[p. 130]

MCCCCXLIX

Rémission octroyée à Laurent Maistre, laboureur, demeurant au village de Vieilleville en Poitou, coupable de fratricide ; dans une querelle avec Gillet, son frère, celui-ci l’ayant grossièrement injurié, il l’avait frappé mortellement.

  • B AN JJ. 197, n° 21, fol. 12
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 130-133
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons, etc. nous avoir receue l’umble supplicacion de Laurens Maistre, laboureur, demourant ou village de Vieilleville ou pays de Poictou, [natif] de Cunay1 près Ruffec, chargé de femme et d’enffans, contenant que, le jeudi d’après la feste de Toussains darrenière passée, après ce que ledit suppliant, Jehan et feu Gillet Maistres, ses frères, eurent disné et prins [p. 131] leur reffection corporelle ensemble en leur hostel ou quel ilz demeurent, deliberèrent entre eulx d’aler besongner en leurs affaires, et en icelle entencion se partirent de leur hostel, sans avoir noise ne rencune l’un avec l’autre. Et quant ilz furent yssuz dudit hostel, ledit Laurens suppliant, qui yssit le premier, commença à dire audit feu Gillet, son frère, qu’il sortist dudit hostel après lui et qu’il estoit bien mary de ce qu’on avoit gecté du fumier devant la porte où estoient couchez leurs beufz. Et lors ledit Gilet respondit bien arrogamment audit suppliant, son frère, que de par tous les diables il alast hoster ledit fumier. Et ledit suppliant lui respondit gracieusement qu’il ne failloit pas qu’il sonnast mot. Et lors ledit feu Gilet appella ledit suppliant « ort villain galeux », en lui disant plusieurs autres injures, et qu’il avoit eu l’argent de feu Laurens Chaillot. Et adonc ledit suppliant qui fut fort desplaisant desdictes parolles et injures, des quelles il estoit ignocent, fut fort esmeu de ce et print une pierre en son poing et icelle apporta jusques à l’encontre du visage dudit feu Gilet. Lequel Gillet lui dist qu’il ne le frapast point, et à ces parolles ledit Laurens supliant laissa ladite pierre ; ledit Gillet commança de rechief à dire audit suppliant : « Ort villain pourry, tu ne vaulx riens » ; et à ces parolles ledit suppliant print ung pau en son poing et en disant audit Gillet : « Tu me deshonores », le frappa dudit pau deux ou troys coups sur les espaules tellement qu’il cheut à terre ; et lors ledit Laurens suppliant laissa ledit pau et incontinent qu’il l’eut laissié, ledit Gillet qui estoit cheut à terre, comme dit est, commança encores derechief à appeller ledit suppliant « villain pourry, trestre, larron » et plusieurs autres injures. Lequel Laurens, esmeu et desplaisant de ce que ledit Gillet ne vouloit cesser de l’injurier, retourna audit Gillet et le print par la gorge, en lui disant ces parolles ou semblables ; « Paillart, ne cesseras tu meshuy de me deshonnourer ? » [Lors Alamente, femme [p. 132] dudit Gillet2], qui vit ledit suppliant qui tenoit encores ledit Gillet, son mary par la gorge, arriva illec et dist audit Laurens suppliant, en le prenant par sa robe : « Laisse le ester », et à ceste heure ledit suppliant le cuida [fraper] du pié par l’espaule, et l’ategnit du bout d’un sollier de boys qu’il avoit chaussié par mi la temple, tellement qu’il esvanouyt ; et à ceste heure ledit suppliant s’escria et en fut bien courroucé. Auquel cry ledit Jehan Maistre, qui lors remoit une charrete, veant ledit Gillet estre ainsi bastu et esvanouy dudit cop, arriva3 hastivement vers eulx et print ledit Laurens suppliant par la gorge, en lui disant : « Paillart, tu nous as deshonourez. » Et incontinant ledit suppliant, qui fut fort desplaisant de ce qu’il avoit ainsi blecé ledit Gillet, son frère, commança à pleurer, et dist audit Jehan Maistre et Alamente, femme dudit Gillet, qu’il convint mener chauffer ledit Gillet au long du feu et que pour Dieu ilz le levassent ; ce que firent lesdiz Jehan et ladite femme dudit Gillet, tellement que le landemain après, ledit Gillet se leva et cuidoit on qu’il fut presque garry tout le long du jour qui fut le venredi et jusques au samedi devers le matin, que ledit Gillet perdit la parrolle et recheut malade ; de laquelle maladie et coups à lui ainsi donnez, ledit Gillet est allé de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, est absent du pays et n’y oseroit jamays retourner, converser ne demourer, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, en nous humblement requerant que, attendu qu’il a tousjours esté de bonne vie et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actaint, etc., il nous plaise, etc. Pourquoy, etc., voulons, etc., audit suppliant, en l’onneur de la conception [p. 133] Nostre Dame4, et aussi en faveur et contemplacion de sadicte femme et enffans, avons oudit cas quicté, remis et pardonné et par la teneur de ces presentes, quictons, remettons et pardonnons, etc., avec toute peine, amende et offense corporelle, criminelle et civille, etc., satisfacion faicte à partie civillement tant seulement, se faicte n’est. Et sur ce imposons silence, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou ou à son lieutenant et à tous noz autres justiciers, etc., que de noz presens grace, quictance, remission et pardon ilz facent, seuffrent et laissent ledit Laurens Maistre, suppliant, joir et user, etc. Donné à Baugency, ou moys de decembre [l’an de grace] mil cccc. soixante huit, et de nostre règne le huitiesme.

Ainsi signé : Par le roy, le gouverneur de Roussillon5, le sire de Chastillon6 et autres presens. J. de Moulins. — Visa. Contentor. J. d’Orchère.


1 Paléographiquement on ne peut lire que Cunay ou Cimay. Doit-on supposer que c’est une mauvaise lecture pour Civray ?

2 Le texte comporte ici plus de la moitié d’une ligne de blanc. Les mots entre crochets sont suppléés pour compléter le sens de la phrase.

3 Sur le registre on lit « envoya », au lieu de « arriva ».

4 Dont la fête se célèbre le 8 décembre.

5 Tanneguy du Châtel, vicomte de la Bellière (ci-dessus p. 124 note). Même lorsqu’il eut été remplacé dans le gouvernement du Roussillon par Antoine de Châteauneuf, sr du Lau, rentré en grâce auprès du roi (22 déc. 1471), le vicomte de la Bellière continua dans les actes publics à porter cette qualification, comme le fait remarquer M. J. Vaësen. (Lettres de Louis XI, t. IV, p. 74.)

6 Fils puîné de Jean de Montfort, dit Guy XIII, comte de Laval et d’Anne dame de Laval, Louis de Laval, seigneur de Châtillon, fut successivement gouverneur de Dauphiné, de Gênes, de Paris, de Champagne et de Brie. Louis XI, par lettres du 18 mai 1466, l’avait institué grand maître enquêteur et général réformateur des Eaux et forêts de France. Il mourut sans postérité, le 21 août 1489. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. VII, p. 73, et t. VIII, p. 898.)