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MCCCCXCIX

Rémission en faveur d’Abel Bexon, jeune gentilhomme, demeurant à la Martinière, paroisse des Herbiers, coupable de l’assassinat de Jean Joly ; celui-ci, simple cordonnier, ayant usurpé la qualité de gentilhomme, était parvenu à épouser la cousine germaine dudit Bexon, avait dissipé les biens qu’elle lui avait apportés et la maltraitait.

  • B AN JJ. 201, n° 125, fol. 98
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 284-288
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Abel Bexon1, povre gentilhomme, aagé de xx. ans ou environ, du lieu de la Martinière en la parroisse des Herbiers en nostre pays de Poitou, contenant que, vingt ans a ou environ feu Jehan Joly, soy disant estre gentilhomme du païs de Normendie, s’en vint demourer oudit païs de Poitou, en la parroisse de Chievresay, monté de deux chevaulx, et par ses subtilz moyens trouva façon d’avoir à femme et espouse Jehanne Morceyne (sic), fille de feu André Morin (sic), cousine germaine dudit suppliant, [p. 285] demeurant audit Chievresay, de laquelle il eust ung très bon mariage, qui valoit de vi. à viixx livres de rente, cuidant qu’il fut gentilhomme, comme il avoit donné à entendre, ce qu’il n’estoit pas, ains estoit du mestier de cordouannier, et s’en est tousjours depuis meslé, et durant ce qu’il a esté avec sa dicte femme l’a menée en plusieurs pays, tant ès marches de Picardie, Normandie, que autre part, et par son mauvais gouvernement a vendu, dicippé et gasté tous les biens et chevance de sa dicte femme, tellement qu’elle ne savoit de quoy vivre ; et après ce qu’il [l’] eust ainsi menée par lesdiz pays et qu’il vit qu’il ne savoit de quoy soy entretenir, pour ce qu’il avoit tout despendu, s’en vint demourer en la ville de la Rochelle, en laquelle il a demouré par certain temps, et tant qu’il a vescu, a tenu très mauvaiz et durs termes à sa dicte femme, tellement qu’il la fit enfanter devant son terme, et n’eust point son enfant de baptesme. Laquelle femme dudit deffunct, cousine germaine dudit suppliant, soy veant ainsi durement traictée, peut avoir xv. mois ou environ, manda venir vers elle Pierre Bexon, prebstre, frère dudit suppliant, demourant audit lieu de la Rochelle, et aussi ledit suppliant qui demouroit audit lieu de la Martinière oudit païs de Poitou, en la compaignie duquel suppliant y vint ung sien frère, nommé frère Loys Bexon, religieux de l’ordre Saint Benoist. Et quant ilz furent arrivez devers leur dite cousine, elle se commença fort à plaindre à eulx desdiz mauvaiz termes que son dit mary luy avoit tousjours tenus et tenoit, et comme il avoit tout vendu et despensé le sien, et que pour Dieu ilz le lui voulsissent remonstrer, affin qu’il se voulsist mieulx gouverner qu’il n’avoit fait. Lequel suppliant et ses diz frères, très corroussez et desplaisans de ce, mandèrent venir devers eulx ledit deffunct et luy commencèrent à remonstrer que ce n’estoit pas bien fait à lui de tenir si mauvaise vye à leur dite cousine et d’avoir si meschamment despendu [p. 286] le sien, et que s’il ne se gouvernoit autrement, qu’ilz estoient deliberez d’y pourveoyr. Lequel deffunct, qui estoit homme de très mauvaise vie, comme dit est, se commença à courroucer très fort audit suppliant et à ses diz frères, pour ce qu’ilz luy remonstroient son mauvaiz gouvernement et les menassa de batre, et demanda par courroux audit suppliant qu’il estoit venu faire audit lieu de la Rochelle, et ledit suppliant luy dit qu’il n’en avoit que besongner. Et après que ledit suppliant et sesdiz frères eurent demouré audit lieu de la Rochelle environ six jours, ilz s’en partirent et se mirent en chemin pour eulx en venir audit lieu de la Martinière, et ainsi qu’ilz s’en vouloient partir, ledit deffunct dit audit Pierre Bexon, frère dudit suppliant, qu’il y vouloit aller avec eulx, et ledit suppliant luy dit qu’il feroit que fol d’y venir, attendu qu’il savoit bien que sesdiz frères ne luy ne l’amoient point et qu’ilz pourroient bien avoir debat ensemble sur les champs ; et il dit qu’il y vouloit aller pour tenir compaignie audit Pierre Bexon, prebstre, frère dudit suppliant, quant il s’en retourneroit audit lieu de la Rochelle, pour ce qu’il y faisoit sa demourance. Et sur ces termes, la veille de la Chandelleur derrenière passée eust ung an, se mirent en chemin ledit suppliant, sesdiz frères et ledit deffunct, pour venir audit lieu de la Martinière, et porta ledit deffunct l’espée dudit suppliant ; et vindrent ce jour au giste à Charon, à quatre lieues de ladite ville de la Rochelle, et en y venant, eurent plusieurs parolles rigoureuses ensemble, pour ce que ledit suppliant et sesdiz frères luy remonstroient sa dite faulte. Et le lendemain, jour de Nostre Dame de Chandelleur, s’en vindrent au giste auprès de l’abbaye de Trisay et eurent pareillement ledit suppliant et sesdiz frères plusieurs questions et debatz audit deffunct. Et le lendemain ensuivant, cheminèrent ensemble environ cincq ou six lieues, en eulx en venant audit lieu de la Martinière, et quant ilz furent près de l’ostel du [p. 287] Parc, pour ce que ledit suppliant et ledit deffunct s’estoient dictes des parolles rigoureuses l’un à l’autre, icelluy suppliant dit audit Pierre, son frère, qui estoient demourez ung peu derrière ledit deffunct et leur dit frère Loys, lesquelz s’en aloyent devant : « Mon frère, vous avez veu comme ce ribault a tout despendu les biens de notre cousine et les mauvaiz termes qu’il luy a tousjours tenus et tient chacun jour, et comme il nous a voulu batre et oultrager, pour ce que nous le luy avons remonstré ; par quoy je suis deliberé de le batre maintenant ; et aussi sommes nous en beau chemin ». Et son dit frère luy dit qu’il ne le bateroit point là ; car ilz estoient trop sur le grant chemin, et qu’il y pourroit bien venir des gens, et qu’il valoit mieulx qui le batit quant ilz seroient en la forest du Parc, qui estoit près d’illec, et ce fait cheminèrent tous ensemble jusques en ladite forest et prindrent ung chemin à l’escart du grant chemin d’environ demy quart de lieue. Et quant ilz furent près de l’estang de Blanchenore qui est dedens ladite forest, ledit suppliant dit audit deffunct : « Baillez moy mon espée, que je vous baillay, quant nous partismes de la Rochelle ». Lequel deffunct, soy doubtant dudit suppliant, pour ce qu’ilz avoient eu, comme dit est, de très rigoureuses parolles l’un contre l’autre et s’estoient menassez de batre, tira ladite espée et en bailla ung coup audit suppliant, et n’eust esté que ledit suppliant mist le bras au devant, icelluy deffunct l’eust tué ou villainement blessé. Et quant ledit suppliant se vit ainsi oultragé, qui estoit fort esmeu et eschauffé, tyra sa dague et en bailla trois ou quatre coups en l’estoumac dudit deffunct, et après luy osta sadite espée, de laquelle il luy bailla ung coup sur la teste dont ledit deffunct tomba à terre, et incontinent ala de vie à trespas. Lequel suppliant, doubtant que ledit deffunct ne fut apperceu sur le chemin, print icelluy deffunct et le gecta dedans ledit estang et lui mist une pierre au col, afin qu’il alast au fons de l’eaue. En quoy [p. 288]faisant, ne luy fut donné par sesdiz frères aucun ayde ne secours, maiz s’en fouyrent. A l’occasion duquel cas, dont ledit suppliant a fait satisfacion à partie, icelluy suppliant, pour ce qu’il a esté adverty que ledit deffunct a esté trouvé audit estang et que ceulx de la justice l’ont trouvé coulpable dudit cas, s’est absenté du pays, ouquel ne ailleurs en nostre royaume il n’oseroit jamais seurement converser ne repairer, se nostre grace et misericorde ne luy estoit sur ce impartie, en nous humblement requerant, etc. Pour quoy nous, etc., audit suppliant au cas dessusdit avons quicté, remis et pardonné, etc., avec toute peine, etc., en mettant au neant tous appeaulx, adjournemens, ban ou deffaulx, etc., et l’avons restitué et restituons à sa bonne fame et renommée, au païs et à ses biens non confisquez, satisfaction faicte à partie civillement tant seullement, se faicte n’est, etc. Si donnons en mandement, par ces dictes presentes, au seneschal de Poitou et à tous noz autres justiciers, ou à leurs lieuxtenans, etc., que noz presens grace, quictance, remission et pardon ilz facent, seuffrent et laissent ledit suppliant joyr et user, etc. Donné à Amiens, ou mois d’avril l’an de grace mil iiiic lxxi. après Pasques, et de nostre règne le xe.

Ainsi signé : Par le roy, maistre Guillaume Compains2 et autres presens. J. Damoisyn.


1 Ce nom fut porté par plusieurs familles différentes en Poitou, et il s’orthographie plus fréquemment Besson. C’est sous cette dernière forme que la nouv. édit. du Dict. des familles de l’ancien Poitou a réuni une dizaine de mentions relatives à des personnages de ce nom, du xive au xviie siècle, parmi lesquels se trouve Abel Besson, évidemment le nôtre, qui est qualifié seigneur de la Martinière et faisait, en 1481, l’acquisition de quelques héritages en la paroisse Saint-Pierre des Herbiers, et l’un de ses ascendants, Simon Besson, aussi sr de la Martinière, qui fit son testament le 13 février 1410. (Op. cit., t. I, p. 516.) Deux des frères d’Abel sont cités dans le présent acte, Pierre Besson, prêtre, et Louis, religieux bénédictin. Nous signalerons ici des documents qui font connaître deux autres membres de la même famille, vivant trente-cinq ou quarante ans plus tôt. Le premier est une commission adressée par Charles VII, le 8 février 1430, au Parlement de Poitiers, pour l’ajournement d’un procès engagé au sujet de la succession de Guillaume Bexon, et particulièrement en ce qui touchait la terre de la « Masselière ». (Arch. nat., X1a 8604, fol. 140.) Un André Bexon, dont le nom est écrit tantôt Besson, tantôt Bexon, était détenu prisonnier à la requête d’Ambroise de Grassay, abbé de la Grènetière, à la date du 14 juin 1435, et l’on trouve deux autres actes du procès criminel qui lui fut fait à cette occasion par le Parlement siégeant à Poitiers, au 19 décembre 1435 et au 13 février 1436 n.s. (Id., X2a 21, aux dates ci-dessus.)

2 Guillaume Compains, aliàs Compaing, qui avait été reçu conseiller au Parlement de Paris, le 10 mai 1454 (Blanchard, Catalogue de tous les conseillers au Parlement, in-fol., p. 24), siégea au Conseil du roi à partir de 1465, et de cette date à 1473 on trouve son nom au bas d’une quantité d’ordonnances, édits ou lettres patentes. (Cf. le recueil des Ordonnances des Rois de France, in-fol., t. XVI, et surtout t. XVII.)