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MDXV

Rémission octroyée à Jeanne Hardouyn, fille de vingt-quatre ans, demeurant à la Béliardière en la châtellenie de la Merlatière, appelante d’une sentence des officiers de justice de la Merlatière qui l’avait condamnée à être brûlée pour infanticide.

  • B AN JJ. 197, n° 257, fol. 140
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 343-346
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Jehanne Hardouyne, fille de François Hardouyn et de Simonne Pescherelle, demourant ou villaige de la Beliardère en la chastellenie de la Merlatière, aagée ladicte Jehanne de [p. 344] vingt quatre ans ou environ, contenant que ladicte Jehanne Hardouyne, qui est aagée desdiz xxiiii. ans, a tousjours demouré avecques sesdiz père et mère et par ce qu’ilz ne l’ont voulu marier, elle se habandonna, l’année derrenierement passée, à ung certain compaignon qui eut sa compaignie par plusieurs foiz et tellement quil l’angroissa d’un enffant ; laquelle estant ainsi grosse dudit enffant, en fut advertie par plusieurs et mesmement par sesdiz père et mère, en lui disant qu’elle estoit grosse et qu’elle gardast le fruit qu’elle avoit, mais tousjours elle nyoit le fait pour honte et vergoingne qu’elle avoit, disant qu’elle estoit malade du mal saint Eutrope1. Et une nuyt qui fut sept ou huit jours environ la Toussains derrenière passée, elle estant couschée en ung appentilz, en la maison de sondit père, avecques Justine Hardoyne, aagée de quinze ans, Jehan Hardouyn, aagé de neuf ans, et Jehanne Hardoyne, aagée de cinq ans, ses frère et seurs, enfanta et rendy le fruit qu’elle avoit, qui estoit ung filz. Après lequel enfantement, elle craingnant la honte et vergoingne du monde et qu’elle feust blasmée et corrigée par sesdiz père et mère, print ledit enffant, le baptiza et après le frappa la teste contre terre, et l’occist et tua, sans ce que sesdiz frère et seurs, qui estoient couschez avec elle et dormoient, en apperceussent riens. Et après couscha et mist ledit enffant en la paille du lit où elle estoit couschée, et y demoura jusques au lendemain matin qu’elle le print et emporta et puis l’enterra soubz ung esbaupin, près d’un foussé et d’un petit chesne ou dommaine dudit lieu de la Beliardière. Et ce fait, cellui jour et autres subsequens, besoingna ou fait du mesnaige et des affaires de la maison de sondit père, ainsi qu’elle avoit acoustumé, afin que on ne s’en apperceust qu’elle eust eu ledit enffant. A l’occasion [p. 345] duquel cas, il y a ung mois ou environ, ladicte Jehanne a esté prinse et detenue prisonnière ès prisons dudit seigneur de la Merlatière2, èsquelles elle est encores detenue à present en grant pouvreté et misaire. Esquelles prisons, elle a esté oye par plusieurs foiz par les officiers dudit lieu de la Merlatière et autres commis à ce, ausquelx de prime face elle a nyé ledit cas, et après s’est efforcée le fulsir3 et palier, en disant que bien estoit vray qu’elle avoit esté grosse d’enffant, mais que ainsi qu’elle estoit alée querir du myl en ung four audit lieu de la Beliardière, par certains compaignons de guerre qui estoient audit lieu avoit esté mis le feu devant la goulle dudit four où elle avoit souffert grant tourment et destresse, tellement que depuis elle n’avoit senty sondit fruit, et autrement a varié en plusieurs cas ou fait de sa confession, mais finablement elle a esté condempnée par lesdiz officiers à estre brulée, dont elle ou ses procureur, parens et amis pour elle ont appellé. Pour reverance duquel appel, qui n’est encores relevé et est encores dedens le temps deu de ce faire, se bon lui semble, elle est surcise et en voye de pouvrement et miserablement finer ses jours par rigueur de justice, à la grant honte et vitupère et deshonneur de sesdiz père et mère et autres ses parens et amis, supplians, qui tousjours se sont bien et doulcement gouvernez sans reprouche, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme ilz dient, humblement requerans que, attendu ce que dit est et que, se lesdiz père et mère de ladicte Jehanne l’eussent mariée [p. 346] à heure, ce qu’ilz ne povoient faire, obstant leur pouvreté et autrement, elle ne se feust pas forfaicte et ne lui feust ledit cas advenu, avant lequel estat s’estoit tousjours bien et doulcement gouvernée, sans reprehencion, il nous plaise sur ce lui impartir nosdictes grace et misericorde. Pour quoy nous, ce consideré, voulans misericorde prefferer à rigueur de justice, à ladicte Jehanne Hardouyne, en faveur de sesdiz parens et amis, supplians, avons quicté, remis et pardonné, etc., le fait et cas dessus declairé, avec toute peine, amende et offence corporelle, criminelle et civille, etc., et avons lesdictes sentence, condempnacion et appellacion mises et mettons du tout au neant sans amende, et sans ce que ladicte Jehanne soit tenue de plus poursuir ne relever ladicte appellacion en aucune manière, et l’avons restituée et restituons à ses bonne fame et renommée, au païs et à ses biens non confisquez, etc. Si donnons en mandement, etc., aux seneschal de Poictou, bailli de Touraine et des ressors et exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers et officiers, etc. Donné à Myssé près Thouars, ou mois de janvier l’an de grace mil cccc. soixante douze, et de nostre règne le douzeiesme.

Ainsi signé : Par le roy, les sires de Roscur4, de Linières5 et autres presens. Tilhart. — Visa.


1 C’est l’hydropisie, qu’on appelait le mal saint Eutrope. (F. Godefroy, Dict. de l’anc. langue française.)

2 Louis de Rezay, chevalier, fils de Mathurin, était à cette époque seigneur de la Merlatière. (Cf. ci-dessus p. 101, note 2.) Il possédait aussi les châtellenies de la Jarrie et de la Rallière, tenues, ainsi que la Merlatière, à hommage lige de la vicomté de Thouars. Par acte du 2 janvier 1504, ces trois châtellenies furent réunies et tenues désormais à un seul hommage, en faveur de Guy ou Guyon de Rezay. (Le duc de la Trémoïlle et H. Clouzot, Les fiefs de la vicomté de Thouars, in-4°, p. 21.)

3 Chercher une excuse. Sur le sens du mot « fulsir », cf. F. Godefroy, Dict. de l’anc. langue française.

4 Pour Renescure, seigneurie possédée par Philippe de Commynes, cf. ci-dessus, p. 339, note.

5 François de Beaujeu, sr de Linières, fils aîné d’Édouard de Beaujeu, seigneur d’Amplepuis, et de Jacqueline de Linières, fille de Jean V, grand queux de France, héritière de la baronnie de Linières en Berry et de tous les grands biens de sa maison qu’elle transmit à ses enfants. François sire de Linières avait été, en 1464 et 1465, conseiller et chambellan de Charles duc de Berry, frère de Louis XI, et fut chargé par ce prince de remettre le Berry au roi en 1465. De 1469 à 1473, son nom figure au bas de plusieurs ordonnances de Louis XI, qu’il souscrivit comme membre du conseil. (Ordonnances des Rois de France, in-fol., t. XV, p. 357, 358, 397 ; t. XVII, passim.) On conserve trois testaments de François sr de Linières, des 16 octobre 1469, 19 décembre 1476 et 13 août 1485. Il décéda entre cette dernière date et le 23 août 1486, qui est celle d’une transaction entre sa veuve et Jacques, son frère et héritier. (Arch. nat., P. 13661, cotes 1470, 1475 ; P. 13671, cotes 1533, 1534.)