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MCXCI

Rémission accordée à Michel Proust, de Poizay-le-Joli près le Port-de-Piles, prisonnier comme complice du meurtre de Jean Matignon, commis audit lieu de Poizay par son frère Pierre Proust, depuis mort au service du roi.

  • B AN JJ. 180, n° 109, fol. 49
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 182-185
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Michau Proust, aagié de xxii. ans ou environ, chargié de femme et d’enfans, filz de Jehan Proust, demourant en la parroisse de Puiset le Joly près le Port de Pilles, prisonnier en noz prisons de Tours, contenant que, le dimenche que l’en chante en nostre mère saincte Eglise Judica1 de l’an que l’on disoit mil cccc.xlviii, aucuns des parroissiens dudit lieu de Puiset le Joly se partirent à jouer contre ceulx de la parroisse de Saint Remy au jeu de la bille. Entre lesquelx parroissiens de Puiset le Joly estoient Pierre Proust et Michau Proust, frères, et de ladicte parroisse de Saint Remy ung nommé Jehan Matignon ; lesquelx, après ce que leur jeu fut parachevé, en eulx en retournant en leurs maisons avecques les autres de ladicte parroisse de Puiset, et passant par ung villaige, une nommée la Pasquière dist ausdiz Pierre et Michau Proust telles paroles ou semblables : « Maudite soit l’eure que vous ne vous en estes plus tost venuz, car ceans a esté Jehan Matignon qui a regnié Dieu plus de cent foiz qu’il tuera aujourd’uy l’un de vous deux ! » A quoy respondy le dit Pierre Proust, qui estoit nostre franc archier2, qu’on se [p. 183] deffendroit bien de lui et que, s’il l’assailloit, il respondroit de son corps. Et sur ce s’en alèrent chascun en son hostel. Et lors que icelui Pierre Proust fut au plus près de sa maison, s’arresta pour faire son aisement et, comme il fut ainsi arresté, vit le dit Matignon tenant ung espieu en sa main. Et aussitost qu’il l’apperceut, ledit Pierre Proust entra en sondit hostel, print ses habillemens de guerre, comme dague, espée, arbaleste, jaques et salade, et s’en vint droit à l’ostel dudit Jehan Proust, son père, auquel il trouva ledit Michau Proust, son frère, et lui dist : « Jehannin Matignon me guette pour me tuer ; acompaigne moy pour aler contre lui, ou autrement je te regnie à toujours mais. » Et lors ledit Michau print son arbaleste, et s’en alèrent à celle heure qui estoit bien près de huit heures au soir, ensemble par devant l’ostel dudit Matignon, et passèrent oultre bien la longueur de cinq lances ou environ. Et ainsi qu’ilz passoient illec, sortirent les chiens de l’ostel d’icelui Matignon et coururent après lesdiz Pierre et Michau. Et lors ledit Michau se retourna [p. 184] et tira ung materaz à l’un de sesdiz chiens. Et adonc ledit Jehannin Matignon sorty hors de la dicte maison en courant vers lesdiz Pierre et Michau Proust, et regniant le nom de Nostre Seigneur qu’il se vengeroit à celle heure de l’un d’eulx deux. Et ledit Pierre lui respondy : « Ribault, tu mentiras » ; et en disant ces paroles ledit Pierre lui donna d’un raillon par le front. Lequel Matignon tira hors ledit raillon et le getta à terre ; et incontinent cuida frapper ledit Pierre Proust de son espieu d’un coup d’estoc, mais icelui Pierre y resista et le cuida frapper d’estoc de son espée, mais les deux croisées rencontrèrent l’un l’autre en telle manière que icelui Pierre Proust refoula les coustes audit Matignon dedans le corps de la force dudit coup. Et adonc ledit Michau se getta entre deux, en disant à son dit frère : « Ribaut, tu l’as assez batu ou frappé ; ne le frappes plus », en defendant ledit Matignon de sa puissance. Et sur ces paroles ledit Pierre lui dist que, s’il ne s’ostoit, qu’il le tueroit lui mesmes. Et il lui dist qu’il ne s’osteroit point. Et adonc ledit Pierre, son frère, le frappa d’une espée tant qu’il lui fist une plaie sur le nées. Et sur ce sorty la femme dudit Matignon, laquele en cuidant deffendre son mary, bailla sur la teste dudit Pierre Proust d’un levier de bois tel coup qu’elle le gietta par terre. Et quant icelui Pierre fut relevé, la cuida frapper de son espée, mais elle s’en fouy en son dit hostel, ouquel s’estoit desjà retraict ledit Jehan Matignon, son mary, qui dedans le vendredy prouchain d’illec ensuivant, pour cause desdiz coups ou autrement par faulte de gouvernement ala de vie à trespassement. A l’occasion desquelx cas, ledit Michau Proust est durement traicté èsdictes prisons et est en voye d’y finir miserablement ses jours, se sur ce ne lui estoient impartiz nosdictes grace et misericorde, si comme lesdiz supplians dient, en nous humblement requerant que, attendu que ledit Michau Proust a esté tousjours de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans oncques mais [p. 185] avoir esté actaint d’aucun villain cas, blasme ou reprouche, et qu’il n’a point commis ledit cas, et que son frère qui le fist est depuis trespassé en nostre service, en ce present voyage et armée où nous sommes pour le recouvrement de noz pays et duchié de Normandie, nous lui vueillons sur ce noz grace et misericorde piteablement impartir. Pour ce est il que nous, consideré ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit Michau Proust ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes à noz seneschal de Poictou et bailly de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Argentan, ou mois de juing l’an de grace mil cccc. cinquante, et de nostre règne le xxxviiic.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. Aude. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Judica me est l’introït du dimanche de la Passion. La date exacte des faits rapportés ici est donc le 6 avril 1449 n.s., Pâques étant tombé cette année-là le 13 avril.

2 Les francs archers étaient d’institution toute récente. C’est par lettres du 28 avril 1448 qu’ils furent créés en corps spécial, destiné à être le noyau de l’infanterie française : « Nous voulons et ordonnons, dit le roi, que en chascune paroisse de nostre royaume aura ung archer qui sera et se tiendra continuellement en habillement suffisant et armé de sallade, dague, espée, arc et trousse, jaque ou huque de brigandine, et seront appellez les Francs archers, lesquelz seront esleuz et choisiz par vous (les élus sur le fait des guerres) ès prevostez et eslections, les plus duiz et avisez pour le fait et exercice de l’arc qui se pourront trouver en chascune paroisse, sans avoir regard ni faveur à la richesse ni aux requestes que on vous pourroit faire sur ce… » Le nom de francs archers leur fut donné à cause de l’exemption d’impôts dont ils jouissaient. Ils étaient équipés à frais communs par les habitants de chaque paroisse, s’exerçaient au maniement des armes les jours de fêtes et devaient être prêts à répondre au premier appel. Les capitaines étaient nommés par le roi. (Boutaric, Institutions militaires de la France, p. 319 ; de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. IV, p. 401-404.) L’exécution de la volonté royale ne tarda guère. En juillet 1448, des lettres furent adressées par Charles VII à ses bonnes villes, pour assurer l’accomplissement de l’ordonnance du 28 avril. Les commissaires des aides procédèrent aussitôt à l’organisation de la nouvelle milice dans tout le royaume. En ce qui concerne le Poitou, cf. le « Compte de la despense faicte pour mettre sus et en point en la ville de Poitiers douze francs archiers, ordonnez y estre mis sus par le roy », etc., publié par M. Redet. (Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, t. VII, p. 437 et suiv.) L’isolement des francs archers leur enlevant tout esprit militaire, ils ne rendirent pas les services que l’on en avait espéré ; aussi ce corps fut-il supprimé par Louis XI, en 1480.