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MCLXXXVIII

Rémission octroyée à Jeanne, veuve de Nau Pion, de la Gatevinière, detenue prisonnière pour un infanticide.

  • B AN JJ. 180, n° 77, fol. 34 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 172-174
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Jehanne, vefve de feu Nau Pion, aagiée de xxxv. ans ou environ, du lieu de la Gastevinière, assiz entre Thouars et le lieu de Montereul Bellay, chargiée et six petiz enfans d’elle et dudit defunct, prisonnière ès prisons de Monstereul Bellay, avons receue, contenant que, deux ans a ou environ et après le decès dudit Pion, icelle Jehanne se accoincta d’ung jeune homme, mareschal, nommé Pierre Bodet, demourant audit lieu de la Gastevinière, et tellement que ledit Bodet congneut charnelment ladicte Jehanne, et certain temps après qu’elle ot [p. 173] habité avecques icelui Bodet, elle se trouva ensainte d’enfant. Laquelle grossesse icelle Jehanne, pour crainte, doubte et honte qu’elle avoit de sa mère et aussi du mary de sa dicte mère, et d’un sien frère, cela le plus qu’elle pot et le tint secret, sans en riens declairer. Et pour tousjours cuider sceler ledit fait, se bouta secrettement en sa chambre à l’eure qu’elle devoit enfanter, audit lieu de la Gastevinière, et illecques près d’un coffre enfanta d’un filz ; lequel, incontinent qu’il fut né, elle print et bendea, et pour ce que ledit enfant crioit fort et la grant paour qu’elle avoit d’estre descouverte dudit fait, villenée, blasmée et deschacée d’avecques ses amis, icelle Jehanne, temptée de l’ennemy, print icelluy enfant et lui frappa la teste contre le mur. Et ce fait, pour ce que ledit enfant crioit encores fort, elle l’enveloppa en ung drappeau et le mist ou giron de sa robe, lui mist les mains sur sa bouche et le porta en la rivière de Thouet près d’ilec, en ung lieu appellé le Pré de la Ryellière. Et cinq ou six jours après ledit cas avenu, ledit enfant fut trouvé noyé au pont de Thezon par certaines gens dudit lieu de Tezon, lesquelx le denoncèrent et firent savoir aux gens de la justice dudit lieu de Thouars, et fut trouvé et sceu par icelle justice que s’estoit l’enfant de ladicte Jehanne et dont elle estoit souspeçonnée d’estre grosse. Pour lequel cas, incontinent après ledit enfant ainsi trouvé, ladicte Jehanne fut prinse et apprehendée au corps et menée prisonnière ès prisons dudit lieu de Montereul Bellay, ès quelles prisons elle a esté depuis et encores est detenue prisonnière en grant povreté et misère et est en avanture d’y finer brief miserablement ses jours, se nostre grace et misericorde ne lui est sur ce impartie, si comme dient iceulx supplians, en nous humblement requerant que, attendu la grant peine et destresse qu’elle a eue et souffert depuis ledit temps de deux ans en icelles prisons et fait encores, et que tout son temps elle a esté de bonne vie, etc., et aussi comme bonne chrestienne, repentant [p. 174] et desplaisant de tout son cuer dudit cas, depuis qu’elle est ès dictes prisons a jeuné et jeune grant partie du temps en pain et en eaue, et fait plusieurs autres grans penitances secrettes, et aussi que ses diz enfans qui sont petiz et orphelins de père, lesquelx, s’il convenoit que ladicte Jehanne fust executée pour ledit cas et qu’elle ne les gouvernast, seroient en voie de finer brief leurs jours en grant povreté et misère, il nous plaise lui quictier, pardonner et remettre ledit cas et sur ce lui impartir nostre dicte grace. Pour quoy nous, ce consideré, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, à icelle Jehanne en faveur de ses diz enfans, et aussi pour l’onneur et reverance de la Passion de nostre sauveur et redempteur Jhesu Crist et de la Saincte sepmaine où nous sommes de present, avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Alençon, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. quarante et neuf avant Pasques, et de nostre règne le xxviiie.

Ainsi signé : Par le roy tenant les requestes, ès queles monseigneur le conte du Maine1, vous, l’evesque de Magalonne2, messire Guillaume Cousinot3, chevalier, et autres estoient. Rolant. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Charles d’Anjou, comte du Maine, seigneur de Saint-Maixent, Melle, Civray, Chizé et Sainte-Néomaye. (Voy. le vol. précédent, p. 146, note.)

2 Robert de Rouvres, maître des requêtes de l’hôtel, membre du conseil de Charles VII et garde du sceau royal ; élu évêque de Seez le 1er juillet 1422, transféré au siège de Maguelonne, le 4 mars 1433, il en resta titulaire jusqu’à son décès arrivé à la fin de l’année 1453.

3 Guillaume II Cousinot, seigneur de Montreuil-sous-bois, magistrat, ambassadeur poète et historien, né vers 1400, mort vers 1484. Il fut premier président du conseil delphinal, depuis Parlement de Grenoble, et de 1444 à 1449 le principal agent des relations diplomatiques de Charles VII avec le roi d’Angleterre. N’ayant pu conclure la paix, il prit une part active à la conquête de la Normandie, et fut créé chevalier au siège de Rouen (octobre 1449) ; après la reddition de cette ville, il en fut nommé bailli. Louis XI, dont il devint chambellan, lui conserva la faveur dont il avait joui sous le règne précédent.