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MCCCCVII

Rémission obtenue par Pierre Hillereau, jeune homme de seize ans, laboureur, coupable du meurtre de Jean Lucas. Venant au secours de son jeune frère, que Lucas maltraitait et frappait avec sauvagerie, il avait porté à ce dernier sur la tête un coup de bâton, dont il était mort la nuit suivante.

  • B AN JJ. 199, n° 530, fol. 333
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 26-29
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receue l’umble supplicacion de Pierre Hillereau, jeune enfant, aagé de seize ans ou environ, filz de Mathurin Hillaireteau (sic), povre laboureur, demourant au villaige de Puycaraut en la chastellenie de Paluyau, contenant que ledit suppliant qui demeure avecques ledit Mathurin Hillareau, son père, est doulx, simple, de bonne vie et honneste conversacion, sans jamais avoir esté noizeux ne rioteux, et que, le lundi troisiesme jour du mois de decembre derrenier passé, par avant souleil couchant, Jaques Hillaireau, son frère, aussi demourant avecques leur dit père, se transporta en ung pré appartenant à leur dit père, seant ledit pré au dessous dudit village et en la valée estant entre ledit village et le village de la Rochière1, ouquel village de la Rochière demouroit en son vivant feu Jehan Lucas. Et estant ledit Jaques oudit pré, vit et trouva en ung buisson d’icellui ung ormeau qui avoit esté ebranché et escaussé2 ce mesme [p. 27] jour par Pierre Lucas, filz dudit feu Jehan Lucas, et en avoit esté partie mise en fagotz, comme le nombre de sept à huit fagotz, et le plus appourté au bout pour faire cordes, et estoit ledit bois en une terre labourable joignant dudit buisson et par dehors ledit pré, devers ledit village de la Rochete ; laquelle terre appartenoit et appartient semblablement audit Mathurin Hillereau, père dudit suppliant et dudit Jaques, son frère. Et ce voyant ledit Jaques, icellui print ledit boys qui avoit esté cueilli oudit ormeau et le passa et remist oudit pré, voulant, après qu’il auroit parlé à sondit père qui estoit à la foire de Paluyau qui tenoit, et où il estoit alé ce dit jour, le porter et mettre là où il plairoit à son dit père le commander, ou le laisser sur le lieu. Et estoit avecques ledit Jaques une sienne seur de l’aage de trois à quatre ans ou environ, qui estoit alée avecques luy en icelluy pré. Et ainsi que ledit Jaques passoit et mettoit ledit bois de ladicte terre oudit pré, survint illec auprès ledit feu Jehan Lucas, lequel sans parler mot ne dire audit Jaques qu’il faisoit bien ne mal de transporter ainsi ledit bois, gecta maliceusement et de sa force grant quantité de grosses pierres audit Jaques, tendant à l’en frapper, mutiller et murdrir, et de fait l’en eust murdry et occis, se n’eust esté ce que icelluy Jacques se gardoit dudit giect desdictes pierres le plus qu’il povoit, cryant tant qu’il povoit au murdre et à l’aide, et aussi pleuroit ladite jeune fille, sa seur ; mais pour tant ledit Lucas ne cessoit de gecter pierres contre icelluy Jaques, plusieurs desquelles cheurent bien souvent près de luy et aussi de sadicte seur, laquelle fut en grant dangier de estre tuée et murdrie. Et combien que plusieurs personnes passans le chemin dudit Puycayraut, en venant de ladicte foire, cryassent plusieurs foiz audit Lucas qu’il ne gectast pas lesdictes pierres contre lesdiz enfans, disans qu’il les tueroit, neantmoins sans dire mot, il gectoit toujours pierres pour en cuider actaindre ledit Jacques, après que [p. 28]lui et sadicte seur n’eussent peu eulx en aler ne partir d’ilec qu’il ne les eust occiz ou grandement blecez. Et non contant de ce, ledit Lucas, voyant qu’il n’ataingnoit ledit Jaques, ala chez lui oudit village de la Rochete, qui ne distoit comme riens du lieu dont il gectoit lesdictes pierres, et se despoilla de sa robe et de son chapperon et ung bonnet, et retourna au lieu dont il gectoit lesdictes pierres et gecta derechief pierres contre lesdiz enfans, qui encores estoient ou pré et regardoient les pierres qu’il avoit gectées, cuidans qu’il n’y retournast plus ; et furent tous esbahiz quant ilz le virent revenir et gecter de rechief pierres sur eulx. Et y vint après luy courrant sa femme oudit pré ; et incontinent qu’elle y fut entrée, icelluy Lucas y entra et d’un baston, qu’il avoit en ses mains, frappa ledit Jacques sur la teste et ou visaige et le blessa à grant effusion de sang. Adonc icellui Jacques se mist en fuite, mais ledit Lucas le poursuy et derechief en s’en fuyant le frappa encores dudit baston par les espaulles si grant cop qu’il en chancella et cuida cheoir à terre. Et voyant ledit Jacques que ledit Lucas le frappoit et mutilloit ainsi d’un baston, il se print au corps dudit Lucas, affin que dudit baston il ne le peust plus frapper, mais ledit Lucas [l’]estraingnoit fort et en manière qu’il cuidoit illec mourir, et crya à haulte voix au murdre et à l’aide. Lequel cry ledit suppliant son frère qui estoit environ ledit village du Puycaraut, qui ne distoit dudit pré que d’un gect de pierre, ouy et tantost courut à luy et print oudit pré ung petit baston qu’il y trouva et s’entremist de departir ledit Lucas d’avecques sondit frère, qui estoit tout blecié et sanglant ou visage, en luy disant qu’il faisoit mal de meurtrir ainsi sondit frère ; mais ledit Lucas qui estoit entasché de mal faire, n’en voult departir et s’efforçoit tousjours de plus grever ledit Jaques, frère dudit suppliant, et aussi ladicte femme d’icellui Lucas se print audit suppliant et lui cuida oster ledit baston et le gecter à terre. Adonc icelluy suppliant [p. 29] dudit baston qu’il avoit frappa ledit Lucas par les espaulles, et tantost après ladicte femme dudit Lucas se print encores audit baston et l’osta à icellui suppliant. Lequel, quant il se vit dessaisy de sondit baston et que ladicte femme le cuidoit tousjours saisir et prandre au corps, affin qu’il ne secourust sondit frère, que ledit Lucas tenoit tousjours et le fouloit grandement, et que sondit frère tousjours crioit au murdre et à l’aide, print ung autre petit baston qu’il trouva en la place et en frappa sur la teste ledit Lucas, dont il cheut à terre, et tantost après lui et sadicte femme s’en alèrent oudit village de Rochete où ilz demouroient ; ouquel village, par deffault de barbiers et d’estre pensé ou autrement, il ala de vie à trespassement, la nuyt ensuivant. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant, etc., s’est absenté, etc., et n’y oseroit, etc., humblement requerant que, attendu ce que dit est et que en tous autres cas, etc. Pour quoy nous, etc., audit suppliant avons quicté, etc., avec toute peine, etc. en quoy, etc., et l’avons restitué, etc., satisfaction, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou ou à son lieutenant, etc., que de noz presens grace, quictance, remission, etc., ilz facent, etc. ledit suppliant joir et user plainement et paisiblement, sans lui faire, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Poictiers ou mois de fevrier l’an de grace mil cccc. soixante quatre, et de nostre règne le quatriesme.

Signé : Par le roy, à la relacion du conseil. S. Des Vergers. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Ce nom de lieu est écrit huit lignes plus loin et jusqu’à la fin de l’acte « la Rochete ». Cette seconde forme paraît préférable ; il y avait dans la même paroisse, la Chapelle-Palluau, deux villages, l’un appelé la Rocherie, l’autre la Rochette, mais le second était beaucoup plus voisin de cet autre village auquel notre texte donne le nom de « Puycaraut » ou « Puycayraut » (Pic-Eraut, dans Cassini, et Piquerraut, sur la carte de l’État-Major). La Rochette et Puycaraut étaient situés tout près de la rivière de Vie.

2 Ce mot s’écrit le plus souvent « escossé » et signifiait dépouillé.