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MCCCCXXXII

Rémission accordée à Jean Léart, marchand de Melle, coupable du meurtre de sa femme à la suite d’une dispute motivée par l’inconduite de celle-ci.

  • B AN JJ. 200, n° 127, fol. 68 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 83-86
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Leart, marchant, aagé de xxx. ans ou environ, demourant à Melle en nostre païs de Poictou, contenant que deux ans a ou environ il fut, par le conseil d’aucuns ses parens et amys, conjoinct par mariage avecques feue Katherine Poinssaude, fille de François Poinssaud, dudit lieu de Melle. Après lequel mariage fait et acomply, ilz allèrent demourer en certaine maison de ladicte ville de Melle, près l’ostel de Guillaume Poinssaud, prebstre, oncle d’icelle Katherine, et pour l’entretenement de leur dit hostel et mesnaige ledit suppliant bailla à ladicte Katherine la conduite et charge de sondit hostel et marchandise. Et depuis, c’est assavoir x. ou xii. jours après la feste de Pasques derrenière passée, ledit suppliant se partit dudit lieu de Melle, pour mener et conduire certaine marchandise en la ville de Tholose et autres lieux ès parties de par delà, et oudit voyage allant, sejournant et retournant, demoura jusques au lundi d’après la feste de Penthecouste aussi derrenière passée, qu’il arriva oudit lieu de Melle, environ l’eure de porte fermant, et se adreça à la porte de Saint Hilaire de ladicte ville de Melle, laquelle il trouva fermée ; et ce voyant, s’en ala en l’ostel dudit François, père de la dicte Katherine, ou bourg dudit Saint Hilaire. Auquel François il demanda comment se portoit son mesnaige, et ledit François lui respondit [p. 84] que tout estoit perdu et que ladicte Katherine s’estoit appaillardée avec les gens d’armes, avec lesquelz elle estoit lors et entendoit s’en aller en leur compaignie, en lui disant qu’il en estoit le plus courroucé, mais qu’il le voulsist prendre en pacience. Après lesquelles parolles oyes par ledit suppliant, il yssit dudit hostel et s’en ala courant, pour veoir sadicte femme et savoir se lesdictes parolles estoient vrayes, à certaine autre porte de ladicte ville, appellée la porte de Fossemaigne, par laquelle il entra en ladicte ville ; et pour la honte qu’il avoit de ce que lui avoit dit son beau père, n’osa aler le long de la grant rue et monta sur les murs de ladicte ville pour aler en sondit hostel, et en y alant, ainsi qu’il passoit par devant l’eglise de monsieur Saint Savenien de ladite ville, il vit et apperceut ladicte Katherine, sa femme en une dance, laquelle tenoit par la main ung appellé Grant Jehan, varlet d’un nommé Martin Chevalier1, archer de nostre ordonnance soubz la charge de nostre amé et feal chevalier, conseiller et chambellan le sire de Crussol, qui estoit logé en ladicte ville. Et lors ledit suppliant s’approucha de sadicte femme et la print par la main, en lui disant telles parolles : « Madame, alons nous en ». Laquelle Katherine, jasoit ce que ledit suppliant ne lui meffist ou mesdist autre chose que dit est, et eust par avant de coustume de l’appeller Madame, cuidant s’eschaper dudit suppliant, se tira arrière en disant que non feroit et qu’elle ne s’en yroit point. Et à ceste cause, ledit suppliant, de ce desplaisant et esmeu tant desdictes parolles à lui dictes par son dit beau père que aussi de ce que faisoit en sa presence icelle Katherine, tira ung cousteau ou petit poignart qu’il portoit de coustume [p. 85] avec lui, quant il aloit sur les champs, et du plat dudit cousteau lui donna deux coups par derrière sur la couche2 du chapperon. Ce que voyans, aucunes autres femmes estans en presence, disdrent à la dicte Katherine telles paroles : « Va t’en m’amye, va t’en avec ton mary. » Et la dicte Katherine leur respondit que non feroit, en resistant au contraire de toute sa puissance. Lequel suppliant, voyant qu’elle persistoit en sa dampnable voulenté, lui donna aucuns coups du tranchant dudit cousteau sur sa robe, et la dicte Katherine fleschit soubz les diz coups tellement que d’iceulx ne lui pevoit ledit suppliant faire aucun mal. Et lors ledit suppliant ainsi esmeu, lui donna dudit poingnart plusieurs coups d’estoc ès cuisses, tellement qu’il lui fist plusieurs plaies. Après lesquelz coups icelle Katherine, en perseverant tousjours en son mauvais propos, s’en fouyt ainsi blecée en l’ostel où estoient logez aucuns desdiz gens de guerre ; ou quel hostel, six ou sept heures après ladicte bleceure, elle ala, par faulte de bon gouvernement ou autrement, à cause desdiz coups, de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas ainsi avenu, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, se mist en franchise en une chappelle de la dicte ville appellée des Marches, où il a esté par aucun temps et jusques à ce que les gens de la justice dudit lieu de Melle …3, où il a esté detenu par aucuns jours, et depuis au moyen de certaines monicions de nostre amé et feal l’evesque de Poictiers, lesdiz officiers de Melle l’ont rendu en ladicte chappelle et franchise, et illec est estroictement enserré, en voye d’y estre et demourer longuement en grant povreté et misère, sy nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, en nous humblement requerant que, [p. 86] attendu la manière dudit cas advenu et que ledit suppliant en tous ses autres cas a tousjours esté homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, il nous plaise ledit cas lui quicter, remettre et pardonner, nos dictes grace et misericorde lui impartir Pour quoy, etc. Donné, etc., ou moys de juing, à Rouen4.

Et signé : de Molins. — Visa. Contentor. Duban.


1 Martin Chevalier figure encore en cette même qualité sur le « Roolle de la monstre et reveue faicte à Poictiers, le ve jour de mars m. iiiic lxx, de 96 hommes d’armes et de 190 archers estans soubz la charge et retenue de Monsr de Crussol, seneschal de Poictou », rôle publié par M. de La Boutetière, dans le t. II des Archives hist. du Poitou, p. 305.

2 Sic. Godefroy, qui cite ce passage, se demande si le mot « couche » n’a pas ici le sens de bourrelet. On pourrait lire aussi bien « conche ».

3 Sic. Mots omis par le scribe, auxquels il est facile de suppléer. Le sens est de toute évidence que les gens de la justice de Melle l’avaient constitué prisonnier dans les prisons de cette ville.

4 La fin de cet acte est ainsi résumée, et le millésime a été omis. D’autres lettres de ce registre en assez grand nombre, étant datées de Rouen, juin 1467, il est à peu près certain que la rémission accordée à Jean Léart est bien de juin 1467.