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MCCCCLXXXVI

Rémission octroyée à Denis Berthelot, prêtre, et à Olivier Joulain, son clerc, qui avaient révélé à la justice la fabrication, à laquelle ils avaient pris part, de faux titres destinés à favoriser les habitants de Saint-Jean-de-Monts dans un procès qu’ils soutenaient contre le seigneur de la Garnache.

  • B AN JJ. 196, n° 169, fol. 105 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 235-246
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Denis Berthelot, prebstre, demourant à Chavaignes près Montagu ou diocèse de Luçon, et Olivier Joulain, clerc, demorant à Couex oudit diocèse, contenant que, ou moys de septembre dernier passé a eu troys ans ou environ, ledit Denis suppliant estoit lors demourant à [p. 236] Couex en la chastellenie d’Aspremont, et estoit ledit Olivier son clerc et serviteur, aussi suppliant, et s’en alla icellui Denis au lieu de Nostre Dame de Rié, au jour d’une foire illec pieça ordonnée et assignée à tenir oudit moys de septembre ou environ, pour certaines ses affaires, où il rencontra, entre autres personnes de cognoissance, Jehan Nicolas et Guillaume Nicolas1, son filz, lors tous deux demourans en la parroisse Saint Jehan de Mons, avecques lesqueulx il avoit cognoissance. Et après ce qu’ilz se furent illecques rencontrés et qu’ilz eurent plusieurs parolles ensemble, lesdiz Nicolas ou l’un d’eux, l’autre present, luy dirent qu’ilz avoient grant confience en luy et le repputoient pour secret homme et qu’ilz avoient neccessairement à luy dire certaines grans choses secretes, dont ilz et autres habitans des Maroies de Mons avoient à besongner, et que, s’il leur vouloit promettre de les tenir secrètes, ilz les diroient et le contenteroient de ce qu’il feroit pour eulx à son plaisir, et que s’ilz pooient venir à leur entencion que jamais ilz n’auroient souffreté de rien. Et à l’occasion de ce que lesdiz Nicolas luy avoient fait certain plaisir et service touchant la cure dudit lieu de Couex et que par eulx n’estoit demouré qu’il feust curé, il leur octroya que de chose qui luy deissent il ne les descouveroit, et leur feroit tout le plaisir à luy possible. Et après toutes ces parolles, lesdiz Nicolas, quoy que soit l’un d’eux en la presence de l’autre, luy dirent en effet que eulx et les autres habitans des bailliages de Mons [p. 237] avoient ung gros procès en la court de Parlement contre le seigneur de la Ganasche2, à l’occasion de la taille de corps de omme, qu’il leur demendoit, laquelle taillée leur estoit très fort prejudiciable, et tellement qu’ilz estoient tous deliberés de plus tost laisser le païs et leurs biens et demourances que la payer et continuer3 ; et pour à ce [p. 238] obvier, leur estoit besoing, ainssi qu’ilz disoient, avoir trouvé par conseil certaines lettres, savoir est l’une d’un [p. 239] nommé Maurice de Belleville, qu’ilz disoient avoir esté en son temps seigneur de la Granasche, et d’une dame dudit [p. 240]lieu, nommée Beatrix ou Ysabeau4, autrement ne s’en recorde ledit Denis suppliant, pour monstrer que ladicte taillée de corps d’omme avoit esté par lesdiz seigneur et dame remise ausdiz habitans de Mons à huit solz tournois pour chacun feu seullement. Et pour ce que lesdiz Nicolas savoient que ledit Denis suppliant avoit cognoissance avecques deux autres, nommés l’un Petit Jehan [p. 241] Grosselayne et l’autre Olivier Meriem, tous deux Bertons, qui besongnoient lors de leur mestier au lieu de Chalans, iceulx Nicolas dirent audit Denis suppliant qu’ilz le prioient et requeroient, sur tous les plaisirs qu’il leur vouldroit jamais faire, qui lui pleust parler ausdiz peantres5 et savoir à eulx s’ilz vouldroient entreprendre de leur faire et escrire lesdites lettres, en manière qu’elles ressemblassent estre lettres enciennes et valables à leur entencion oudit procès, jouxte les minutes qu’ilz bailleroient audit Denis suppliant, et les dater des dates de certaines autres viegles lettres qu’ilz avoient du temps des diz seigneur et dame, et que s’ilz y vouloient besongner, ilz les payeroient à leur plaisir et à l’ordonnance dudit Denis, suppliant. Oyes lesquelles parolles et requestes ainsi faictes par lesdiz Nicolas audit Denis suppliant, luy, considerant les plaisirs qu’ilz s’estoient deliberez luy faire et faire faire touchant ladicte cure de Couex, et aussi les grans biens qu’ilz luy promettoient, ignorans l’effect desdictes lettres, quoyquessoit ce qui povoit ensuir, a octroyé ausdiz Nicolas que pour eulx et leurs amys il feroit tout ce qu’il pouroit et qui luy seroit possible. Et pour ce qu’il avoit ja cognoissance ausdictes parties6 et se tenoit fort et seur d’eux qu’ilz feroient pour luy tout ce dont il les requerroit, dist dès lors ausdiz Nicolas qu’il leur fineroit bien desdiz paintres et les feroit bien venir et rendre à sa maison audit lieu de Couex, toutesfoys et quantes qu’il leur manderoit ; et illec fut concleu entre luy et lesdiz Nicolas qu’il parleroit ausdiz paintres et leur assigneroit jour à eulx rendre à sadicte maison, pour besongner èsdictes lettres ; auquel jour lesdiz Nicolas se rendroient, garniz de leurs dictes lettres anciennes et minutes. Pendent lequel terme, ledit Denis suppliant retourna à sadicte [p. 242] maison et escrivy ausdiz paintres, eulx estans audit lieu de Chalans, par [le moyen de laquelle lettre7] ledit Olivier Meriem, l’un desdiz paintres, se rendit à l’ostel dudit suppliant, ou pareillement s’estoient lors, n’avoit guères, rendus lesdiz Nicolas ou l’un d’eulx, qui s’atendoient illec trouver lesdiz paintres, deliberés de besongner èsdictes lettres ; et eulx estans ensemble en l’ostel dudit Denis, suppliant, il les approucha et feist parler ensemble et eulx accorder de ladicte besongne. Et fut lors prins et assigné autre jour entre eulx, pour se rendre derechief oudit hostel, savoir est lesdiz Nicolas et ledit Meriem et sondit compaignon, et atant se departirent lors. Et audit jour ainsi assigné entre eulx, lesdiz Nicolas ou l’un d’eux se rendirent de heure competente et lesdiz paintres non, et convint audit Denis, suppliant, les renvoier querir, ce qui fut fait par ledit Olivier, son clerc, aussy suppliant, aux despens desdiz Nicolas. Et se rendirent lesdiz paintres oudit hostel celuy jour, environ heure de neuf heures de nuyt, et eulx arivez illec, après ce qu’ilz eurent souppé avecques lesdiz Nicolas et Denis, suppliant, parlèrent derechief de la manière de besongner èsdictes lettres, et monstrèrent lesdiz Nicolas ausdiz paintres, present ledit Denis suppliant, certaines viegles lettres en parchemin et certaines minutes en papier, qui estoient l’effect desdictes lettres qu’ilz vouloient leur estre contrefaictes et mises en euvre par lesdiz paintres, pour eulx en aider et lesdiz autres habitans de Mons en leurdicte cause contre ledit seigneur de Rohan, tendant à demourer quictez et …8 de ladicte taille de corps d’omme pour la somme de huit solz tournois pour chacun feu. Lesquelz paintres firent responce ausdiz Nicolas et Denis, suppliant, qu’ilz feroient bien lesdictes lettres et tout ce qui y seroit neccessaire, maiz [p. 243]qu’ilz vouloient savoir quel salaire et payement ilz en auroient. A quoy leur fut respondu par les dessusdiz qu’ilz les payeroient à l’ordonnance dudit Denis, suppliant, et desdiz paintres. Dont lesdiz paintres furent très bien contens, et soubz ladicte promesse octroièrent de besongner à faire lesdictes lettres. Et dès le lendemain, demandèrent lesdiz paintres à avoir du parchemin pour faire lesdictes lettres, dont ledit Denis, suppliant, fist provision, et aussi de escritoire garnie. Et ce fait, ledit Olivier Meriem, l’un desdiz paintres, commença à besongner èsdictes lettres en la presence dudit Denis, suppliant, qui luy nommoit les moctz contenus èsdictes minutes en papier et luy nommoit les dates escriptes èsdictes viegles lettres, et ledit paintre escrivoit au plus près de la forme de l’escripture desdictes viegles lettres, et estoient lesdites minutes en ancien languaige poictevin ; et illec mirent ainsi en forme deux lettres, savoir est l’une en françoys et l’autre en latin. Lesquelles lettres ainsi faictes furent baillées à l’un desdiz Nicolas, n’est recors auquel, par deux foiz pour les porter à Jehan Audoier et Guillaume Cadou, qui faisoient la poursuite dudit procès, affin de les veoir et de savoir avec eulx si elles estoient bien ou non ; dont, à la première desdites fois, lesdiz Nicolas ou l’un d’eux les rapportèrent bien corrigées, et à l’autre foiz furent trouvées bien faictes. Et pour ce qu’il ne souffisoit pas, se lesdites lettres ne estoient aussi seellées, lesdiz paintres prindrent et coppèrent la queue d’une viegle lettre seellée en cire vert des armes dudit seigneur ou dame, n’est ledit Denis, suppliant, recors dequel, et en seellèrent l’une desdites lettres par eulx faictes et collèrent ladicte queue par manière qu’il n’y apparoissoit nulle incision ne rupture ; et à l’autre lettre firent ung seel tout neuf de vielle cire d’autres vieulx seaulx à traiz de pinceau sur la table ; et à ce faire vacquèrent lesdiz paintres par l’espace de huit ou dix jours ou environ. Lesquelles [lettres] ainsi contrefaictes et contreseellées [p. 244] par lesdiz paintres furent par eulx baillées et rendues ausdiz Nicolas ou à l’un d’eulx, qui les emporta, et bailla audit Denis, suppliant, certaine somme d’argent, tant pour le salaire desdiz paintres que pour la despence, pour eulx et lesdiz Nicolas, à l’ostel dudit Denis, suppliant. Et pour ce que, pendent ledit temps, ledit Denis, suppliant, et lesdiz paintres et Nicolas ne se peurent bonnement passer du service dudit Olivier Jouslain, aussi suppliant, lors clerc dudit Denis, suppliant, qui lisoit et escrivoit, et que en le servant et allant et venant vers eulx povoit veoir et lire le secret desdites lettres, s’advisèrent entre eulx de parler à luy et luy descovrirent la matière et luy firent faire serment de n’en dire mot, ce que ledit Olivier, suppliant, fist voluntiers, en obeissant à son dit maistre. Depuys lesquelles lettres ainsi contrefaictes, lesdiz supplians, voians à l’occasion de ce grandement chargées leurs consciences, pour eulx en descharger, ont revellé le secret de ladicte matière à justice, c’est assavoir à nostre amé et feal Loys de Rezay9, chevalier, à maistre Loys Tindo10, [p. 245]cappitaine et senechal dudit lieu de la Ganache, et à autres gens de justice, affin qu’elle fust adverée et leurs consciences par ce moyen dechargées. A l’occasion duquel cas, lesdiz supplians, doubtant estre pugniz par justice corporellement, tant en nostre court de Parlement, où ledit procès est pendant et ledit Denis, suppliant, tenu prisonnier, et icellui Olivier, aussi suppliant, adjourné personnellement, comme en autres cours et juridicions où ilz pourroient estre apprehendez, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, en nous humblement requerans, attendu que iceulx supplians ne furent jamais actains ne convaincuz d’autres villains cas, blasme ou [p. 246]reprouche, et que en ce faisant ilz ne cuidoient aucunement mesprendre, il nous plaise sur ce leur impartir nosdites grace et misercorde. Pour quoy nous, etc., à noz amés et feaulx conseilliers les gens tenans et qui tendront noz Parlemens à Paris et à Poictiers, au seneschal de Poictou et à tous, etc.11. Donné à Notre Dame de Selles, ou moys d’avril l’an de grace mil cccc.lx. et dix après Pasques, et de nostre règne le neufiesme.

Ainsi signé : Par le roy, le gouverneur de Rousillon12 et autres presens, de Serizay13. — Visa. Contentor. De Fontaines.


1 Jean Nicolas avait obtenu aussi des lettres de rémission à la même époque, et étant prisonnier à la Conciergerie, en instance d’entérinement, au moment de l’entrée à Paris d’Édouard de Lancastre, prince de Galles (novembre 1470) ; celui-ci, usant du droit de grâce dont il disposait, le fit remettre en liberté, avec une nouvelle rémission. Puis après avoir, comme Denis Berthelot, avoué le faux, il se rétracta par devant notaires, à l’instigation de quelques notables habitants de Saint-Jean-de-Monts, revint sur cette seconde déclaration, prétendant qu’elle lui avait été arrachée par la menace, et parvint à se faire délivrer de nouvelles lettres de rémission, au mois de décembre 1473 ; elles seront imprimées ci-dessous à leur date, n° MDXXX.

2 Le seigneur de la Garnache était alors Jean II, vicomte de Rohan, comte de Porhoët, fils d’Alain IX (mort le 20 mars 1462 n.s.) et de Marie de Lorraine, sa seconde femme. En 1460, il était à Concarneau, pour s’opposer aux Anglais qui menaçaient de faire une descente sur les côtes de Bretagne, quitta le service du duc François II, l’an 1470, pour s’attacher à Louis XI, qui le nomma son chambellan, lui donna 8000 livres de pension et promit d’en donner 4000 à sa femme, quand elle serait venue le rejoindre. Il fut l’un des seigneurs bretons qui ratifièrent le traité de Senlis (1475), et obtint d’être exempté de l’arrière-ban convoqué par le roi en 1478. Arrêté prisonnier, au mois de novembre de l’année suivante, par ordre du duc de Bretagne, pour le meurtre du seigneur de Keradreux, le vicomte de Rohan ne recouvra la liberté qu’en février 1484. Alors il quitta de nouveau la Bretagne, puis se ligua, en 1487, avec plusieurs barons pour chasser le chancelier de Bretagne et les étrangers qui gouvernaient le duc. Quoi qu’il eût fait sa paix avec celui-ci et obtenu son pardon, le 26 mars 1488, il ne tarda pas à quitter encore une fois son service, car il combattit dans l’armée de Charles VIII à Saint-Aubin-du-Cormier, le 27 juillet de cette année. Le roi de France l’établit son lieutenant général en Basse-Bretagne, par lettres du 1er septembre 1491. Jean II de Rohan avait épousé Marie de Bretagne, fille du duc François Ier et d’Isabelle Stuart, par traité du 10 février 1456 n.s., accompli le 8 mars 1462 n.s. Sa mort date de l’année 1516. (Voy. le P. Anselme, Hist. généal., in-fol., t. IV, p. 57.)

3 Ce procès avait été engagé par les habitants de Saint-Jean-de-Monts, dès l’an 1413, du temps d’Alain VIII vicomte de Rohan, et de Béatrix de Clisson, dame de la Garnache, sa femme. Interrompu avant l’arrêt définitif, il ne fut repris sérieusement qu’en l’an 1465. Les registres du Parlement en fournissent les actes essentiels, et comme ils précisent des faits ou font connaître des particularités que les lettres de rémission déforment ou passent sous silence, nous en donnerons ici un résumé aussi succinct que possible. La taille annuelle de 850 livres que le seigneur de la Garnache réclamait aux habitants de Notre-Dame et de Saint-Jean-de-Monts et du Marais-Doux se payait en deux termes, le premier à la saint Gervais (19 juin), le second à la saint Michel. Le terme de la saint Michel 1464 avait été acquitté régulièrement, mais quand celui de la saint Gervais 1465 vint à échéance, il fut protesté. Le vicomte de Rohan fit sommer les habitants de payer sans plus tarder. Ceux-ci répondirent en se faisant délivrer des lettres interdisant au seigneur de la Garnache de ne rien exiger d’eux, jusqu’à ce que la Cour ait examiné sur quoi était fondée sa prétention, et commettant Jean Gendronneau, sergent royal, pour signifier cette défense et la faire obéir. Rohan releva appel de cet exploit, et l’affaire fut de nouveau engagée à fond.

Le vicomte de Rohan prétendait donc que, entre autres droits lui appartenant à cause de sa seigneurie de la Garnache, il avait celui de lever cette taille de 850 livres sur lesdits habitants, qui anciennement étaient serfs et s’étaient affranchis moyennant le payement annuel de cette somme et autres redevances en nature ; d’ailleurs ils l’avaient toujours acquitté, sauf en 1413 et en 1465. Et lui, il pouvait faire la preuve de son bon droit par des arrêts de justice et les registres de perception. Les habitants répondaient que le lieu de Monts est situé en frontière, tout près de la mer, ce qui leur imposait des charges, mais pas celle d’une taille annuelle de 850 livres à payer au seigneur de la Garnache ; ils n’y étaient nullement tenus et à plusieurs reprises ils avaient voulu y faire opposition entre les mains des officiers de la seigneurie, mais ceux-ci non seulement avaient refusé de la recevoir, mais avaient entrepris de les contraindre à contribuer aux réparations du château fort de la Garnache et à y faire les gardes, ce qui n’était pas dû davantage. Ils déclaraient être en mesure de produire des titres constatant qu’ils avaient toujours été de condition libre et qu’ils avaient obtenu exemption de toutes tailles, bans et corvées, en payant chaque année huit sols par feu ; par un acte de l’an 1266, Maurice de Belleville, alors seigneur de la Garnache, avait déclaré que la redevance desdits habitants serait ainsi abornée et ne pourrait en aucun cas être augmentée ni diminuée et qu’elle serait payée chaque année à la saint Michel. Cet accord avait été confirmé, l’an 1279, par Isabelle de Lusignan, alors veuve dudit Maurice de Belleville. Le connétable Olivier de Clisson, se conformant à leur volonté, avait ordonné, par son testament de l’année 1406, que l’on devait s’en tenir à ce qui avait été décidé alors, c’est-à-dire au payement de huit sols par feu remplaçant tous autres droits et taxes. Néanmoins les seigneurs de la Garnache, de la maison de Rohan, qui succédèrent à Clisson, sous prétexte des guerres et des divisions du royaume, imposèrent cette taille de 850 livres et contraignirent les habitants de Monts à la payer, par l’incarcération de leurs personnes et la saisie de leurs biens, contrairement à la concession et ordonnance de leurs prédécesseurs. Ayant interjeté appel à la Cour de ces exactions, il y avait eu procès à ce sujet en 1412 et 1413, mais il demeura indécis (Rohan prétendait que ses adversaires avaient été condamnés). Ceux-ci se plaignaient en outre que Jean de Saint-Gelais, chevalier, capitaine pour lors de la Garnache, toujours sous prétexte des guerres, leur imposa de travailler aux réparations de la place et d’y faire le guet ; sur leur refus, ils furent traînés en prison, et qui plus est le capitaine se fit donner commission de lever sur eux cent moutons, douze têtes de gros bétail, douze pipes ou queues de vin et cinq pipes de froment. Comme ils ne pouvaient fournir une si forte contribution, Saint-Gelais menaça d’envoyer chez eux les deux cents archers placés sous ses ordres, pour mettre leurs maisons et meubles au pillage.

Quelques-uns des griefs des habitants de Notre-Dame et Saint-Jean-de-Monts méritaient peut-être d’être pris en considération, mais la production qu’ils avaient faite du vidimus de deux actes faux compromit irrévocablement leur cause. Denis Berthelot, Olivier Joulain, Jean Nicolas et autres avaient avoué volontairement la part par eux prise à la fabrication des actes de Maurice de Belleville et d’Isabelle de Lusignan. Les habitants prétendirent que leur confession avait été payée par le vicomte de Rohan. Qu’importait, si elle était l’expression de la vérité ? Quelques-uns de ceux qui avaient avoué se rétractèrent ; il fut prouvé que plusieurs habitants de Monts, au moins trois, Guillaume Bruneau, Jean Chupeau et Nicolas Simonneau, avaient, à l’aide de menaces et de promesses, provoqué cette rétractation, qu’ils avaient eu la précaution de faire certifier par trois notaires, ce qui n’empêcha pas du reste Jean Nicolas et autres qui s’étaient infligés ce désaveu, de revenir à leur première déclaration. Tous ces incidents, joints au fond de l’affaire, en retardèrent considérablement la conclusion.

Parmi les complices du faux qui se reconnurent coupables d’abord devant Philippe Boutillier, lieutenant du bailli de Touraine à son siège de Chinon, commis à les interroger par lettres du 28 mars 1469 (1470), puis devant les conseillers au Parlement, après qu’ils eurent été amenés à la Conciergerie, et qui, en conséquence de cet aveu, obtinrent leur rémission en 1470, outre Denis Berthelot et Olivier Joulain, on cite les noms de Jean et Guillaume Nicolas, Jean Le Normant et Olivier Méry. Aucun d’eux ne paraît être parvenu à les faire entériner. Jean Le Normant, n’étant pas encore reparti pour son pays, retenu à Paris par l’instance d’entérinement, avait tué un homme en l’église des Saints-Innocents. Quand on l’arrêta, il portait sur lui ses lettres de rémission ; interrogé dans les prisons du Châtelet sur leur contenu, il déclara qu’il était l’exacte expression de la vérité ; ensuite pour le meurtre dont il s’était rendu coupable, il fut pendu et étranglé par sentence du prévôt de Paris. Nous ne pouvons suivre la procédure pas à pas ; cela nous entraînerait trop loin ; nous n’en citerons plus que deux ou trois phases. Le 31 janvier 1471 n.s., la cour ordonna que les habitants de Monts seraient tenus d’apporter, le lendemain de Quasimodo, les actes incriminés de faux eux-mêmes, car ils n’en avaient produit jusque-là que la copie collationnée. Comme ils ne s’exécutèrent pas au jour dit, nouvel ajournement leur fut donné aux mêmes fins pour le jour de la Madeleine. Ils firent une seconde fois défaut, et le lendemain 23 juillet, le vicomte de Rohan demanda que ses conclusions lui fussent adjugées et ses adversaires condamnés. Et cependant, un an plus tard, le 14 août 1472, on trouve encore un arrêt interlocutoire, ordonnant une troisième fois aux habitants d’apporter l’original du faux et de plus les condamnant à payer, à titre de provision, les huit sols par feu dont ils s’étaient déclarés redevables envers le seigneur de la Garnache. Le 28 du même mois, le vicomte de Rohan fut autorisé à faire faire des extraits collationnés des comptes du receveur du lieu et domaine de la Garnache, jusqu’au nombre de dix ou douze des plus anciens. Remarquons encore que dans une plaidoirie du 18 avril 1474, les habitants de Monts accusent Rohan ou ses officiers de s’être emparés des actes (les faux) que la Cour leur réclamait, en faisant arrêter et mettre en prison ceux qui les portaient à Paris.

Enfin, le 21 juillet 1475 fut prononcé l’arrêt définitif, dont voici la substance en ce qui concerne les habitants de Notre-Dame et de Saint-Jean-de-Monts et du Marais-Doux, d’une part, et le seigneur de la Garnache, d’autre. Le Parlement déclare fausses la charte de Maurice de Belleville et la confirmation d’Isabelle de Lusignan et ordonne qu’elles seront lacérées publiquement devant la Cour, ainsi que les vidimus qui en ont été produits au procès et pour réparer le tort fait par lesdits habitants au vicomte de Rohan, en voulant se servir de ces faux contre lui, il les condamne à cent livres parisis d’amende envers lui et à cent autres envers le roi (cette dernière somme destinée dores et déjà à défrayer Mes Jean de Sanzay et Jean Brinon, conseillers au Parlement, et leurs aides, du voyage qu’ils doivent faire par ordonnance du roi pour conduire un prisonnier, non nommé, de Paris à Bordeaux). En ce qui touche l’appel interjeté par lesdits habitants des officiers de la Garnache, il est déclaré nul et sans raison ; lesdits officiers ont bien et justement procédé, et par suite les appelants l’amenderont ; au contraire, l’appel fait par le vicomte de Rohan de l’exploit du sergent Gendronneau est admis comme légitimement relevé ; en conséquence, lesdits habitants supporteront les dépens des deux instances. De plus, ils sont condamnés à payer au seigneur de la Garnache la taille annuelle de 850 livres et les arrérages, déduction faite de ce qu’ils ont avancé, le procès pendant et en vertu de la provision accordée audit seigneur, sur les huits sols par feu, et ils seront tenus à l’avenir de s’acquitter de ladite taille et y seront contraints par toutes voies et moyens de droit. Des autres dispositions de l’arrêt du 21 juillet, celles qui concernent Jean Nicolas seront jointes en note au texte des lettres de rémission qui furent accordées à celui-ci, au mois de décembre 1473. (Ci-dessous n° MDXIII). Les actes du procès entre le vicomte de Rohan et les habitants de Notre-Dame et de Saint-Jean-de-Monts, qui viennent d’être résumés, se trouvent dans les registres du Parlement. (Arch. nat., X2a 31, fol. 91 v°, 92 ; X2a 38, fol. 201 v°, 205 ; X2a 39, plaidoiries du 18 avril 1474 ; X2a 40, fol. 192-196, arrêt.) Les habitants ainsi condamnés tentèrent encore d’échapper aux conséquences de leur défaite ; car à la date du 1er février 1486 n.s., on trouve un nouvel arrêt de la cour en faveur du vicomte de Rohan contre ses anciens adversaires de Notre-Dame et de Saint-Jean-de-Monts et des Marais-Doux portant que celui du 21 juillet 1475 sera mis à exécution « reaument et de fait ». (Id., X1a 1493, fol. 67 v°).

4 Comme on le voit dans la note précédente, les actes faux ayant été datés des années 1266 et 1279 avaient été attribués à Maurice II de Belleville, chevalier, seigneur de Belleville, Montaigu, la Garnache, Beauvoir-sur-Mer, Commequiers, etc., né vers 1210, décédé avant 1277, et à sa veuve Isabelle de Lusignan, fille aînée d’Hugues, comte de la Marche et d’Angoulême, et d’Yolande de Dreux, qui alors possédait en douaire Beauvoir-sur-Mer et Commequiers. Maurice de Belleville l’avait épousée en troisièmes noces, et elle-même avait été mariée une première fois à Geoffroy de Rancon, seigneur de Taillebourg. Elle vivait encore en 1303. (Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. I, p. 427.)

5 Sic. Il n’était pas dit précédemment que Jean Grosselaine et Olivier Meriem fussent peintres.

6 Sic. Lisez « paintres ».

7 Mots omis, suppléés comme nécessaires au sens.

8 Un mot omis par le scribe.

9 Louis de Rezay, capitaine du château de la Garnache pour le vicomte de Rohan. (Cf. ci-dessus, p. 101, note 3.)

10 La famille Tindo était déjà fixée dans cette région du Poitou au milieu du xive siècle. Pierre Tindo rendit aveu au roi, en 1344, d’une « borderie de terre herbergée » sise en la châtellenie de Châteaumur. (Arch. nat., P. 594, fol. 81.) Le 16 mars 1409 n.s., Jean Tindo se plaignait d’avoir été taxé à tort par les collecteurs des tailles en la châtellenie de Pouzauges. (Id., X1a 56, fol. 337.) Dans des actes de 1467 à 1475, on trouve un Louis Tindo, écuyer, licencié en lois, sénéchal de Thouars, d’abord pour Louis d’Amboise, vicomte de Thouars, prince de Talmont, puis pour le roi. Il est très vraisemblable que c’est le même personnage que le sénéchal de la Garnache nommé ici. Les officiers des justices seigneuriales cumulaient souvent, et ils étaient d’autant plus excusables que très rarement une seule charge aurait pu suffire à l’activité, même ordinaire, d’un homme. Ce Louis Tindo fut nommé, par lettre de Louis d’Amboise du 7 août 1467, commissaire en l’île de Ré pour la recherche des nouveaux acquêts faits par les gens d’église. (Arch. nat., K 184, n° 65.) Le 15 novembre 1473, prenant le titre de sénéchal de Thouars pour le roi, il ordonna à Huguet Cartier, receveur dudit Thouars, de payer 7 livres tournois à Jean Colin, maçon, pour avoir refait à neuf un mur de la grange du château de Thouars, et le 31 janvier 1475, il donna au même Cartier quittance de 50 livres, montant de ses gages de sénéchal, pour l’année commencée le 1er janvier 1474. (Bibl. nat., Pièces originales, vol. 2846, dossier Tindo, pièces 1 et 2.) Après la réunion de Thouars au domaine de la couronne, Tindo s’intitule lieutenant du sénéchal de Poitou au siège de Thouars ; il fut aussi secrétaire des finances du roi et en cette qualité on trouve sa signature au bas de missives du roi entre le 31 janvier 1476 et le 30 mars 1479. (Vaësen, Lettres de Louis XI, t. VI, p. 174.) Comme sénéchal de Thouars, après la mort de Louis d’Amboise, il assista à la prise de possession par les émissaires du roi, fut chargé de rechercher parmi les titres du chartrier les actes qui pouvaient être favorables aux prétentions royales, et il était présent quand Louis XI jeta au feu les lettres patentes, qu’il considérait comme nuisibles à sa cause. Aussi il fut appelé à déposer, le 29 janvier 1484, dans l’information faite à la requête de Louis de La Trémoille contre le procureur du roi au grand conseil et messire Philippe de Commines, pour parvenir à un arrêt de maintenue dans la possession de la vicomté de Thouars. Louis XI avait récompensé Louis Tindo par la première présidence du Parlement de Bordeaux et il continua d’en exercer les fonctions sous le règne de Charles VIII. Sa déposition débute ainsi : « Honorable homme et saige Louis Tindo, licencié ès lois, seigneur de la Brosse, conseiller du roi et premier president en sa court de Parlement à Bordeaux, aagé de quarante neuf ans ou environ … dit et deppose par son serment que, ou vivant de feu messire Loys d’Amboise, viconte de Thouars, lui qui deppose a esté dès son jeune aage pourveu en office oudit viconté, et premierement en l’office d’avocat fiscal, en l’office de chastellain et après en l’office de seneschal qu’il tenoit au trespas dudit feu viconte …, » (Mlle Dupont, édit. des Mémoires de Commines, in-8°, t. III, Preuves, p. 96, 106, 108, 115, 117.) Le fief de la Brosse-Guilgaut, dont Tindo était seigneur, était situé en la paroisse de Coulonges-Thouarsais et relevait de la vicomté de Thouars à hommage plein. On cite, à la date du 11 janvier 1495, une procuration de Louis Tindo pour en faire hommage, et le 26 juin 1503, une autre du tuteur de Marguerite et Marie Tindo (ses filles ou petites-filles) aux mêmes fins. Il possédait aussi un fief de rentes sur Vieux-pont, paroisse de Massais, tenue du même à hommage lige, dont il fit hommage au roi, le 15 juillet 1470, et à La Trémoïlle, le 5 novembre 1493. (Le duc de La Trémoïlle et H. Clouzot, Les fiefs de la vicomté de Thouars, in-4°, 1893, p. 144, 190.)

11 Dans le procès du vicomte de Rohan, seigneur de la Garnache, contre les habitants de Saint-Jean-de-Monts, il est dit que Denis Berthelot et Olivier Joulain eurent aussi des lettres de rémission d’Édouard de Lancastre, prince de Galles, lorsqu’il vint à Paris en novembre ou décembre 1470, ainsi que Jean et Guillaume Nicolas, Jean Le Normant et Olivier Méry (dont le nom est écrit Mériem dans le présent acte), qui avaient participé également à la fabrication des faux et l’avaient avoué de même. On ne trouve nulle part qu’elles aient été entérinées, par plus d’ailleurs que les présentes datées d’avril 1470. Au moment où il profita de l’entrée à Paris du prince de Galles, Berthelot et les autres étaient prisonniers à la Conciergerie ; ils furent remis en liberté et retournèrent en Poitou. Mais les commissaires du vicomte de Rohan se saisirent en chemin de Denis Berthelot et de Jean Audoyer et les retinrent prisonniers. Le premier comme prêtre fut livré à ses juges ecclésiastiques et « condempné à Maillezais en obliette en court d’eglise pour faulcetés ». Cette affirmation se trouve dans une plaidoirie du 18 avril 1474 pour les habitants de Monts, opposants à l’entérinement des lettres de rémission de Jean Nicolas. (Arch. nat., X2a 39, à la date.) On ne dit pas si Berthelot subit cette peine et s’il demeura longtemps dans les oubliettes de Maillezais. Mais, ce qui est certain, c’est que, le 14 août 1472, il fut décrété de prise de corps par le Parlement, en compagnie d’Olivier Joulain, son clerc, de Jean et Guillaume Nicolas, Perrot Audoyer, Guillaume Bruneau et Jean Chuppeau, pour être amenés de nouveau à la Conciergerie du Palais et répondre à justice du fait de ladite fausseté ; s’ils ne pouvaient être trouvés, ils devaient être ajournés à certain jour du prochain parlement, sous peine de bannissement du royaume, de confiscation et d’être convaincus des cas à eux imposés. (Id., X2a 38, fol. 201 v°.) Depuis lors, il n’est plus question de Denis Berthelot dans le procès, et l’arrêt définitif est complètement muet en ce qui le touche.

12 Sur Tanneguy du Châtel, vicomte de la Bellière, gouverneur de Roussillon, cf. ci-dessus, p. 124, note 2.

13 Guillaume de Cerizay, protonotaire et secrétaire du roi. (Voy. ci-après, p. 256, note 2.)