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MXXV

Ordonnance pour la répression des pillages, oppressions et excès des gens de guerre dans le Poitou et les provinces voisines.

  • B X2a 20, fol. 31
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 1-7
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. A noz amés et feaulx conseilliers les gens tenans et qui tiendront ou temps avenir nostre Parlement, aux seneschaulx de Poictou et de Xantonge, au gouverneur de la Rochelle, au seneschal de Lymosin, au bailly de Touraine et de Bourges, et à touz noz autres baillifs, seneschaulx, prevostz, justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenans, salut et dilection. Oyes par nous les clameurs et griefves complaintes des gens des trois estaz, gens d’eglise, nobles, bourgois, marchans et autres gens de l’estat commun desdictes seneschaucies, bailliages et païs à nous obeissans1, [p. 2] disans que, à l’occasion de ce que pluseurs cappitaines et gardes de forteresses et autres ont puis aucun temps tenu et encores tiennent en pluseurs villes et places, et en diverses parties de nostre royaume, hors et loing de la frontiere de noz adversaires et ennemis, compaignies de gens qui se dient gens d’armes et de trait, lesquelx se tiennent sur les chemins, espient, destroussent et desrobent marchans et toutes autres gens passans par les chemins publiques, prennent et emprisonnent les laboureurs, leurs chevaulx et charues, et empeschent les marchandises et [p. 3] labourages, batent et tuent les gens, violent, prennent et ravissent femmes et filles et font pluseurs autres grans maulx, excès et inhumanitez, par quoy homme ne ose passer, quelque part qu’il voise, sans doubte et peril de son corps et de perdre ses biens, et en sont les gens d’eglise et leurs benefices desollez et destruiz, leurs maisons demolies et abatues, et à grant peine peust [on] trouver gens qui vueillent ne puissent faire leurs labouraiges ; les nobles aussi semblablement en sont oprimez et dommaigés en leurs corps et en leurs biens, leurs subgiez prins, rançonnez et destruiz, et n’osent laisser leurs maisons, femmes et enfans, pour eulx emploier en nostre service contre le…2, noz adversaires et ennemis, pour doubte que en leur absence leurs maisons feussent pillées et robées, ou peut estre leurs femmes et filles violées et ravies, comme souvent est advenu ; et en especial les marchans qui ont acoustumé frequenter foires et marchez n’osent aler par païs, pour faire et conduire le fait de leurs marchandises, ne les laboureurs n’osent et ne pevent tenir bestes à faire leurs labourages, ne eulx tenir au plat païs, pour doubte du peril de leurs corps et de perdre le demourant de leurs chevances. A l’occasion desquelles choses pluseurs et en grant nombre de noz subgietz, et singulierement marchans et laboureurs, ont delaissé et delaissent de jour en jour leurs marchandises et labouraiges et propres habitacions, et vont pluseurs d’iceulx marchans et laboureurs demourer hors de nostre obeissance, lesquelles choses sont importables à nos diz subgietz et en grant prejudice et dommaige de nous et de la chose publique de nostre royaume. Requerans les diz trois Estaz que sur ce vueillons pourveoir et remedier ainsi que au cas appartient, pour la confermacion de nostre seigneurie et de la pais et transquillité [p. 4] d’eulx et de noz autres bons et loyaulx subgiez.

Savoir vous faisons que nous, ayans en très grant desplaisance les dictes pilleries, robberies et autres maulx dessusdiz, voulans à nostre povoir preserver et garder noz subgiez des diz griefs, oppressions et autres molestacions, faire cesser toutes pilleries et robberies, et justice regner en nos diz royaume et seigneurie, et obvier aux inconveniens que nous savons qui pourroient plus advenir en nostre dit royaume, par faulte de bonne justice, et mettre la chose en telle disposicion que les gens d’eglise puissent faire le divin service et office, les nobles eulx emploier en nostre service contre noz ennemis et adversaires, les marchans faire et conduire leurs marchandisez et les laboureurs leurs labouraiges, et que touz noz subgiez puissent aler par païs seurement et vivre en paix et transquilleté soubz nostre garde et protection, de nostre certaine science, plaine puissance et auctorité royal, par l’advis et deliberacion de pluseurs des seigneurs de nostre sang et lignage et autres gens de nostre grant conseil, avons decerné, statué et ordonné, et par la teneur de ces presentes descernons, statuons et ordonnons que quelzconques noz vassaulx, capitaines de gens d’armes et de trait ne autres noz subgiez, de quelque estat ou prerogative qu’ilz soient en nostre royaume, sur peine de forfaire et confisquer envers nous leurs corps et touz leurs fiefz et autres biens, et de encourir nostre indignacion perpetuelle, ne tiengnent d’ores en avant quelxconques garnisons de gens d’armes et de trait en aucunes villes ou forteresses de nostre dit royaume et seigneurie, si non ès frontieres qui par nous ou par les chiefs de guerre de par nous seront establies et ordonnées contre noz ennemis et adversaires, et ne tiengnent ou receptent quelxconques larrons, pillars, robeurs ou espieurs de chemins, et ne facent ou souffrent par les gens de leurs garnisons, ne autres, que les gens d’eglise, nobles, noz officiers ou serviteurs, marchans, laboureurs ne autres noz subgiez [p. 5] soient aucunement opprimez, pillez, robbez, destroussez, batuz, pris, rançonnez ne autrement empeschez ou endommaigés, en corps, en biens ne en leurs maisons, marchandises ou labourages, en passant le chemin ne autrement. Et avec ce voulons, statuons et ordonnons que, se aucuns de nos diz feaulx vassaulx ou subgiez tiennent ou receptent en leurs hostelz aucuns larrons ou pilleurs qui aient pillé, destroussé ou desrobé aucunes gens d’esglise, nobles, noz officiers ou serviteurs, marchans, laboureurs ou autres noz subgiez ou bienvueillans, ilz seront puniz des meffais d’iceulx larrons ou pillars, comme les principaulx aucteurs et faiseurs d’iceulx crimes et malefices. Et dès maintenant pour lors en icelui cas declairons leurs fiefz et tenemens estre forfaiz et acquis à nous. Oultre, voulons et ordonnons que, se aucuns de noz feaulx vassaulx ou subgiez treuvent aucuns pillars ou espieurs de chemins, ilz les prennent et menent à justice pour en faire pugnicion, comme il appartendra. Et touz iceulx pillars, larrons et espieurs de chemins generalment avons abandonnez et abandonnons à touz nos diz feaulx vassaulx et subgiez, pour les prandre et amener à justice, ainsi que dit est, et leur avons donné et donnons les biens d’iceulx larrons et pillars dont ilz seront trouvez saisiz. Et se, en ce faisant, iceulx larrons, pillars ou espieurs de chemins se rebelloient ou vouloient resister, et ilz estoient tuez ou occis, nous voulons ceulx qui ainsi les tueroient, en estre quictes, et dès maintenant en ce cas le leur pardonnons et remettons par ces presentes. Si vous mandons et estroictement enjoignons, et à chascun de vous, en commettant [où il] appartendra, que nostre dicte ordonnance vous faictes tenir et garder sans enfraindre, et touz les transgresseurs de la dicte ordonnance, et en especial touz larrons, pillars et espieurs de chemins, et touz ceulx qui les recepteroient ou leur donroient aide, conseil et confort vous prenez ou faictes prendre aux corps et touz leurs [p. 6] biens, meubles et inmeubles, mettez ou faictes mettre soubz nostre main en seure et sauve garde, et les punissez comme crimineux et coulpables de crime de leze magesté, comme transgresseurs de noz commandemens et defenses, infracteurs de paix et ennemis de nature, souverenement et de plain, tellement et si rigoreusement que de bonne justice vous en soiez recommandez et que ce soit exemple à touz autres et crainte aux bons de mal faire. Et se il avenoit que aucuns des diz larrons, pillars et robeurs ou de ceulx qui les recepteroient, feussent rebelles ou desobeissans, et se tenissent en aucunes places ou forteresses, nous voulons et vous mandons que par main armée, assemblée de nobles, gens de bonnes villes et de peuple, par force, assault, siege ou autrement, vous faictes obeir à nous les diz rebelles et desobeissans, en faisant, se mestier est, abatre leurs maisons, et en telle maniere que la force en demeure à nous et à justice. De ce faire vous donnons plain povoir, auctorité et mandement especial. Mandons aussi et commandons à touz noz feaulx vassaulx et subgiez, de quelque auctorité qu’ilz soient, qui sur ce seront requis, sur tant qu’ilz doubtent desobeir à nous et à noz commandemens, que à vous et chascun de vous et à voz commis et deputez, en ce faisant, obeissent et entendent diligemment, et vous donnent aide, conseil et confort, se mestier en avez. Car ainsi nous plaist il et voulons estre fait, nonobstans quelxconques lettres, ordonnances ou mandemens à ce contraires. Et voulons que aux vidimus de ces presentes lettres faiz soubz seaulx auctentiques plaine foy soit adjoustée, comme à ce present original. Donné à Poictiers, le xxviiie jour de mars l’an de grace mil cccc. et trente, et de nostre regne le neufviesme.

Par le roy en son conseil. Mailliere.

Le trois jour du mois d’avril l’an mil quatre cens trente et ung, furent criées et publiées le contenu ou blanc de ces presentes ès lieux acoustumez à faire cris en la ville de Poictiers, [p. 7] à heure de marchié, par cry public et à son de trompe, par le commandement de Phelippot de la Roche3, sergent du roy nostre sire, presens à ce Jehan Fouasset, Pierre Guerin4, Pierre Guilles, Herbert Duguet, Jehan Chevredens5, Guillaume Rogier6 et pluseurs autres. — J. Germailin, à la requeste dudit Phellipot.

Lecta et publicata Pictavis in Parlamento, nona die aprilis post Pasca anno Domini millesimo quadringentesimo tricesimo primo. D’Asnieres.


1 Une assemblée d’États, sur laquelle on ne possède que fort peu de renseignements, se tenait en ce moment même à Poitiers. On sait seulement qu’elle était composée des députés de la plupart des pays de Languedoïl, de l’obéissance du roi de France, que ceux-ci siégèrent jusques aux premiers jours d’avril et qu’ils accordèrent à Charles VII une aide de 200.000 livres tournois. Dans un mandement adressé, le 1er juin 1431, par Regnier de Boulligny, conseiller général au gouvernement des finances, à Guillaume Charrier, receveur général, il est question de « l’aide octroyée au roy par les gens des trois Estaz du païs de Languedoïl à l’assemblée par eulx faicte à Poictiers, ou mois de mars dernier passé ». (Original, Arch. nat., J. 891, n° 25.) On peut citer encore une quittance de gages, datée du 27 novembre 1431, de Bertrand de Saint-Avit, Guillaume Piedieu et Jean Barton, commissaires chargés d’imposer sur le pays de la Marche la somme de 7000 livres, pour sa part de « l’aide de iic mil frans au roy octroyé et par lui mis sus de l’aviz et consentement des gens des trois Estaz de son païs de Languedoc (sic), mandez et assemblez en la ville de Poictiers, au mois de mars dernier passé ». (Original, id., KK. 648, n° 127.) Enfin, dans des lettres patentes données par le roi à Chinon, le 26 décembre de la même année, et publiées par M. Ant. Thomas, on remarque ce passage : « Comme au mois d’avril dernier passé, la plus grande partie des gens des trois Estatz de noz pays de Languedoïl nous eussent octroyée et accordée la somme de deux cens mil livres tournois, pour aider et secourir à nos affaires,… » (Les États provinciaux dans la France centrale sous Charles VII, 2 vol. in-8°, 1879, t. II, p. 48.)

C’est évidemment en conséquence des plaintes et réclamations des députés présents en la ville de Poitiers que fut rendue cette importante ordonnance pour la répression des excès des gens de guerre. Elle est restée jusqu’ici inédite, et même elle a échappé aux recherches du récent historien de Charles VII, qui n’aurait pu manquer de la citer dans les pages intéressantes qu’il consacre aux désordres de la gendarmerie et aux vains efforts du gouvernement royal pour y remédier, de 1422 à 1435. (M. de Beaucourt, t. II, Le roi de Bourges, p. 645 et suiv.) Notre texte trace un tableau fidèle des oppressions dont souffraient les provinces que l’on aurait pu considérer comme privilégiées, puisqu’elles n’étaient pas occupées par l’étranger. Tel est son principal intérêt. On ne devait guère, en tant qu’ordonnance, espérer qu’elle serait efficace. Des dispositions répressives de cette nature ne pouvaient s’appliquer qu’après le rétablissement de la paix. Tous les hommes de guerre sans exception avaient les mêmes mœurs déplorables ; partout il eût fallu sévir. Le roi avait alors trop besoin de leurs services pour pouvoir les traiter avec la rigueur qu’ils méritaient.

2 Quelques mots ont évidemment été omis par le scribe, en cet endroit.

3 Un Philippe de la Roche, dit Roguet, homme d’armes, était poursuivi au Parlement, de 1419 à 1422, par Isabelle Belon, veuve de Pierre de Juilly, de Poitiers. Au mois de février 1401, ayant été pris par les ennemis, il avait été obligé, pour pouvoir payer sa rançon, de vendre audit de Juilly une rente annuelle de 35 livres, assise sur le manoir de Beauregard. Après la mort de celui-ci arrivée l’an 1415, il refusa de continuer le payement de sa redevance. La veuve qui, aux termes de la coutume, avait droit à la moitié des acquêts de la communauté, réclama sa part des arrérages et fit reconnaître son bon droit par arrêts du 14 août 1419 et du 7 mars 1422 n.s. (Arch. nat., X1a 9190, fol. 60 v°, 175.)

4 Pierre Guérin, sergent du roi en Poitou, demeurant à Poitiers, était le 22 mai 1425 prisonnier à la conciergerie du Palais de cette ville, par ordonnance de la cour, « pour occasion de la prinse de certain cheval appartenant à Me Nicole de Grandrue. » Ce jour il obtint son élargissement pour une quinzaine, à la caution de Nicolas Guérin, son parent, qui promit, sous peine de 100 livres d’amende, de le ramener prisonnier au jour fixé. Cette affaire n’eut point d’ailleurs de suite fâcheuse. Le 17 août suivant, le sergent fut délivré de toute poursuite, du consentement de Grandrue. (X2a 21, fol. 33 et 37 v°.) Pierre Guérin (peut-être un personnage différent) rendait hommage, vers 1430, au sire de Parthenay, à cause d’une borderie de terre, mouvant de la Chapelle-Bertrand. (Arch. nat., R1* 190, fol. 9 v°.)

5 Jean Chevredent exerçait la charge de procureur au Parlement de Poitiers et en cette qualité il occupait, le 15 mai 1436, pour l’abbaye de Nieul-sur-l’Autize, dans un procès criminel contre Thomas Voyer, chevalier. (Arch. nat., X2a 21, à la date.) Il devint procureur du roi en la sénéchaussée de Poitou, fonctions dont il était investi dès avant le 19 mars 1444 n.s. (Dom Fonteneau, t. XXVII, p. 741.) Le nom de Jean Chevredent figure encore, accompagné de la même qualité, dans deux actes, l’un du 1er octobre 1456, l’autre du 18 juin 1467. Il fut aussi maire de la ville de Poitiers durant l’année 1453-1454. (Arch. de la ville de Poitiers, K. 7, J. 1210, M. 42, reg. 11. — Cf. le Dictionnaire des familles du Poitou, 2e édit., t. II, p. 452.)

6 Dans les pièces de comptes de la ville de Poitiers on trouve la mention d’un payement fait, le 21 avril 1449, de six écus à Guillaume Rogier, pour avoir fait l’inventaire des lettres perpétuelles de ladite ville. (Arch. de la ville de Poitiers, J. 1000.)