[p. 447]

MDXLII

Rémission octroyée à trois prêtres, Nicolas Le Maréchal, Jean Vignault, Robert Fortinier, et à Gillet Dugué, hôtelier, d’Ingrande près Châtellerault, poursuivis pour le meurtre de Pierre Piquet, serviteur du seigneur du Vergier, frappé mortellement dans un conflit qu’il avait provoqué au nom de son maître, s’opposant par la force à la levée des dîmes appartenant à la cure d’Ingrande, dont lesdits prêtres étaient vicaires fermiers.

  • B AN JJ. 195, n° 1180, fol. 263 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 447-452
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Nicolas Le Mareschal, Jehan Vignault et Robert Fortinier, prebstres, et Gilet Dugué, hostelier, demourans au bourg d’Ingrande près Chastelleraud, contenant que, ou mois de [p. 448] juing derrenier passé, lesdiz Le Mareschal et Vignault, qui sont vicaires fermiers de la cure d’Ingrande, baillèrent à lever pour ceste année audit Jehan Dugué et à Jehan Caderu les dismes appartenans à ladicte cure, lesquelz en ont levé certaine quantité. Et pour ce que le seigneur du Vergier1 ou ses gens ne furent pas contens que lesdiz Dugué et Caderu prinsent la dîme en certaines terres, ung nommé Pierre Piquet, soy disant serviteur dudit seigneur du Vergier, [voulu contredire2] ausdiz dismeurs, en les demandant [p. 449]à aucunes personnes et disant qu’il les trouveroit ledit jour en paradis ou en enfer. Et cedit jour, qui fut le xxviie jour de juillet derrenier passé, parla icelluy Piquet à Jehan Amaillon, lequel il menaça de batre pour ce qu’il avoit baillé des gerbes de disme ausdiz dismeurs d’Ingrande, en menassant aussi très fort ledit Dugué, suppliant, et en disant, entre autres parolles, qu’il y avoit à l’ostel du Vergier ung jarnier pour mettre les jambons et les oreilles dudit Dugué, suppliant. Lequel et ledit Nicolas Le Mareschal s’en alèrent, environ une heure après midy, au champ dudit Amaillon, et illec prindrent deux gerbes de disme, lesquelles ledit Dugué charga sur son cheval pour les porter à Ingrande, et dist ledit Le Mareschal audit Dugué qu’il s’en aloit à l’ostel de Pierre Jonnault veoir se ledit Piquet y estoit et s’il avoit beaucop de gens avec luy, et puis s’en retourneroit au devant dudit Dugué et le trouveroit à une souche qui est entre la maison dudit Jonnault et le grant chemin d’Oyré. Et ce fait, ledit Le Mareschal ala à l’ostel dudit Jonnault, auquel il ne trouva point ledit Piquet ne ses gens, et s’en retourna à ladicte souche au devant desdiz supplians ; et en retournant, ledit Dugué laissa son cheval dedans les boys, et trouvèrent ledit Le Mareschal qui leur dist qu’ilz s’avançassent de venir, pour enmener les gerbes qu’il avoit jà tiré3 de quatre l’une et les autres troys au bout du champ de Perrin de La Roche ; et s’en alèrent lesdiz supplians à l’ostel dudit Jonnault, et ce fait, se mirent à chemin pour aler querir ledit cheval d’icelluy Dugué, pour enmener lesdictes gerbes. Et incontinent après, trouvèrent ledit Piquet tout à cheval et avecques luy Jehanin Sevestre et ung autre boyteux, dont ilz ne scèvent le nom, et s’entre-saluèrent ; et demanda ledit Vignault audit Piquet, pour ce qu’il les avoit menassez et quis toute la journée, se il [p. 450]vouloit riens dire ; et sur ce eurent plusieurs parolles à cause desdites gerbes de disme, et entre autres disoit ledit Piquet que ilz emportoient les gerbes de son maistre, et lesdiz supplians disoient le contraire et que c’estoit ledit Piquet qui emportoit les leurs. Et lors ledit Vignault demanda audit Piquet s’il vouloit que les gerbes dont ilz avoient question ensemble fussent sequestrées et mises en main tierce, et que luy et ses compaignons en seroient contens. Lequel Piquet respondit qu’il en seroit content, mais qu’il eust parlé à son maistre ; et atant se departirent et s’en ala ledit Dugué querir son cheval, lequel les autres supplians attendirent à venir près d’illec. Et ce pendent lesdiz Piquet, Sauvestre et boyteux s’en alèrent au champ desdiz Jonnault et Perrin de La Roche, cuidans trouver lesdictes quatre gerbes que lesdiz supplians avoient ja serrées ; mais pour ce qu’il ne les trouva pas, suyvy la trasse et vint au lieu où estoient troys desdites gerbes, et incontinent appella ledit Sauvestre et les luy voult faire charger. A quoy ledit Dugué, suppliant, qui venoit de querir sondit cheval, luy dist qu’elles estoient hors du champ et qu’il ne les en meneroit point, et aussi qu’ilz avoient appoincté qu’elles seroient mises en main tierce. Mais ledit Piquet dist qu’il n’en feroit riens et s’efforçoit tousjours de les faire charger sur le cheval dudit Sauvestre. Et ce voyans, lesdiz supplians dirent qu’il ne les emporteroit point et se prindrent à empescher que ledit Sauvestre ne les chargast, mais les vouldrent charger sur le cheval dudit Dugué, suppliant, lequel, tenant en une main son arbaleste bendée, et en l’autre main ung pié de chièvre, reboutoit ledit Sauvestre afin qu’il ne chargast lesdictes gerbes ; et en ce faisant, ledit Piquet traversa ung champ et descendy de son cheval et vint tout seul par ung chemin à l’encontre desdiz supplians, l’espée nue en sa main, et fist aler de l’autre cousté troys hommes embastonnez de javelines et espées, pour enclorre lesdiz [p. 451] supplians. Et incontinent ledit Piquet se commença à avancer et à cryer à haulte voix : « Tuez, tuez tout », et s’adreça contre ledit Vignault, son espée nue, et luy gecta plusieurs cops tant d’estoc que autres, pour le cuider fraper. Lequel Vignault se gardoit et couvroit tousjours d’une espée enmanchée qu’il tenoit, mais ledit Piquet le pressoit tellement qu’il ne se povoit deffaire de luy. Et ce voyant, ledit Dugué qui tenoit son arbaleste bendée, disoit tousjours audit Piquet qu’il se reculast et que, si ne reculoit, il desbenderoit contre luy. Mais neanmoins ledit Piquet s’efforçoit de plus en plus de vouloir tuer et meurtrir ledit Vignault à grans cops d’espée, tant d’estoc que de taille, mais ledit Vignault retenoit tousjours lesdiz cops de sadicte espée emmanchée, et voyant qu’il ne povoit eschaper, pour ce que ledit Piquet le suyvoit si de près et aussi que les autres troys complices d’icelluy Piquet le tenoient encloz de l’autre cousté, lesquelz n’osoient joindre pour dobte de ladicte arbaleste bendée, icelluy Vignault, en soy defendant et rebatant les cops dudit Piquet, donna à icelluy Piquet ung estoc par la joue dont il fut blecié. Et incontinent se mist icelluy Vignault en fuyte et aussi s’en fouyrent lesdiz Le Mareschal et Fortinier. Et tantost s’adreça ledit Piquet contre ledit Dugué, suppliant, en regnyant Dieu par plusieurs foiz qu’il le tueroit, et gecta sur luy plusieurs cops de sadicte espée pour le cuider tuer ; lequel se contregardoit tousjours au mieulx qu’il povoit, en disant par plusieurs foiz audit Piquet qu’il se reculast et que, s’il ne reculoit, qu’il desbenderoit contre luy ; mais ledit Piquet n’en tenoit compte et d’un revers vint gecter ung cop pour cuider copper la corde de l’arbaleste dudit Dugué et luy couppa le doy, et encores plus s’efforçoit tousjours de le vouloir tuer et meurtrir ; et fut contraint ledit Dugué de desbender son arbaleste, pour ce qu’il ne povoit autrement evader, et en desbendent frapa d’un raillon ledit Piquet par le cousté ou par [p. 452] l’estomac, ne scet bonnement en quel lieu. Et incontinent tous les complices d’icelluy Piquet vindrent sur ledit Dugué et le blecèrent et mutilèrent très enornement, luy firent troys grans playes en la teste, ung estoc entre l’ueil et la joue, luy rompirent ung bras en troys lieux, tellement qu’ilz le cuidoient avoir tué, ce que ilz eussent fait, à son advis, n’eust esté que ilz oyrent ledit boyteux cryer que ledit Piquet estoit mort ; et tantost à ce cry laissèrent ledit Dugué, suppliant, et alèrent veoir ledit Piquet. Lequel Dugué ce pendant se retira au mieulx qu’il peut en l’ostel de Perrin de La Roche. Et depuis a esté dit que ledit Piquet est alé de vie à trespas. Pour occasion duquel cas, lesdiz supplians se sont absentez et ledit Dugué mis en franchise, etc., en nous humblement requerant, etc. Pour quoy, etc., ausdiz supplians avons quicté, etc., les fait et cas dessus dit, avec toute peine, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou, etc. Donné à Paris, ou moys d’aoust l’an de grace mil cccc. soixante quatorze, et de nostre règne lé xiiiime.


1 François Guérinet, écuyer, seigneur du Verger, général des aides en Poitou, secrétaire de Louis XI, alors dauphin, l’an 1450, et sa femme Guillemette Berland, dame en partie des Halles de Poitiers, ont donné lieu à une courte notice dans le t. IX de notre recueil. (Arch. hist., t. XXXII, p. 356.) L’on y voit, entre autres choses, qu’ayant eu à se plaindre d’abus de pouvoir et de menaces de mort de la part de certains officiers du vicomte de Châtellerault, ils obtinrent du Parlement, le 28 juillet 1466, des lettres de sauvegarde. Cette mesure de protection ne mit pas fin aux tracasseries dont ils étaient victimes, et ils durent, neuf ans plus tard, demander à la cour des poursuites contre leurs adversaires, dont les agissements étaient devenus intolérables. Ils accusaient Jean Rivière, substitut du procureur de Châtellerault, et deux autres officiers, d’avoir fait jeter en prison Guillemette Berland, leurs gens et serviteurs, de s’être emparés des blés de leurs granges, de les avoir livrés au pillage et à l’incendie, d’avoir interdit aux curés des paroisses où ils avaient leurs revenus de leur payer ce qui leur était dû, d’avoir expulsé de vive force les locataires de leurs maisons de Châtellerault, d’avoir arraché et jeté dans la boue les panonceaux qui y étaient apposés, comme signe de la sauvegarde royale, et d’avoir commis à leur détriment quamplures alios enormes excessus. Par ordonnance du 18 mai 1475, le Parlement prescrivit une information secrète. (Arch. nat., X2a 40, fol. 238.) On remarquera la corrélation entre un article de ces plaintes et le meurtre de Pierre Piquet, serviteur du seigneur du Verger, relaté dans les présentes lettres de rémission. On ne connaît pas la date exacte du décès de François Guérinet. Sa fille Jeanne avait épousé Jacques Chasteigner, chevalier, seigneur du Breuil près la Roche-Posay, d’Yzeure et du Verger, troisième fils de Geoffroy, sr de Saint-Georges-de-Rex, et de Louise de Preuilly. L’abbé Lalanne dit que Jacques Chasteigner se qualifiait seigneur du Verger en 1475. (Hist. de la ville de Châtellerault, t. I, p. 487.) Si cette date est exacte, son beau-père serait mort très peu de temps après celle de l’ordonnance d’information dont il vient d’être question ; car il est peu probable que Jacques Chasteigner prit cette qualification avant le décès de François Guérinet. Jacques combattit à Montlhéry dans l’armée de Louis XI. Il rendit aveu au roi, comme vicomte de Châtellerault, le 12 mai 1483, de son hôtel et place forte du Verger, et vivait encore en 1503. De Jeanne Guérinet, dame du Verger, il eut cinq fils et sept filles. (Voy. Beauchet-Filleau, Dict. des familles du Poitou, nouv. édit., t. II, p. 282.)

2 Ces mots suppléés restent douteux.

3 Tiré, mis à part ; mais on pourrait lire aussi bien « crié ».