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MCCCCXX

Rémission en faveur d’Aymer d’Excées, homme d’armes de la compagnie du sire de Crussol, sénéchal de Poitou, prisonnier à Poitiers pour le meurtre de Pierre Jobert, sergent de l’abbaye d’Airvault.

  • B AN JJ. 194, n° 182, fol. 97 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 56-58
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion de Aymer d’Excées, homme d’armes de nostre ordonnance soubz la charge et retenue de nostre amé et feal conseiller et chambellan, le sire de Crussol, seneschal de Poictou, contenant que, le xxe jour de juing derrenier passé, environ deux heures après midy, survint ung religieux de l’abbaye d’Ervau en Poictou, demourant avecques l’aumosnier de ladicte abbaye, nommé frère Jehan Bertonneau1, au lieu et villaige de Loyn à ung quart de lieue près dudit lieu d’Ervau, ouquel lieu de Loyn estoit logié ledit d’Exées, suppliant, par l’ordonnance de son cappitaine ou commis pour lui de par nous, et illec apporta ledit religieux ung jeune enfant qu’il vouloit bailler à Thomas Fessart, demourant audit lieu de Loyn, disant qu’il estoit sien et son bastard, dont ledit Fessart disoit le contraire et que appoinctement autresfoiz [p. 57] avoit esté fait entre icelluy Fessart et aumosnier, par lequel ledit aumosnier d’Ervau devoit nourrir ledit enfant ; dont ledit religieux ne se vouloit contenter, mais le voulloit toujours laisser à toutes forces audit Fessart, qui tousjours le reffusoit. Et ce voyant, se meut noise et debat entre ledit religieux et Fessart, tellement que ledit religieux donna à icellui Fessart plusieurs coups. Et adonc la femme et fille dudit suppliant survindrent, qui le voullurent secourir ; mais ledit Bretonneau religieux commança à frapper sur lesdites femme et fille, lesquelles se prindrent fort à crier. Et ce pendant survint ung serviteur dudit Aymer d’Exès, suppliant, nommé Jehan, archier dudit suppliant, qui venoit de querir des fesves et passoit devant la maison dudit Fessart ; lequel Jehan dist audit religieux que ce n’estoit point son honneur de soy mesler de telles besongnes. A quoy ledit religieux dist que, en despit de lui et de ses dires, il s’en mesleroit, et que il avoit assez nourry ledit enfant, et desmantit ledit Jehan icelluy religieux une foys ou deux ; auquel icelluy Jehan dist qu’il ne le desmantist plus. Après lesquelles parolles, tira ledit religieux ung sien cousteau qu’il avoit, et pareillement ledit Jehan sa dague. Mais ledit religieux frappa le premier sur ledit Jehan et lui donna ung cop sur le col de son cousteau, et ledit Jehan se voyant ainsi frappé, frappa ledit religieux sur le braz, et tellement se prindrent eulx deux que ledit religieux eust oultragé ledit Jehan, se ne feust ung gentilhomme, à qui est la maison où estoit logié ledit suppliant, qui survint illec et donna ung coup sur la teste dudit religieux, qui fut cause de departir ledit religieux et ledit Jehan. Et d’ilec à deux heures après leur debat, arriva audit lieu de Loyn … … ledit d’Ervau2, et en les lachassant (sic), trouva ung [p. 58] nommé Pierre Jobert, sergent de l’abbaye dudit lieu d’Ervau, qui estoit de leur compaignie et à pié, lequel avoit ung espieu en son poing3, auquel ledit suppliant donna ung coup d’espée sur la teste, et ledit Joubert frappa le cheval dudit suppliant en l’une des jambes de derrière, cuidant le frapper ou ventre ; et derechief vint ledit suppliant frapper ledit Jobert de sadicte espée sur la teste ung autre coup ou deux et sur la jambe, comme luy semble, tellement que mort s’en est ensuye. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, tantost après, a esté prins et constitué prisonnier en noz prisons de Poictiers, où illec il est en voye de miserablement y finer ses jours, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme ledit suppliant nous a fait dire et remonstrer, requerant humblement que, attendu que ledit suppliant a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actaint ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise nos dictes grace et misericorde luy impartir. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, avons, etc., quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou ou à son lieutenant, et à tous noz autres justiciers, etc. Et afin que ce soit chose ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre scel à cesdictes presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à Montargis, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. soixante six, et de nostre règne le sixiesme.

Ainsi signé : Par le roy, les sires de Craon, de Crussol4 et autres presens. L. Toustain. — Visa. Contentor. J. d’Orchère.


1 Cet aumônier de l’abbaye d’Airvault est cité, d’après le présent texte uniquement, dans la nouvelle édit. du Dictionnaire des familles du Poitou, ainsi qu’Aymer d’Excées, qui y est nommé d’Exéa, sans doute par suite d’une mauvaise lecture. Nous avons eu, dans notre précédent volume, occasion d’identifier un homonyme et peut-être parent du religieux dont il est ici question, Jean Bretonneau, de Champdeniers, commandeur d’Isenheim en Alsace (Arch. hist., t. XXXV, p. 112, note), sans remarquer que le répertoire de MM. Beauchet-Filleau le mentionne aussi, sous la forme Berthonneau, et donne, d’après les Affiches du Poitou de 1780, son épitaphe, qui existait alors dans l’église de cette localité, et par suite la date de sa mort : Anno Domini M.CCCC.LXX, die mercurii X octobris, obiit R. P. et D. dom Johannes Bertonelli, natione Pictavus, magister in artibus ac decretorum baccalaureus, domus Sancti Antonii in Isenheim praeceptor, necnon hujus basilicae constructor et totius curiae reparator. Cujus anima requiescat in pace. Au bas de l’épitaphe se voyait un écusson chargé d’un écu en abîme. (Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. I, p. 493.)

2 Sic. Entre « Loyn » et « ledit d’Ervau » il manque évidemment plusieurs mots ou même quelques phrases ; cette omission, imputable au scribe, rend le sens de la fin de l’acte très obscur.

3 « En soing », lit-on sur le registre.

4 Georges de La Trémoille, sire de Craon, et Louis de Crussol, sénéchal de Poitou. (Cf. ci-dessus, p. 47, note, et p. 55, note 4.)