer et meurdrir d’une dague qu’il portoit avec lui. Et ce venu à la notice dudit suppliant, pour doubte des parolles et menaces dudit Duvergier et obvier à sa fureur et malice, se retrahy et s’en ala en sa maison. Et pou de temps après s’en ala esbatre et jouer à la boule avec autres compaignons dudit lieu, les aucuns desquelz lui disdrent qu’ilz avoient oy dire audit Duvergier qu’il se repentoit qu’il n’avoit tué le dit suppliant. Lequel, pour la doubte dudit Duvergier et des parolles qu’il proferoit et aussi pour lui resister, envoya querir une sienne dague qu’il avoit en son hostel, laquelle il porta avec lui toute jour et jusques à ce que vespres furent dictes. Après lesquelles ledit suppliant s’en ala en son logeis, et en parlant avec son hoste, survint ilecques ledit Duvergier, auquel ledit suppliant dist ces parolles ou semblables : « Duvergier, je ne vous demande riens, alez vous en à vostre logeiz et me laissez. J’ay oy dire que me menaciez à tuer, et ne faites pas bien ». Lequel Duvergier atant tira sa dague et s’efforça frapper le dit suppliant, mais Nicolas Baronnet, son hoste, print le dit Duvergier au corps et par deux foiz l’empescha qu’il ne frappast le dit suppliant, et le voulut emmener en son logeiz. Lequel Duvergier fist tant qu’il s’eschappa dudit Baronnet et vint, la dague nue en sa main, devant la porte dudit Baronnet, où estoit le dit suppliant et la femme dudit Baronnet, et de plaine arrivée, s’efforça frapper ledit suppliant. Lequel incontinant tira sa dague, en disant audit Duvergier qu’il s’en alast ; lequel Duvergier n’en voulut riens faire, ains en perseverant en sa mauvaise et dampnable voulenté, frappa le dit suppliant plusieurs coups de sa dague. Lequel suppliant en soy defendant, rebutoit tousjours le plus qu’il povoit les coups dudit Duvergier, lequel, nonobstant la dicte defense, en s’efforçant [p. 97] tuer ledit suppliant, le frappa de la dicte dague sur le braz un coup duquel il le bleça jusques au sang ; et à l’occasion de ce et autrement, et pour la doubte qu’il avoit que le dit Duvergier le tuast, icelui suppliant en soy defendant et reppellant tousjours le dit Duvergier, luy donna et frappa ung seul coup de sa dague sur la poictrine, duquel coup ledit Duvergier ala de vie à trespassement le dit jour. A l’occasion duquel cas ainsi advenu que dit est, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays et dudit lieu du Puy Beliart, et n’y oseroit jamais retourner, se nostre grace et provision ne lui estoit sur ce impartie, si comme il nous a fait dire, humblement requerant, etc. Pour quoy nous, les choses dessus dictes considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement aux seneschaulx de Poictou et de Xanctonge et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Montargis, ou mois d’octobre l’an de grace mil cccc.xlviii, et de nostre règne le xxvie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Bordois. — Visa. Contentor. E. Froment.


1 Jean III Harpedenne, seigneur de Belleville, de Montaigu, etc., connu plutôt sous le nom de Jean de Belleville, car, le premier de cette famille, il renonça à son nom patronymique, avait succédé à son père Jean II en juillet 1434, et mourut peu après le 12 juin 1462. Il avait épousé Marguerite de Valois, fille naturelle de Charles VI et d’Odette de Champdivers. Nous avons donné de nombreux renseignements inédits sur ce personnage dans une note de notre précédent volume, p. 45-47.