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MCCCCXCIV

Rémission octroyée à Jean et Michel Martinon, frères, laboureurs à Payroux près Charroux, poursuivis pour le meurtre de la femme d’un nommé Pierre Allart, accompli dans une rixe ayant pour origine un procès existant entre ledit Allart et Jean Martinon, qui prétendaient l’un et l’autre avoir affermé un domaine appartenant à Jean Mangin, de Charroux.

  • B AN JJ. 201, n° 158, fol. 121
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 275-278
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Martinon, l’ainsné, laboureur, demourant en la parroisse de Peroux près de Charroux, chargé de femme et huit petitz enffans, et de Michel Martinon, son frère, aussi laboureur, demourans en ladicte parroisse, chargé de femme et d’un petit enfant, contenant que, longtemps avant la feste de saint Martin d’esté mil cccc.lxix, ledit Jehan Martinon, suppliant, avoit prins à rente d’un nommé Jehan Mengin, dudit lieu de Charroux, ung certain heritage assis en ladicte parroisse de Peroux ; certain temps après laquelle prinse, ung nommé Pierre Allart, laboureur, demourant en ladicte parroisse, soy disant avoir prins à rente ledit heritage, se y intruit, bouta et institua. Et jasoit ce que ledit Jehan, suppliant, dist par plusieurs foiz qui l’avoit prins par avant ledit Allart et par ce icellui Allard ne avoir cause de l’occupper, y aler ne venir, toutesvoyes icellui Allard ne s’en voult abstenir, et le tint jusques à ce que ledit Jehan Martinon, suppliant, moyennant grant diligence, fist tant qu’il recouvra les lettres dudit contract qu’il monstra à gens de conseil, lesquelz lui conseillèrent qu’il se mist dedans ledit heritage [p. 276] et fist tant qu’il en feust possesseur, ce qu’il fist. Et au moyen de la possession qu’il en voult prendre, ledit Allart lui fist plusieurs contradicions, et firent adjourner l’un l’autre en asseurement, et eurent asseurement l’un de l’autre de la justice de nostre très cher et très amé cousin le duc de Nemours, conte de la Marche1, et de la justice du seigneur de Rohemyo2. Et mesmes ledit Jehan, suppliant, eut asseurement dudit Allart, de sa femme et de leur filz, et semblablement leur donna asseurement. Et environ le samedi de devant la feste saint Martin d’esté oudit an mil iiiic soixante neuf, fut rapporté audit Jehan Martinon, suppliant, par ung sien voisin que lesdiz femme et filz dudit Allart tenoient sa jument ou vergier dudit heritage. Lequel Jehan, pour savoir la cause de la retenue, [p. 277] y ala et mist hors d’icellui heritage ladite jument et la chassa dehors devant lui ; et ainsi qu’il la chassoit, vint ledit Allart, garny d’un gros baston, dont il frappa ung coup ledit Jehan sur la teste ou entre col et chappeau, et dudit coup tumba à terre. Et ainsi qu’il se voult relever, ledit Allart frappa derechef ledit Jehan Martinon sur la teste, jusques à grant effusion de sang, ung autre coup dudit baston tellement que ledit baston rompit. Et à ce bruit ou conflict vint ledit Michel Martinon, frère dudit Jehan suppliant, qui leva ledit Allart de dessus ledit Jehan Martinon, son frère, en disant à icellui Allart qu’il ne tueroit pas ledit Jehan, son frère, et les departit. Et après ce, non contens de l’oultrage fait audit Jehan, suppliant, par le dit Allart, vindrent lesdiz femme et filz dudit Allart, icellui filz garny d’un espieu, avec bastons et pierres, lesquelz derechef aterrèrent ledit Jehan Martinon et lui ostèrent ung baston qu’il avoit et lui baillèrent plusieurs coups, mesmement ladite femme dudit Allart. Et peu après ledit Jehan, suppliant, se releva et en soy relevant esmeu, courroucié et desplaisant des oultrages qui lui avoient esté faiz par les dessusdiz, d’un cousteau qu’il avoit frappa de chaude cole ladite femme dudit Allart ung coup seulement par le ventre ou autre partie de son corps, à cause duquel coup, par son mauvais gouvernement ou autrement, elle est allée de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas, lesdiz supplians, doubtans rigueur de justice, se sont absentez du païs, et n’y oseroient jamais seurement demourer, converser ne repairer, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, humblement requerans icelles. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, à iceulx Jehan et Michel Martinons, frères, supplians, avons quicté oudit cas, remis et pardonné, et par ces presentes quictons, etc., avec toute peine, etc. Et tous adjournemens, deffaulx, appeaulx de ban et autres procedeures, [p. 278] s’aucuns s’en sont à ceste cause contr’eulx ensuiz, mis au neant. Et de nostre plus ample grace les avons restituez et restituons à leur bonne fame, renommée, au païs et à leurs biens non confisquez. Satisfaction faicte à partie civillement tant seulement, se faicte n’est, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc., que de noz presente grace, quictance, remission et pardon ilz facent, seuffrent et laissent lesdiz supplians et chacun d’eulx joir et user, etc. Et afin que, etc. Sauf, etc. Donné à Orleans, ou moys de janvier l’an de grace mil cccc. soixante dix, et de nostre règne le dixiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. Pouffé, scriptor. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, comte de Pardiac, etc., était fils de Bernard d’Armagnac, comte de Pardiac, et d’Eléonore de Bourbon, fille de Jacques, comte de la Marche. Le comté de la Marche fut l’objet d’un procès entre cette dame et son fils Jacques, d’une part, et Jean de Bourbon, comte de Vendôme, d’autre. L’arrêt du 21 janvier 1465, qui y mit fin, reconnut le bon droit de la fille et du petit-fils de Jacques de Bourbon, et Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, hérita de sa mère le comté de la Marche. Lors de la guerre du Bien public, il se ligua avec les princes, et Louis XI écrivit à ce sujet aux maire et échevins de Poitiers, leur annonçant sa défection et leur interdisant de le recevoir dans leur ville et de lui donner aide ou confort. (Lettre du 29 juillet 1465, Arch. hist. du Poitou, t. I, p. 156.) On sait du reste comment le duc de Nemours passa toute sa vie dans les conspirations et les machinations contre le roi. Louis XI lui pardonna souvent, lui accorda à plusieurs reprises des lettres d’abolition. Mais enfin, convaincu d’intelligence avec le roi d’Angleterre, le duc de Bourgogne et le connétable de Saint-Pol, et arrêté dans son château de Carlat, il fut conduit à la Bastille, jugé et condamné par arrêt du Parlement, le 4 août 1477, à avoir la tête tranchée, ce qui fut exécuté le même jour, aux Halles de Paris. (Voy. B. de Mandrot, Jacques d’Armagnac, duc de Nemours. Paris, 1890, in-8°, extrait de la Revue historique.)

2 Sic. Le copiste a certainement oublié un c, et il faudrait lire Rochemyo, c’est-à-dire Rochemeaux, château et anciennement paroisse, près Charroux, dont était seigneur Guillaume Odart, sr de Verrières, lequel, le 17 janvier 1421, était en procès précisément avec l’abbaye de Charroux au sujet d’un droit de pêche. (Arch. nat., X1a 9190, fol. 138.) Il vivait encore en 1445. Sa plus jeune fille, Catherine, eut en partage la seigneurie de Rochemeaux qu’elle porta à son mari, François Bouchard, vicomte d’Aubeterre, sénéchal d’Angoumois en 1460, chambellan de Louis XI. C’est celui-ci qui est visé dans nos lettres de janvier 1471, car il mourut fort âgé, centenaire même, si l’on en croit Bouchet.