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MCCXXXVI

Rémission octroyée à Jean Cyratelle, tisserand, et à Vincent Chabot, maréchal, demeurant à Moncontour, détenus dans les prisons d’Airvault, pour le meurtre de Jean Barbotin, maître tisserand dudit lieu, frappé dans une rixe provoquée par lui.

  • B AN JJ. 185, n° 298, fol. 206 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 324-328
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Jehan Cyratelle, jeunes homs de l’aage de vingt deux ans ou environ, natif du païs de Bretaigne, tixier en linge, demourant avec Guillaume Girart en la ville de Moncontour, et de Vincent Chabot, mareschal, natif dudit lieu de Moncontour, à present detenuz prisonniers ès prisons d’Ervau ou païs de Poictou, contenant que, le mardi après la feste de Penthecouste derrenière passée, les diz Cyratelle et Chabot et ung nommé Guillaume Fourré, auxi tixier en linge, lors varlet de feu Jehan Barbotin, maistre dudit mestier de tixerie en son vivant, demourant audit lieu d’Ervau, se trouvèrent ensemble audit lieu de Moncontour, où ilz furent jusques environ heure de vespres dudit jour, et après s’en alèrent audit lieu d’Ervau, et mesmement ledit Chabot, à la requeste dudit Cyratelle, et arrivèrent audit lieu d’Ervau, environ huit heures devers le soir. Et ainsi qu’ilz passoient par devant l’ostel du dit feu Barbotin, ledit Guillaume Fourré dist aux dessusdiz Cyratelle et Chabot qu’ilz s’en alassent logier en l’ostel d’un appellé Guillaume Gaultier, demourant audit lieu d’Ervau, où avoit vin à vendre, et qu’il s’en aloit en l’ostel dudit feu Barbotin, son maistre, querir son chanteau de pain qu’il y avoit, ainsi que compaignons dudit mestier de tixerie ont acoustumé avoir ès hostelz de leurs maistres, et que incontinant [p. 325] il retourneroit par devers eulx, en l’ostel dudit Gaultier. Et après ce, se transportèrent lesdits Cyratelle et Chabot jusques à la porte de l’ostel dudit Gaultier, pour eulx cuider loger celle nuyt oudit hostel, ce qu’ilz ne peurent faire, pour ce que ceulx dudit hostel estoient couchez. Et atant s’en retournèrent par devant l’ostel dudit Barbotin, où ledit Guillaume Fourré estoit lors à la fenestre. Ouquel hostel ilz entrèrent, et y estoient lesdiz Guillaume Fourré et Jehan Barbotin, son maistre, et ung autre nommé Touchart, texier, demourant à Partenay. Ausquelz, après ce qu’ilz les eurent saluez, ilz dirent que ledit Gaultier ne les avoit point voulu loger et qu’ilz ne savoient où ilz pourroient estre logez pour ladicte nuyt. Avec lesquelz Touchart et Barbotin qui estoient à table, lesdiz Cyratelle et Chabot beurent et mangèrent ung peu ; et après leur fut dit par ledit Barbotin qu’ilz s’en alassent en l’ostel d’un appellé Pierre Badenier, dudit lieu d’Ervau, et qu’ilz y seroient bien logez. Et ainsi que les diz Cyratelle, Chabot et Fourré pour y aler vouloient descendre l’eschelle de la dicte maison, ledit Touchart qui estoit avec ledit Barbotin, print par la manche ledit Cyratelle et le tira à part, en lui disant qu’il luy rendist ung pourpoint dont il disoit l’avoir pleigé envers ung nommé Guillaume Ayrault, durant le temps que ledit Cyratelle avoit demouré avec icellui Touchart. Auquel icellui Cyratelle respondy qu’il avoit bien paié ledit Ayraut. Et ledit Touchart luy dist de rechief qu’il en seroit paié. Et lors ledit Cyratelle, ainsi qu’il descendoit l’eschelle et yssoit hors de ladicte maison dudit Barbotin, dist audit Touchart qu’il alast après luy et qu’il le paieroit. Et ce fait, s’en alèrent les diz Cyratelle, Chabot et Fourré, sans autre chose dire, vers l’ostel dudit Badenier, distant de l’ostel dudit feu Barbotin d’une portée d’arbalestre ou environ, pour savoir s’ilz y pourroient loger. Et ainsi qu’ilz estoient devant ledit hostel dudit Badenier et qu’ilz eurent demandé à ung nommé Guillaume Boylaive, [p. 326] fillastre dudit Badenier, qui estoit à la fenestre dudit hostel, qu’il lui pleust de les loger pour celle nuyt, pour leur argent, dont ledit Boylaive fut reffusant, se transporta devant l’ostel dudit Badenier ledit Barbotin, qui avoit bien beu ledit jour et en son vivant estoit maistre du jeu de l’espée à deux mains, ayant soubz l’esselle une grant espée rabatue ; et après qu’il fut illec arrivé, dist audit Cyratelle telles parolles ou semblables : « Ribault, tu veulx paier, mais je te paieray à ceste heure ! » Et en disant lesdictes parolles, frappa de la dicte espée sur la teste dudit Cyratelle, telement que ce n’eust esté ung chappeau que ledit Cyratelle avoit sur sa teste, ledit Barbotin l’eust grandement villenné ; et neantmoins en yssit effusion de sang. Et non content de ce, ledit Barbotin frappa de rechief de la dicte espée sur le dit Cyratelle. Lequel Cyratelle, voyant ainsi estre injurié par ledit Barbotin, auquel il n’avoit jamais meffet ne contre lui eu aucunes paroles rigoureuses, en soy defendant et pour resister à la force dudit Barbotin, donna d’un baston que l’on appelle riboule1, qui estoit gros par le bout, plusieurs coups et colées en plusieurs parties du corps dudit Barbotin, qui semblablement en bailla plusieurs autres de la dicte espée sur le dit Cyratelle. A l’occasion desquelz il commença lors à crier au meurtre. Et pour ce qu’il sembla audit Vincent Chabot que ledit Barbotin mutilloit fort ledit Cyratelle, icellui Chabot dist à icellui Barbotin : « Traistre, tu as frappé en traïson Jehan Cyratelle ! » Et en disant les dictes parolles, luy bailla ung coup d’un baston de la longueur d’une aulne ou environ, ne scet en quelle partie de son corps, pour ce qu’il estoit nuyt et faisoit bien noir. Et depuis s’entrebatirent derechief l’un l’autre, [p. 327] tellement que le dit Barbotin s’en fouyt et s’en ala à sa maison. Et atant se departirent lesdiz Cyratelle, Chabot et Fourré de devant l’ostel dudit Badenier, et alèrent en l’ostel d’un nommé Pierre Mignot, dudit lieu d’Ervau, pour y cuider loger ce qu’ilz ne peurent faire. Et à ceste cause, se transportèrent d’ilec en l’ostel d’un nommé Jehan Ferré, demourant audit lieu d’Ervau, où ilz furent logez pour la dicte nuyt. Et le lendemain ensuivant, devers le matin, furent prins par les gens et officiers dudit lieu d’Ervau et constituez prisonniers ès prisons dudit lieu, ès quelles prisons leur a esté rapporté que, ledit jour de mercredi au matin, ledit Barbotin estoit alé de vie à trespassement. Et à ceste cause sont encores à present detenus prisonniers èsdictes prisons. A l’occasion duquel cas, les parens et amis dudit Jehan Cyratelle et Chabot, doubtent que justice voulsist rigoureusement proceder contre iceulx et qu’ilz feussent en voye de finer ès dictes prisons miserablement leurs jours, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, comme ilz dient, en nous humblement requerant lesdiz parens et amis que, attendu que lesdiz Cyratelle et Chabot n’ont esté aggresseurs ne invaseurs de ladicte voye de fait, ainçois ledit deffunct, auquel ilz n’avoient paravant en rien meffait et de lui ne se doubtoient aucunement, et que ce que par eux a esté fait [l’a esté] en reppellant à la voye de fait d’icellui deffunct, et que en tous autres cas ilz sont bien famez et renommez, etc., nous à iceulx Ciratelle et Chabot vueillons sur ce impartir nos dictes grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, inclinans en ceste partie à la supplicacion et requeste desdiz parens et amis, voulans sur ce misericorde preferer à rigueur de justice, aus diz Jehan Cyratelle et Vincent Chabot, et à chacun d’eulx, le fait et cas dessus declairé, etc., avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. [p. 328] Donné à Jazenueil en Poictou, ou mois de may l’an de grace mil cccc. cinquante trois, et de nostre règne le xxxie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Rolant. Visa.


1 Riboule ou reboule, bâton à l’usage des bouviers et des pâtres, d’après Godefroy (Dict. de l’anc. langue française), qui donne plusieurs exemples tirés d’actes enregistrés au Trésor des chartes. Il mentionne aussi un texte du xve siècle, dans lequel le même mot a le sens d’instrument de pêche.