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MCCCCLIX

Rémission donnée en faveur de Jean Vallée (alias du Planché), de Poitiers, détenu dans les prisons de cette ville pour faux en écriture publique.

  • B AN JJ. 196, n° 148, fol. 83
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 157-163
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons [p. 158] à tous, presens et advenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Vallée1, demourant à Poictiers, prisonnier detenu ès prisons dudit lieu, contenant que ledit suppliant a demouré la pluspart de son temps, avec ses père et mère, en ladite ville, et s’est entremis de faire des patins jusques à i. an ou environ qu’il fut conjoinct par mariaige avec une nommée Françoyse Pafirde (sic) de la ville de Nyort, paravant femme de feu Jehan Robertin2, et fut fermier de la prevosté et amendes de la court ordinaire dudit Poictiers, laquelle luy afferma Guillaume Macé3, prevost fermier dudit lieu et receveur de ladite ville, depuis la feste de saint Jehan Baptiste derrenière [p. 159] passée jusques à deux ans lors prouchains ensuivans, pour le pris et somme de ixxxx livres tournois, partie de laquelle ferme il a tousjours levée et jusques à nagaires ; et aussi depuis ledit mariaige, icellui suppliant et sadicte femme ont, par divers contractz et appoinctemens par eulx faiz avec ledit Guillaume Macé, vendu à icelluy Macé rentes sur eulx et leurs heritaiges. Et semblablement vendit ladicte femme audit Macé, durant ladicte viduité, aucunes rentes dont ledit suppliant n’est records sur tous et chacuns ses biens, ainsi que par les contractz sur ce faiz, par ledit suppliant depuis ratiffiez et approuvez, on dit plus à plain apparoir. Lequel suppliant, voyant luy et sadicte femme estre tenuz et endebtez en grans sommes de deniers envers ledit Guillaume Macé, et considerant que ledit Macé luy en feroit en brief question et demande, et que aucun ne aucune ne vouldroit achepter ne contracter avec luy touchant aucuns des biens ne heritaiges de luy ne sadicte femme, jusques à ce qu’il [p. 160]eust fait compte et recouvert quictance dudit Guillaume Macé, touchant ladicte ferme et autres affaires dont ilz avoient eu à besoigner ensemble, comme dit est, avoit dèspieçà pourparlé et compté son cas à ung escripvain duquel ne scet le nom, lors estant au Marché vieil de ladicte ville de Poictiers, et comment il estoit obligé audit Macé soubz les compulsions du petit seel de Montpeslier (sic). Lequel escripvain l’advertit de faire passer et avoir une quictance ou nom dudit Macé. Et depuis parla à ung nommé Jehan de Coustures, son varlet, de la manière de passer ladicte quictance et de adviser quel homme il pourroit trouver au plus près de la similitude en grandeur, aage et parolle dudit Macé ; lequel de Coustures avertit ledit suppliant d’ung nommé Jehan Vallée (sic), tenneur, demourant audit Poictiers. Et à ceste cause ledit suppliant, lors estant audit Nyort, chargea audit de Coustures, son valet, partir dudit lieu de Nyort et s’en venir audit lieu de Poictiers et dire audit Macé qu’il allast audit lieu de Nyort par devers luy, affin de le payer de sondit deu et compter avecques luy, et aussi devers ledit Vallée luy dire qu’il allast parler à luy audit lieu de Nyort, ainsi que ledit de Coustures fist, et bailla audit Vallée une robe courte levée, disant qu’il en chemineroit plus legierement. Et ce fait, se partirent lesdiz de Coustures et Vallée de ladite ville de Poictiers et s’en allèrent, le jour dudit partement, coucher au lieu de Soubzdain et le lendemain ensuivant au lieu de Nyort, à l’ostellerie de la Teste noyre, où ilz arrivèrent environ six heures au soir, où estoit logé ledit suppliant, qui tantost après arriva, de retour de la ville, en ladicte hostellerie, et puis souppèrent ensemble. Et après soupper, eulx estans en une chambre basse, icelluy suppliant tira à part ledit Vallée, en la presence dudit de Coustures, [et lui dit] qu’il avoit à besoigner audit lieu de Nyort avecques aucunes gens et qu’il convenoit qu’il luy fist ung plaisir de dire qu’il estoit [p. 161]Guillaume Macé, prevost fermier et receveur de ladite ville. Lequel Vallée luy respondit qu’il ne l’ozeroit faire et qu’il en seroit apprehendé par justice, s’il estoit sceu, Et adonc ledit suppliant luy dist que jamais ne seroit sceu, et luy donna une espée et luy promist donner le drap d’une robe, luy retourné à Poictiers. Mais neantmoins ledit [Vallée] ne le voulut octroyer pour ledit jour, et atant se couchèrent, c’est assavoir ledit suppliant seul et lesdiz Vallée et de Coustures en ung autre (sic). Et le lendemain qui fut dymenche, ledit suppliant requist derechef par plusieurs foiz audit Vallée qu’il se voulsist nommer Guillaume Macé, disant que ledit Macé devoit venir audit lieu de Nyort, et qu’il n’en seroit jamais sceu aucune chose, et que parce en monstrant ladicte quictance de ladicte somme de iiiic iiiixx livres4, que devoit ledit suppliant, tant pour le fait de ladite prevosté que pour sesdictes autres affaires, il trouveroit assez gens qui besoigneroient avec luy touchant lesdiz heritaiges ; à quoy ledit Vallée fist responce qu’il ne le feroit point et qu’il en seroit reprins par justice ; mais icelluy suppliant fist tant et poursuyvit envers luy que, après plusieurs parolles, luy accorda le faire. Et ledit jour de dimanche, environ le soir ou lundy ensuivant, ne scet ledit suppliant bonnement lequel, arrivèrent en ladicte hostellerie de la Teste noyre ledit Guillaume Macé, Micheau Dabert5 et Richard Thibault en sa compagnye, qui souppèrent tous ensemble en ladicte chambre, et ledit Vallée, par le commandement [p. 162] et ordonnance dudit suppliant, se mist et souppa seul en une chambre avec l’oste et l’ostesse, et luy deffendit ledit suppliant qu’il ne se monstrast aucunement à eulx ne à aucun d’eulx. Et le lendemain, environ vii. heures de matin, et ainsi que lesdiz Macé, Dabert et Tibault estoient encores couchez en leur lyt, vint ledit suppliant audit Vallée, qui estoit en une chambre haulte, avec deux autres gens, et luy dist qu’il se levast et habillast pour aller où il le voulloit mener, pendent ce que ledit Macé, Dabert et Thibault estoient en leur dicte chambre, et qu’il se housast et esperonnast des houseaulx et esperons qu’il luy bailleroit, et qu’il seroit plus honnestement housé que autrement. Et lors ledit Vallée se habilla, houza et esperonna, et suyt ledit suppliant en ung hostel près Saint André de ladite ville de Nyort, ouquel hostel ilz trouvèrent ung petit prebstre notaire, et puis après alla ledit suppliant querir deux autres notaires, par devant lesquelx il dist audit Vallée, faignant parler audit Massé : « Or ça, monsieur le receveur Guillaume, vous et moy avons eu à besoigner ensemble de plusieurs grans sommes de deniers. Ne me tenez vous pas quicte de la somme de iiic iiiixx livres6, en quoy je vous ay esté autresfoiz tenu, tant à cause de la prevosté que je tenoys que d’argent que m’avez presté, que aussi de ce que ma femme avoit à besoigner avec vous ? » Lequel Vallée, en entretenant ladicte promesse par luy faicte, comme dit est, respondit telles parolles : « Oyl, il le m’a très bien payé ». Et alors ledit suppliant requist ausdiz notaires lettres de quictance en forme deue et vallable. A quoy lesdiz notaires demandèrent audit Vallée s’il se tenoit content de ladicte somme, et s’il voulloit qu’ilz en donnassent quictance. Et il respondi que oy et qu’il l’en quictoit de tout ce qu’il luy devoit. Et ce fait, lesdiz notaires [p. 163] prindrent la main dudit Vallée et le jugèrent et condempnèrent de ladicte quictance. Et après ledit Vallée dist audit Vallée (sic) qu’il s’en retournast à ladite hostellerie de la Teste Noyre et que, s’il rencontroit ledit Macé, Dabert et Thibault, qu’il se tirast à part, affin qu’ilz ne le veissent et que, s’il advenoit qu’ilz le trouvassent, qu’il ne leur dist point dont il venoit ne pour quelle cause il estoit venu en ladicte ville. Lequel Vallée s’en alla en ladicte hostellerie et ledit Du Planché7 demoura avecques lesdiz notaires, et une heure après ou environ, s’en retourna en ladite hostellerie, et deffendit derechef audit Vallée qu’il ne se trouvast point devant les dessusdiz Macé, Dabert, Thibault, ne en lieu où ilz le peussent appercevoir, jusques à ce qu’ilz s’en feussent allez. Après le passement de laquelle quictance, lesdiz notaires ou aucun d’eulx soy doubta de la manière du cas advenu, et dist audit suppliant que celuy qu’il avoit amené passer ladicte quictance n’estoit point Guillaume Macé, mais que c’estoit une tromperie. A quoy ledit suppliant afferma que non estoit, et fut lors meu de les rompre (sic) par plusieurs foiz, saichant avoir mal fait. Mais il differa, esperant que aucun vint besoigner avecques luy touchant lesdiz heritaiges assis audit lieu de Nyort, affin de soy acquicter. Et depuis ledit cas est venu à la congnoissance de justice, et à ceste cause lesdiz suppliant et Vallée, ont esté constituez prisonniers en noz prisons dudict Poictiers, etc. Au seneschal de Poictou et à tous, etc. Donné à Maillé, ou moys de may l’an de grace mil cccc. soixante neuf, et de nostre règne le neufiesme8.


1 On remarquera que Jean et Vallée sont les nom et prénom donnés à plusieurs reprises, dans le cours du présent acte, au complice que l’impétrant s’associa pour la perpétration du faux en question, et que, d’autre part, vers la fin de cette rémission, le principal auteur est nommé Du Planché. Il est fort possible que tel ait été en réalité son nom et que, s’il est appelé ici « Jehan Vallée », cela soit le résultat d’une confusion avec le nom de son acolyte désigné plus loin, confusion qui serait le fait soit du rédacteur des lettres soit du copiste.

2 Un ancien inventaire des archives de la ville de Poitiers mentionne un acte de vente faite, le 7 janvier 1468, par Jean Robertin, bourgeois, et Françoise Pascaude, sa femme, à Hilaire Féliceau, cordonnier, pour la somme de cent écus d’or, d’une maison située en la paroisse de Saint-Michel, appelée la maison du Poix, en la rue par laquelle on va de Saint-Michel au pont Enjoubert, tenue des maire, échevins et bourgeois à une rente de trente-cinq sols. (A. Richard et Ch. Barbier, Inventaire des Arch. de la ville de Poitiers, dressé par L. Rédet. Poitiers, 1883, in-8°, p. 319.) Il s’agit peut-être des mêmes personnes nommées ici. Françoise « Pafirde » est certainement un mot déformé par l’ignorance du scribe ; il aura cru lire ce nom baroque, alors que la minute portait « Pascode ».

3 Guillaume Macé, qui appartenait sans doute à la famille de ce nom dont un membre fut maire de Poitiers (1406-1408) et qui possédait au xve siècle la seigneurie des Touches en la paroisse de Mignaloux (Arch. nat., R1* 2171, p. 53 ; P. 1144, fol. 9 v° ; P. 1145, fol. 86 v°), est mentionné trois fois dans l’inventaire des archives communales (op. cit., p. 215, 319, 323), le 27 juillet 1468, comme chargé de la recette du barrage, l’an 1477, en qualité de receveur ordinaire de la ville, et le 24 décembre 1487, où il s’agit d’un acte par lequel les maire et échevins de Poitiers acceptent l’offre faite par Guillaume Macé, bourgeois, au cas où il serait reçu au nombre des vingt-cinq, en place de feu Jean Pasquier, d’amortir les 30 livres de rente que Jean Rideau avait engagées du domaine de la ville, sans être aucunement remboursé des premiers 200 écus qu’il payerait à cette fin. Nous pouvons en outre citer plusieurs actes judiciaires de l’année 1468, où G. Macé est qualifié commis à l’exercice de la prévôté de Poitiers. Jean Beslon, écuyer, sr de Ringères, avait obtenu du roi des lettres de rémission des peines qu’il avait encourues pour complicité de meurtre et résistance à justice, et demandait qu’elles fussent entérinées au Parlement, requête à laquelle s’opposèrent Pierre Chevalier, meunier, Louis Garnier, enquêteur pour le roi en Poitou, Guillaume Macé, commis à l’exercice de la prévôté de Poitiers, Jean Audouin, sergent du roi, et Jean Caquereau, marchand bourgeois de Poitiers. Le meunier Pierre Chevalier, de Quinçay, fermier d’une pêcherie appartenant au chapitre de Saint-Hilaire, était la première victime : deux pages de Beslon lui avaient fait onze blessures mortelles ; il était resté plus de neuf mois entre la vie et la mort et était pour toujours estropié. Le commis à la prévôté, Guillaume Macé, et les autres avaient été envoyés avec la force armée à Ringères par Jean Chambon, lieutenant du sénéchal, pour prendre au corps les coupables ; mais Jean Beslon et ses gens en grand nombre s’étaient mis en état de rébellion contre la justice et s’étaient servis de leurs armes pour les empêcher d’exécuter leur commission ; plusieurs avaient eu leurs chevaux tués, d’autres avaient été blessés. C’est pourquoi ils se constituèrent avec le procureur général opposants à l’enregistrement de la rémission. (Voir les pièces du procès, Arch. nat., X2a 35, aux dates des 11 et 12 mars, 23 et 24 mai, 14 juin 1468 ; X2a 36, 1er juin et 7 décembre 1468, fol. 109 v°, 183 v°.) Jean Beslon mourut avant le jugement ; il est dit défunt dans un acte du 27 mars 1470 (X2a 35, à la date), se rapportant à la même affaire, que Pierre Chevalier poursuivit d’ailleurs contre Louis Goulart et Bertrand de Marconnay, pendant plusieurs années encore. (Voir 1er et 10 septembre 1473, X2a 40, fol. 85 v°, 89 v°.)

4 On remarquera que cette somme est énoncée ici pour la première fois, quoique le texte porte « ladicte somme … »

5 Micheau Dabert appartenait aussi à une famille notable de Poitiers, dont deux membres sont connus par l’Inventaire des Archives de la ville de Poitiers : Jean Dabert, qui le 6 mai 1491, avec Jamet Gervain et quatre autres, signa une reconnaissance de 500 livres à l’Université de Poitiers ; Micheau Dabert, qui était receveur des deniers communs de la ville de Poitiers en 1515 et 1516, suivant son compte, clos et arrêté, le 9 novembre 1517, par Jean Bastart, maire, et autres. (Cf. p. 204 et 323).

6 Sic. Ci-dessus, on lit : iiiic iiiixx livres.

7 Sic. C’est la première et la seule fois que ce nom figure dans l’acte ; cependant il pourrait fort bien être le vrai nom du destinataire des présentes lettres de rémission. (Cf. ci-dessus, p. 158, note 1).

8 Sic. Il faudrait le huitiesme, ou bien changer le millésime 1469 en 1470, la neufième année du règne de Louis XI n’ayant commencé que le 22 juillet 1469. On connaît d’ailleurs une lettre missive du roi, datée de « Mailly » (pour Maillé), le 13 mai 1469. (J. Vaësen, Lettres de Louis XI, t. III, p. 345.)