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MCXLVII

Lettres d’abolition en faveur de Jean de Courdault, écuyer, seigneur dudit lieu, pour tous les excès et crimes qu’il avait pu commettre durant les expéditions militaires auxquelles il avait pris part.

  • B AN JJ. 187, n° 286, fol. 153
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 36-39
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de nostre amé Jehan de Courdaut1, [p. 37] escuier, seigneur dudit lieu de Cordaut en Poictou, contenant que ledit suppliant qui est noble, né et extrait de noble lignée, dès son jeune aage a frequenté et suyvy les armes, et nous a servy ou fait de noz guerres en plusieurs voyages et armées, à l’encontre de noz anciens ennemis et adversaires les Angloiz et autres tenans le party à nous contraire, et mesmement a esté, durant lesdictes guerres et lui estant bien jeune, en garnison à Laval soubz ung nommé Marcillé, qui lors avoit charge de par nous de gens d’armes à l’encontre desdiz Anglois2 ; aussi a esté ou voyage de Galardon3 avec feu Guy de Beaumont4, en son vivant chevalier, à la journée de Losmeau près Sillé5 le [p. 38] Guillaume6, en la compaignie de nostre très chier et amé cousin le connestable de France, semblablement au siège de la Charité7 en la compaignie du sire de Boussac8, mareschal de France, ou voyage de Vernueil9, avec plusieurs cappitaines et gens de guerre bretons et autres, et aussi en garnison de par nous en aucunes places de Poictou, et nous a tousjours servy contre ceulx qui tenoient le party à nous contraire, durant le temps desdictes guerres. Pendant lequel temps, plusieurs destrousses, bateries, mutilacions, raençonnemens de gens et plusieurs autres excès, crimes et delitz qu’il ne sauroit declairer, obstant le long temps qu’il a qu’ilz ont par lui et autres ses compaignons [p. 39] esté faiz et perpetrez. Et soit ainsi que ledit suppliant puis long temps en ça se soit retrait en sa maison et vesqu du sien propre sans faire tort à personne, et a entencion de tousjours ainsi faire, sa vie durant ; maiz il doubte que au moien des destrousses, raençonnemens, bateries, mutilacions et autres deliz de par lui et autres ses compaignons commis et perpetrez, durant ledit temps des guerres, que on le vueille poursuir par justice, et par ce il soit en dangier de ses biens et personne, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties. Humblement requerant que, attendu les services à nous faiz par ledit suppliant, durant le temps de nos dictes guerres, que les cas commis par noz gens de guerre durant icellui ont esté par nous generalement aboliz et pardonnez, il nous plaise lui impartir icelles. Pour quoy nous, etc., audit suppliant avons quicté, aboli et pardonné, etc., reservé toutesvoies sacrilège, boutement de feu, forcement de femmes et murtre d’aguet appensé, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaulx de Poictou et de Limosin et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Bourges, ou mois de septembre l’an de grace mil cccc.xlvii, et de nostre règne le xxve.

Ainsi signé : Par le roy, en son conseil. Rolant. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Il était fils d’Eustache de Courdault, écuyer, et de Perrette Regnon, dame du Plessis-Regnon, suivant le Dict. des familles du Poitou (nouv. édit.). Cette dame est appelée Perrette Renoul dans deux défauts prononcés au Parlement, le 20 juillet 1441 et le 8 avril 1443, contre elle et son mari, au profit de l’abbaye de l’Absie-en-Gâtine qui les poursuivait au criminel. (Arch. nat., X2a 22, aux dates ci-dessus.) Eustache était mort avant le 23 septembre 1454, époque où sa veuve donna procuration à leur fils Jean pour rendre un hommage au seigneur de Sainte-Flaive. Jean étant dit ici seigneur dudit lieu de Courdault, on peut admettre que son père était déjà décédé à cette date de septembre 1447. Il passa une transaction, en 1455, avec Jean de Daillon, chevalier, au sujet des arrérages d’une rente qu’il lui devait. (A. Richard, Arch. du château de la Barre, t. II, p. 418.) Le 16 mars 1458, il assista comme membre de la noblesse à l’assemblée des notables de la châtellenie de Bressuire. (B. Ledain, Hist. de Bressuire, p. 118.) Il avait épousé, avant 1440, Ardouine, fille de Huguet de Bouillé ou Boulié, seigneur dudit lieu, et de Louise de la Brosse.

Jean de Courdault était sans doute sincère quand, pour se faire pardonner ses anciens méfaits, il promettait de vivre désormais dans la retraite, « du sien propre, sans faire tort à personne ». Mais ses vieilles habitudes de routier reprirent vite le dessus Dès l’année suivante il se rendit de nouveau coupable de violences et de déprédations. Jean Bouchier, écuyer, seigneur des Échardières, porta plainte contre lui pour coups et blessures et pour vol d’un cheval, de bestiaux et d’autres biens de la valeur de 400 écus d’or. Le procureur d’Artur de Richemont, seigneur de Parthenay, l’ajourna à comparaître à la cour de Vouvant ; puis, à la requête de la victime, l’affaire fut portée devant le lieutenant du sénéchal de Poitou, qui se déclara compétent par sentence dont Jean de Courdault releva appel au Parlement. Par arrêt du 18 janvier 1449, la cour déclara l’appelant mal fondé, le condamna à l’amende et aux frais et renvoya les parties devant le sénéchal de Poitou. (Arch. nat., X2a 26, fol. 37.) Nous ne connaissons pas l’issue de ce procès.

2 Avant le 13 mars 1428, date de la prise de Laval par Talbot. Cette ville resta alors dix-huit mois au pouvoir des Anglais ; elle leur fut enlevée le 25 septembre 1429.

3 Il a été question précédemment de la prise de Gallardon par Dunois, en 1443 (t. VIII, p. 372 et note). Ce n’est point évidemment de cette affaire dont il est question ici. Il s’agit plutôt de l’expédition dirigée par le dauphin Charles en personne au milieu de l’année 1421. Cette place, occupée alors par une garnison bourguignonne, fut emportée d’assaut, le 25 juin, après deux jours de siège. Pour venger la mort de Charles de Montfort, tué dans l’attaque, on passa au fil de l’épée tous ceux qui, armés ou non, s’étaient réfugiés dans l’église et s’étaient rendus prisonniers. La ville, qui était fort riche, fut pillée ; ses murailles furent abattues. (De Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. I, p. 227.)

4 Guy de Beaumont, seigneur de Bressuire, vécut jusqu’en mars ou avril 1440. (Cf. la notice consacrée à ce personnage dans notre tome VII, p. 378.) Il fit partie aussi de l’armée réunie pour la journée de Sillé-le-Guillaume, dont il est question ci-dessous.

5 Le registre porte « Lisle ».

6 En janvier 1434, le comte d’Arundel était allé assiéger Sillé-le-Guillaume, petite ville assez mal fortifiée, défendue par Aimery d’Anthenaise, lieutenant du sire de Bueil. Celui-ci avait dû s’engager, en donnant des otages, à livrer cette place s’il n’était pas secouru avant six semaines. D’après cette convention, les Anglais devaient rendre les otages si, au jour fixé, les Français se trouvaient près d’un orme dans une lande voisine et s’ils étaient les plus forts. Le connétable de Richemont, qui venait de rentrer en grâce auprès du roi, après l’éloignement de G. de La Trémoïlle, résolut de paraître avec des forces imposantes, à cette journée, et parvint à réunir toute une armée. Les sires de Bueil, de Brézé, de Coëtivy, de Chaumont, le vicomte de Thouars, récemment sorti de sa prison, avaient répondu à son appel. Le connétable amena de son côté les maréchaux de Raiz et de Rieux, le sire de Rostrenen et plusieurs chevaliers et écuyers de Bretagne et de Poitou, si bien qu’au jour dit les Anglais, quoique au nombre de 8.000 combattants, commandés par le comte d’Arundel, n’osèrent pas lui livrer bataille. Ils se retirèrent dans un village voisin où ils se fortifièrent. Comme ils n’avaient pas été les plus forts avant l’heure de midi, le connétable les fit sommer de rendre les otages, qu’ils renvoyèrent aussitôt. (E. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 207-209.)

7 Le fameux chef de routiers Perrinet Grasset s’était rendu maître de la Charité qu’il parvint à garder plusieurs années. Le siège de cette place mentionné ici eut lieu l’an 1430. Jean de Brosse, dit le maréchal de Boussac, qui en dirigeait les opérations, subit un échec et dut se retirer. D’après le héraut Berry, c’est en juillet 1440 que Charles VII, à son retour du Bourbonnais, réduisit la Charité en son obéissance et y mit bonne garde. (Chronique de Charles VII. Edit. Godefroy, in-fol., p. 412.)

8 Sur ce personnage, cf. la note de la p. 297 de notre précédent volume.

9 Les historiens mentionnent plusieurs tentatives contre Verneuil à cette époque. Le duc d’Alençon avait échoué devant cette place en septembre 1435. Le bâtard d’Orléans s’en empara à la fin du mois suivant, mais elle retomba bientôt au pouvoir des Anglais, auxquels elle ne fut définitivement enlevée qu’au milieu de l’année 1449.