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MCCCCXXXIX

Rémission donnée en faveur de Jean Charreton, de la Chaussée en Loudunais, qui, ayant surpris son voisin Jean Bernard en train de tendre des collets dans sa garenne, en fut irrité au point qu’il le frappa d’un épieu et lui fit à la tête une plaie qui détermina la mort au bout de quatre mois.

  • B AN JJ. 201, n° 11, fol. 6
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 110-112
D'après a.

Louis, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Charreton1, escuier, aagé de xlv. ans ou environ, demourant en la parroisse de la Chaussée ou pays de Lodunoys, contenant que, le samedi des foiriers de la Panthecouste darrenière passée mil cccc. soixante sept, ainsi que ledit suppliant disoit les vespres et oroisons ou sepmetière dudit lieu de la Chausée, ung peu avant jour couchant, vit et apersut deulx hommes, l’un nommé Jehan Bernard et l’autre Jehan Arnault, qui tendoient devant les terriers de la garranne de son père et de Françoise Rabourné, sa cousine, qui a partie en ladicte garenne, c’est assavoir dix poches à congnins qui jà estoient tendues, et vingt cordes à colet qu’ilz vouloient tendre, pour prendre et desrober de nuyt les congnins de ladite garenne. Et quant ledit Charreton suppliant les appersut, il fut bien courroussé, desplaisant et esmeu, et s’adressa à eulx, ayant ung espiot en son poing, en criant aux larrons ; et incontinant commancèrent à fouir, et en fuyant, ledit suppliant, non voulant les blesser ne meurtrir, donna dudit espiot sur les espaules dudit Jehan Bernard, lequel estoit son voisin et se fyoit [p. 111] en lui, et lui osta sa robe, lesdictes poches et cordes, à ce qu’il n’y alast plus, et de fortune arriva la noix2 de l’espiot qui estoit pointue sur le darrière de la teste, lequel perça le chappeau et bonnet dudit Bernard et lui fist ung pertuys en la teste, sans blesser la servelle ; duquel pertuys les barbiers ostèrent des os, et après que les os furent ostez, Jehan Mestreau, barbier à Lodun, puriffia la ploye et guerit ledit Bernard tant et si bien que ledit Bernard aloit et venoit aux besongnes de leur maison, sain et en bon point, jusques environ la saint Michel qu’il fut malade au lit, et lui vint une apostume ou lieu où estoit la ploye, qui pourrit la toye du serveau ; et, comme le serveau s’enfloit et se dilatoit, il touchoit à ung os pointu que ledit barbier n’avoit pas osté, qui persa ladite toye du serveau, et tellement que quatre moys après ou environ, et le neufiesme jour d’octobre ensuivant, ledit Jehan Bernard, par faulte de bon gouvernement ou autrement, est allé de vie à trespas. A l’occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays, ouquel ne ailleurs en nostre royaume il n’oseroit jamais seurement converser et reperer ne demourer, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, humblement requerant que, attendu ce que dit est, que les premiers mouvemens ne sont en la puissance des hommes, que ledit suppliant a apointé aux parties, le long temps qu’il y a que le coup fut donné jusques au trespas dudit Bernard, et que pour autre occasion, veu que le temps a esté dangereulx, la mort s’en est peu ensuir, que en tous autres cas ledit suppliant est bien famé et renommé, sans jamais avoir esté reprins, actaint ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reproche, nous lui vueillons sur ce noz grace et misericorde impartir. Pour [p. 112] quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde prefferer à rigueur de justice, audit Jehan Charreton, suppliant, avons le fait et cas dessus declairé quicté, remis et pardonné, etc., avec toute peine, etc. Et l’avons restitué, etc., en mettant au neant tous adjournemens, appeaulx, bans, proclamacions et deffaulx, s’aucuns s’en estoient pour ce contre luy ensuiz. Satisfaction faicte, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine, des ressors, etc., ou à son lieutenant à Chinon et à tous, etc., que de noz presens grace, quictance, remission et pardon ilz facent, seuffrent et laissent ledit suppliant joyr et user plainement et paisiblement, sans pour ce, etc., ainçois se son corps ou aucuns de ses biens sont ou estoient pour ce prins, saisiz, arrestez ou autrement empeschez, les luy mettent ou facent mettre sans delay à plaine delivrance. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Tours, ou mois de fevrier l’an de grace mil cccc. soixante sept, et de nostre règne le septiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. J. d’Orchère. — Visa. Contentor. J. d’Orchère.


1 Nom que l’on trouve écrit Chareton, Charreton et Charton, et qui fut porté par plusieurs familles différentes. Jean Charton, écuyer, qui assista et signa au procès-verbal de rédaction de la coutume du pays de Loudunais en 1518 (Dict. des familles du Poitou, nouv. édit., t. II, p. 263), était vraisemblablement un descendant direct de celui qui obtint ces lettres de rémission.

2 La noix était le sommet du pommeau, qui se terminait souvent par une pointe.