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MCCCCLXXVIII

Rémission donnée en faveur de Jean Favereau, laboureur, du village de la Garinière, paroisse de Commequiers, détenu prisonnier à Palluau, parce que, avec Michau Geoffroy, son voisin, il avait frappé mortellement Lucas Bétuis, réputé sorcier, qui s’était accusé lui-même d’avoir fait périr le père et plusieurs autres parents desdits Favereau et Geoffroy.

  • B AN JJ. 196, n° 92, fol. 56
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 218-222
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amys charnelz de Jehan Faverreau, povre laboureur, demourant ou village de la Garinère en la parroisse de Commequiers, en nostre pays de Poictou, à present detenu prisonnier ès prisons de Paluyau, chargé de femme et de petis enfans, contenant que ledit Faverreau, qui est aagé de quarente ans ou environ, fut né et a tousjours demouré et ses predecesseurs oudit village de la Garinère, ouquel ilz ont vesqu soubz l’estat de labourage de beufz, en exploictant ung pou de heritages chargez de grans rentes et devoirs qu’ilz avoient oudit village de la Garinère et illec environ, près d’un lieu nommé la Clavelère ; et estoit le père dudit Faverreau, nommé Estienne Faverreau, ung bon notable laboureur, vivant bien et deuement entre ses voisins, sans aucune reprehencion. Lequel père est alé de vie à trespas, huit ans [p. 219] a ou environ, delaissé ledit Jehan Faverreau, son filz, lequel a continué en labourage l’estat de son dit père et s’est porté en toute doulceur et pacificacion envers ses voisins et autres, en tant qu’il est bien et notablement renommé de toutes personnes, et a payé et son dit feu père par chacun an ung bon grant taux et porcion de noz tailles et aides, et n’eust jamaiz ledit Faverreau question ne debat à aucuns de ses voisins, fors seulement à feu Lucas Betuys, lequel, dix ans a ou environ, pour porter rigueur et nuysance audit Faverreau et à ung nommé Micheau Geoffroy, son voisin, demourant audit village de la Garinère, fist faire ledit Betuys certaine nouvelle habitacion en ung tenant ou prinse qu’il fist nommer et appeller la Clavelière ; auquel lieu ledit Betuys a demouré depuis ledit temps et s’est efforcé de faire plusieurs surprinses des dommaines et possessions dudit Faverreau, et dont il avoit acoustumé joir, tant en pasturages que autrement, et pareillement dudit Micheau Geoffroy. Et pour conduire ledit euvre et sourprinse, ledit Betuys a prins, puis ledit temps, plusieurs sergenteries des seigneurs du pays, pour vexer et traveiller par amendes et mauvaiz rappors ledit Faverreau, ainsi qu’il lui a fait et à plusieurs autres dudit pays. Et avec ce ledit Betuys estoit en son vivant ung homme yvroin, blafameur et injurieur de personnes, et estoit tenu et reputé estre invocateur et sorcier et de faire mourir par venin et invocacion plusieurs personnes, et en sont advenus plusieurs cas et mesmement au père dudit Faverreau et à ung enfant que enfanta sa femme mort et ne peust avoir baptesme. Or est avenu que, le dimenche xve jour du moys d’octobre derrenier passé, ledit Faverreau, environ souleil couché, mena en ung sien pré, appellé les Nohes, quatre jeunes beufz, ayant ung baston en ses mains, lequel pré est près du chemin par où l’en va de Commiquiers à Saint Christofle du Ligneron ; et illec en ung autre pré joingnant d’icellui, ung buisson [p. 220] entre deux, estoit ledit Micheau Geoffroy, voisin dudit Faverreau, lequel gardoit ses beufz. Et pour ce que ledit Geoffroy estoit plus prèz dudit chemin devers Commiquiers que ledit Faverreau, il s’aproucha d’icellui Faverreau et lui dist qu’il avoit oy ung homme qui parloit à soy mesmes, venant dudit lieu de Commiquiers par ledit chemin. Et s’aprouchèrent lesdiz Geoffroy et Favereau dudit chemin pour savoir qui c’estoit, et aloit ledit Geoffroy le premier, et sans que ledit Faverreau pensast en riens oudit Lucas Betuiz, lequel il n’a congneu jusques il fut près de lui, par ce qu’il estoit assez tard. Et quant il s’aproucha, suivant ledit Geoffroy, ledit Faverreau fut esbay qu’il oyt ung coup que frappa d’un baston icellui Geoffroy sur ledit homme qui passoit, et tant qu’il tumba à terre ; lequel Geoffroy estoit sur ledit chemin et aloit avant ledit Faverreau vers ledit homme, et lui donna ledit Geoffroy plusieurs grans coups par la teste. Et lors ledit homme demanda confession, et congneut lors ledit Faverreau à la parolle parfaictement que c’estoit ledit Lucas Betuys ; auquel homme ledit Geoffroy dist qu’il n’auroit autre confession fors celle qu’il vouldroit illec faire ; et fut ledit Faverreau très fort transsi et esbay, et eust le sens troublé de veoir ledit cas. Et illecques ledit Betuys tumbé à terre confessa avoir fait mourir Jehan et Jehan Geoffroy, ayeul et père dudit Micheau, plusieurs enfans sans baptesme, et mesmement ung enfant audit Faverreau et aussi ung nommé Maturin Loquin, marié à la seur dudit Faverreau et demourant avec lui, et pareillement le père d’icellui Faverreau. Lequel Faverreau fut troublé plus que devant d’oyr parler de son dit père, et par ce lui impourveu de sens et tout transi et esmeu, frappa ung coup ledit Betuys du baston qu’il avoit, ne scet si se fut sur la teste ou ailleurs, parce qu’il faisoit jà bien fort noir. Et pour ce que à celle heure passa ung chevaucheur illec près, se retirèrent et fouyrent lesdiz Faverreau et Geoffroy dudit [p. 221] chemin et s’en alèrent à leurs maisons, et laissèrent ledit Betuys qui estoit encores en vye et rendoit alayne, comme s’il soufflast. Et le lendemain jour de lundi, ledit Micheau Geoffroy vint, ung pou avant jour, appeller ledit Faverreau, lequel estoit fort triste et desplaisant, maiz il n’oza contredire à aller audit Geoffroy, et à celle heure alèrent au lieu où ilz avoient delaissé ledit Betuys, lequel ilz trouvèrent mort ; et avecques une perche, rortes1 et autres choses le portèrent en ung taz de fagoz de boys qui estoient illec près, esquelz fagotz ilz le mirent et le couvrirent d’aucuns des diz fagotz. Et dès lors ledit Michau Geoffroy dist audit Faverreau qu’il s’en yroit hors du pays, combien que, ledit jour de lundi, les diz Faverreau et Geoffroy firent ung pou de labourage de leurs blez illec près, et virent et apperceurent comme les procureurs et officiers des seigneuries de Paluyau et de Commiquiers2 queroient le corps dudit Lucas Betuiz qu’ilz ne peurent trouver, ledit lundi ne le mardi ensuivant. Et par ce lesdiz Geoffroy et Faverreau, le mercredi au matin, prindrent ledit corps et le portèrent comme ilz peurent prez le quarefour du village de la Villehervé en ung pou de brendis et espines qui y estoient, et dès cellui jour ledit [p. 222] Michau Geoffroy s’en ala hors du pays, et dist et confessa à sa mère et autres comme il avoit premier frappé et mutilé ledit Lucas Betuys, et que ledit Jehan Faverreau lui avoit semblablement donné ung coup de baston, après qu’il avoit confessé avoir fait mourir son père, et aussi son enfant et ledit Loquin, mary de sa seur. Et le jeudi ensuivant, le corps dudit Lucas Betuys fut trouvé par les diz officiers de Paluyau et de Commiquiers et fut levé et enterré ; et ledit jour ledit procureur de Paluiau fist prendre au corps ledit Faverreau et le mener ès prisons dudit Paluyau, dont il est homme et subget ; et a ledit procureur fait inventorier tous les biens meubles dudit Faverreau et de sadicte femme et enfans, lesquelz n’ont de quoy vivre et leur convient mendier leur vie. Et depuis ledit Faverreau a esté et est detenu prisonnier audit lieu de Paluya, et doubtent lesdiz supplians que, à cause dudit cas et homicide fait de la personne dudit Lucas Betuys, combien que ledit Faverreau n’eust jamaiz intencion de le tuer ne occire, et ne le frappa que ung coup, après qu’il eust confessé avoir fait morir son père, comme ledit Micheau Geoffroy a confessé, les seneschal et officiers dudit lieu de Paluyau veullent proceder contre lui à punicion corporelle et confisquer ses biens, se noz grace et misericorde, etc. Au seneschal de Poictou et à tous, etc. Donné à Tours, ou moys de novembre l’an de grace mil cccc. soixante neuf, et de nostre règne le neufiesme.

Ainsi signé : Par le roy, le sire de la Fourest3 et autres presens. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Le mot « rorte » ou « reorte » se disait et se dit encore en Poitou, d’un lien formé d’une branche souple et pliante, tordue sur elle-même. (Fr. Godefroy, Dict. de l’anc. langue française).

2 La seigneurie de Palluau, comprise dans la confiscation des biens de Charles de Blois, dit de Bretagne, sr d’Avaugour, et de sa femme, Isabelle de Vivonne, donnée alors à Richard, comte d’Étampes, troisième fils de Jean IV, duc de Bretagne, fut rendue par l’art. 14 du traité de Nantes (27 juin 1448) à Jean de Blois, comte de Penthièvre, frère de Charles, sr d’Avaugour. (Dom Morice, Hist. de Bretagne, Preuves, t. II, col. 1422.) Nicole, fille unique de ce dernier et d’Isabelle de Vivonne, et son mari Jean II de Brosse, sr de Sainte-Sévère et de Boussac (voir notre vol. précédent, p. 38, note), ayant hérité, en 1454, de leur oncle, le comte de Penthièvre, étaient possesseurs, à la date des présentes, de la dite seigneurie. — Quant à celle de Commequiers, elle avait été apportée en même temps que celle de la Forêt-sur-Sèvre, par Jeanne Jousseaume, fille et héritière de Jean Jousseaume, seigneur des dites terres, à Louis de Beaumont, sr de Vallans, qu’elle avait épousé l’an 1440. (Cf. nos t. VIII et IX, Arch. hist. du Poitou, t. XXIX, p. 135, note ; t. XXXII, p. 378.)

3 Louis de Beaumont, sr de Vallans, la Forêt-sur-Sèvre, Commequiers, etc. (Cf. ci-dessus, p. 54, note).