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MCCCCLV

Rémission donnée en faveur de Jean Lemoine, maréchal et clerc du guet de Loudun, qui, accompagné de plusieurs autres habitants de la ville, le soir de la Toussaint précédente, avait été attaqué à coups de pierres par un nommé Bastien Jeanroy, qu’il avait ensuite poursuivi et frappé mortellement.

  • B AN JJ. 197, n° 47, fol. 31
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 146-149
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Lemoyne, povre homme, mareschal, natif de la ville de Lodun, contenant que, le premier jour de novembre cest an present mil cccc.lxviii, jour et feste de Toussains derrenière passée au soir, environ unze heures de nuyt, ledit Lemoyne, suppliant, Jehan Macars et Perrine Richarde et autres estans en leur compaignie, en ladicte ville de Lodun, en l’ostel d’ung nommé Jehan Reboutet, homme de braz, lequel vendoit pour lors vin [p. 147] en detail ; auquel lieu ledit Lemoyne trouva plusieurs gens, c’est assavoir ung nommé Jehan Viart, prebstre, Andrée la Fourrée et la fille dudit Reboutet et Jehanne de Montreul, et ileques beurent tous ensemble. Et après ce que les dessus diz eurent beu ensemble, lesdiz Lemoyne, suppliant, Marcoys (sic), Perrine Richarde et ladicte Fourrée s’en allèrent en l’ostel de Jehan Girard, prebstre, auquel Girard le dit suppliant dist qu’il leur donnast d’un fagot, ce que fist ledit Girard aux dessusdiz et leur donna à boire. Et en leur chauffant, l’un d’iceulx, duquel on ne scet le non, dist qu’il y avoit des gens qui les guetoyent. Et incontinent, ledit suppliant dist audit Jehan Girart, prebstre, qu’il y alloit veoir pour savoir quelles gens c’estoient, et de fait y ala et au dehors d’icelle maison trouva ung nommé Bastien Jehanroy, ung nommé Ratillon et ung autre qui estoit varlet d’un nommé Crosnier, et autres ; ausquelz ledit suppliant demanda qu’ilz demendoient, lesquelz respondirent qu’ilz beuvoient ilec une pinte de vin, laquelle la femme du dit Reboutet leur avoit baillée. Et lors ledit Lemoine leur respondit qu’il n’estoit point heure d’estre hors de leurs maisons où ilz faisoient leur demeure, et que maistre Jehan Dreux1, juge de ladite ville, l’avoit fait deffendre en plain auditoire et que s’ilz ne s’en aloient, qu’il les feroit mettre en prison et qu’il le feroit assavoir audit juge ; auquel les dessusdiz respondirent qu’ilz n’en feroient riens pour lui, et [p. 148] ledit suppliant leur respondit qu’il estoit clerc du guet et que d’icelui il avoit le gouvernement, par quoy n’estoit pas de necessité qu’ilz y fussent mieulx que lui. Et après ledit suppliant entra en l’ostel dudit Girart et print ung baston ferré à deux boutz et s’en sortit dehors, et leur dist qu’ilz s’en alassent ou qu’il les en feroit aller, et demanda audit Bastien que c’estoit qu’il avoit soubz son menteau. A quoy ledit Bastien lui respondit bien fierement qu’il n’en avoit que faire. Et alors ledit suppliant dist audit Bastien qu’il laissast les pierres qu’il avoit soubz sondit manteau, lequel respondit qu’il n’en feroit riens. Et incontinent commença ledit Bastien à soy eslongner dudit suppliant et se mist à costé dudit Jehan Girart, lequel s’estoit sorti de sa maison, et print ledit Bastien une pierre qu’il avoit soubz sondit menteau, et en frappa ledit Moynne par le visage tel cop qu’il le fist tunber par terre et le blessa très fort. Et alors dist ledit Girard qu’il estoit ung mauvais homme de l’avoir ainsi frappé, cuidant ledit Girart que ledit suppliant fust mort. Et ce fait, sans dire mot, ledit Bastien et autres ses aliez fouirent vers Sainte Croix ; et peu après, ledit suppliant se releva et en sa compaignie ledit Marçays allèrent après ledit Bastien et sesdiz aliez jusques au dessoubz dudit lieu de Sainte Croix, environ la rue du Morier, et au retour du coing d’icelle rue, le dit Bastien estant derrière le coing, lequel avoit une autre pierre en sa main et d’icelle en frappa de rechief ledit Lemoyne par l’estomac, et adonc ledit suppliant se appressa2 dudit Bastien tout blecié, en lui disant : « Hé ! me tueras tu ? » et en ce disant tira sa dague et lui en bailla ung coup au dessoubz de l’oreille, dont yssit effusion de sang, et autres coups dont il n’est recollant ; et apprès ledit Bastien s’en alla bien loing d’ilec [p. 149] en une autre rue, et en soy en allant, tunba en ung grant patoil3 et s’en releva tout soillé, et le landemain, à l’occasion desdiz coups, par faulte de pensement ou autrement, est allé de vie à trespas. Pour raison duquel cas ledit suppliant s’est absenté, etc., ouquel, etc., se noz grace et misericorde, etc. ; humblement requerant que, attendu ce que dit est, que ledit Bastien fut agresseur, que les premiers mouvemens ne sont en la puissance des hommes, que ledit cas est advenu de chaude colle et que en tous autres cas il est bien famé et renommé, sans jamais, etc., nous lui vueillons, etc. Pourquoy nous, etc., audit Jehan Lemoyne, suppliant, avons quicté, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, au bailli de Touraine et des ressors, etc., ou à son lieutenant à son siège de Chinon, et à tous noz autres justiciers, etc., que de noz presens, grace, etc., sans pour ce lui faire, mettre ou donner, etc. Donné à Tours, ou moys de mars l’an de grace mil iiiic lxviii, et de nostre règne le huitiesme.

Ainsi signé : Par le conseil. J. d’Orchère. — Visa. Contenter. J. Dosban.


1 D’une famille connue à Loudun dès le xive siècle, Jean Dreux, licencié ès lois, seigneur de Nueil-sur-Dive, était fils d’un autre Jean, marchand drapier de cette ville, fondateur de la chapelle de Saint-Sébastien en l’église Saint-Pierre-du-Marché. MM. Beauchet-Filleau citent plusieurs actes de lui entre les années 1450 et 1486, d’après lesquels il aurait été notaire à Loudun (1er février 1457), puis conseiller du roi en l’élection. Dans un document de 1486, ajoutent-ils, il est qualifié juge ordinaire de Loudun. On voit ici qu’il en exerçait déjà les fonctions en mars 1469. Jean Dreux, sr de Nueil-sur-Dive, épousa Philippe, fille de Jean Berthelot, sr de l’Herpinière, maître de la chambre aux deniers du roi, et en eut deux fils et une fille. (Dict. des familles du Poitou, nouv. édit., t. III, p. 163.)

2 Ce verbe a, entre autres significations, celle de s’approcher. (F. Godefroy, Dict. de l’anc. langue française.)

3 Patoil, patoueil, patrouil, terme du dialecte poitevin, signifiant bourbier.