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MCCVII

Rémission octroyée à Guillaume de La Touche, marchand et praticien en cour laie, demeurant à Charroux, prisonnier pour le meurtre [p. 230] d’Etiene Pierre, couvreur de l’abbaye dudit lieu, qui l’avait outragé.

  • B AN JJ. 185, n° 129, fol. 98 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 229-232
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Guillaume de La Tousche1, marchant et praticien en court laye, demourant à Charroz, contenant que, six sepmaines a ou environ, ledit suppliant et autres estans audit lieu de Charroux advisèrent ensemble qu’il seroit bon de faire retraire les chevaulx et jumens dudit lieu, afin que les gens de guerre qui passoient de jour en jour près d’ilec ne les prensissent pour les rançonner, et pour ce faire entreprindrent de faire corner retraicte, ainsi qu’il estoit acoustumé de ce faire en temps de guerre ; et afin que le guet montast au lieu où il avoit acoustumé estre, qui est une tour appellée la tour du Paraduis estant en l’abbaye dudit lieu de Charroux, ledit suppliant ala par devers l’abbé de la dicte abbaye2 et lui demanda la clef de la dicte tour, pour faire ce que dit est. Lequel luy respondi que son recouvreur, nommé Estienne Pierre, l’avoit et qu’il la luy demandast. Et lors icellui suppliant ala par devers ledit recouvreur et luy demanda ladicte clef ; mais il luy dist, en [p. 231] jurant la mort Dieu, qu’il n’y entreroit point. A quoy ledit suppliant respondi que le dit abbé le vouloit bien et le luy avoit dit ; et il luy dist que icellui abbé ne l’auroit pas lui mesmes, et sur ce eurent certaines grosses parolles, tellement que ledit recouvreur appella icellui suppliant « vilain mastin » et pluseurs autres parolles oultrageuses et atant se departirent. Et le lundi après la feste de la Penthecouste derrenierement passée3, environ neuf heures devers le soir, ledit suppliant estant assis devant son hostel audit lieu de Charroux, survint ilec le compaignon dudit recouvreur, lequel luy dist en parolles arrogans : « Que dictes vous ? » A quoy icellui supliant fist responce : « Je ne vous dy riens », ou parolles semblables. Et incontinent survint pareillement ledit Estienne le recouvreur, qui estoit sus ung cousturier près d’ilec, et dist audit suppliant teles parolles ou semblables : « Villain orguilleux, tu es le plus orguilleux de ceste ville » ; et en disant les dictes parolles, avoit la dague ou poing. Et lors ledit suppliant luy demanda qu’il vouloit faire, et s’il le vouloit tuer. Lequel recouvreur s’efforça en ce disant de frapper ledit suppliant, et de fait icellui recouvreur et son dit compaignon chargèrent tellement sur luy que à peine se peut retraire et mettre chex soy ; et se n’eussent esté les gens qui illec estoient, il croit qu’ilz l’eussent tué, lesquelz empeschoient le debat à leur povoir et remisdrent les diz recouvreur et son compaignon en l’ostel du dit cousturier où ilz estoient logiez, et ledit cousturier les enferma dedans sa maison, cuidant les garder qu’ilz ne saillissent. Mais icellui recouvreur, cuidant mettre sa mauvaise et dampnable voulenté à execucion, sailly de rechief de l’ostel dudit cousturier, la dague ou poing, en menassant ledit suppliant qui encores n’estoit pas retrait dedans sa chambre, et lui vint courir sus de la dicte dague. Lequel [p. 232] suppliant, voyant la continuacion, voulenté et chaleur dudit recouvreur, pour obvier qu’il ne le tuast, tira ung cousteau qu’il avoit en façon de dague, que il a acoustumé porter communement, et en frappa ledit Estienne Pierre, recouvreur, ung coup au dessoubz de la mamelle, dont assez tost après il ala de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas, ainsi avenu que dit est, ledit suppliant a esté prins et est detenu prisonnier à grant povreté et misère, et doubte que on vueille proceder à l’encontre de lui à pugnicion corporelle, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties. Et pour ce nous a humblement fait supplier et requerir que, attendu qu’il ne fust pas agresseur, etc. Pour quoy nous, les choses dessus dictes considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaulx de Poictou, Xanctonge et Limosin, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Saint Jehan d’Angely, ou mois de juing l’an de grace mil cccc. cinquante et ung, et de nostre règne le xxixe.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Daniel. — Visa. Contentor. E. Froment.


1 Guillaume de La Touche avait été commissaire du roi, avec Pierre Maingny et Pierre Pradeau, pour la levée des tailles en la ville et châtellenie de Charroux, et ils s’y étaient rendus coupables de malversations. Leurs noms figurent dans le compte de répartition de l’amende de dix-huit mille livres, supportée par les officiers royaux du Poitou, l’an 1447, en échange de lettres d’abolition. Ils furent taxés à la somme de dix-huit livres, pour leur part. (Arch. hist. du Poitou, t. XXXI, p. 139.)

2 Jean Chaperon, de la famille duquel il a été question dans notre précédent volume (p. 311 note), est dit abbé de Charroux de l’année 1444 à 1477, « quem sane dicunt Sammarthani electum die 12 nov. ann. 1444, priorem etiam extitisse de Saint-Fraigne, d’Auzé et de Rié in Pictonibus. Memoratur autem in chartis authenticis regiæ bibliothecœ ann. 1454, die 24 junii, 1464, 2 julii, et 1476, 22 novembris. (Gallia christ., t. II, col. 1283.) Jean Chaperon exerça des poursuites criminelles au Parlement contre Bernard d’Armagnac, comte de la Basse-Marche, et ses officiers, qui s’étaient rendus coupables d’attentats et abus de pouvoir au détriment du temporel de l’abbaye. Il est question de cette affaire aux audiences des 15 novembre 1448, 3 avril et 1er septembre 1449. (Arch. nat., X2a 26, fol. 1, 13 et 31.)

3 Le 14 juin.