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MLIII

Don à Bertrand Rataut, chevalier, seigneur de Curzay, de la haute justice dudit lieu, avec permission d’y élever des fourches patibulaires à deux piliers.

  • B AN JJ. 184, n° 592, fol. 401
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 138-142
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de nostre amé et feal chevalier, Bertran Rataut1, seigneur de Cuerzay en nostre païs de Poictou, contenant [p. 139] que, comme le dit suppliant ait audit lieu de Cuerzay toute justice, reservée l’execucion de la haulte justice, et que il ne y a aucunes forches pour icelle haulte justice exercer, pour ce que icelle execucion nous appartient ; en quoy n’avons comme point ou au moins très petit de proffit ; et il soit ainsi que en icelle terre ait assez de hommes et subgiez dudit suppliant à cause de sa seigneurie dudit lieu, mouvant et tenue de nous en fief et à foy et hommaige, et y adviennent souventes foiz des cas dont, pour faulte de la dicte haulte justice en icelle terre, les malfaicteurs eyadent [p. 140] et eschappent, et pevent evader et eschapper impugniz ; et aussi les habitans de sa dicte terre ne pevent bonnement sans peril avoir recours à nostre haulte justice, pour ce qu’elle est trop loing dudit lieu, et que gens de guerre et autres y courent trop souvent. Et pour ce nous ait humblement suplié que, attendu ce que dit est, nous lui vueillons donner la dicte haulte justice par toute la dicte terre, et lui octroyer faculté et licence de faire [es]lever en sa dicte terre et seigneurie et asseoir unes forches à deux pilliers, et sur ce lui impartir nostre grace et liberalité. Pour quoy nous, ces choses considerées, et aussi les bons et louables services qui ont esté faiz à nous et à noz predecesseurs, en noz guerres et autrement, par ledit Bertran et les siens, et mesmement que nous fait encores continuelement Jacques Rataut2, son filz, en la compaignie de nostre très chier [p. 141] et amé cousin le conte de Richemont, connestable de France, à icellui suppliant, pour ces causes et autres à ce nous mouvans, avons donné et octroyé et de nostre grace especial, plaine puissance et auctorité royal, donnons et octroyons par ces presentes ladicte haulte justice à deux pilliers en sa dicte terre de Cuerzay et ès fins et mettes d’icelle. Et voulons et nous plaist que icelle haulte justice et l’execucion d’icelle il puisse faire mettre sus et lever, tenir, avoir et exercer par lui, ses heritiers, successeurs et ayans cause, seigneurs dudit lieu de Cuerzay, avecques tous les officiers qui à haulte justice appartiennent et sont convenables et necessaires, à tous jours, pourveu toutesvoies que lui et ses successeurs seront tenuz de faire foy et hommaige de la dicte haulte justice à nous et à noz successeurs, et de en ressortir en cas d’appel et souveraineté par devant noz juges et officiers. Si donnons en mandement à noz amez et feaulx gens de noz comptes, au seneschal de [p. 142] Poictou et à tous noz autres justiciers et officiers, ou à leurs lieux tenans, presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace, don et octroy facent, seuffrent et laissent ledit suppliant, ses hoirs, successeurs et ayans cause joïr et user plainement et paisiblement à tousjours, sans leur faire, mettre ou donner, ou souffrir estre fait, mis ou donné, ores ne pour le temps avenir, aucun destourbier ou empeschement au contraire. Et quant à ce nous avons imposé scilence perpetuel à nostre procureur et à tous autres, nonobstans l’ordonnance par nous autres foiz faicte de non donner ou aliener aucune chose de nostre demaine3 et quelzconques autres ordonnances, revocacions, mandemens ou defenses faictes ou à faire au contraire. Et affin que ce soit chose ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à Limoges, le xxiiie jour de may l’an de grace mil cccc. quarente et deux, et de nostre regne le vingtiesme.

Ainsi signées : Par le roy, mons. le conte du Maine, le connestable, le sr de la Varenne, maistre Jehan de Troissy4 et autres presens. Fresnoy. — Visa. Contentor. E. Duban.


1 Il devait être fils de Guillaume Rataut, qui rendit, le 10 mars 1405 n.s., aveu au duc de Berry de son fief de Curzay et de Laudonnière (nom ancien du château de Curzay) dans la mouvance de Lusignan. (Cf. notre t. V, p. 420.) Bertrand avait épousé Marguerite de Cramaut, nièce du cardinal Simon de Cramaut, évêque de Poitiers, seconde fille de Pierre et sœur de Jean, sr de Touffou, veuve en premières noces de Guillaume des Prez. (Id., p. 342 note.) Le cardinal avait légué tous ses biens à Jean de Cramaut, son neveu, sous cette clause que, s’il mourait sans enfants, plusieurs de ses terres deviendraient la propriété de l’évêché de Poitiers. (Id., t. VI, p. 186, note.) Cette éventualité s’étant produite, l’évêque de Poitiers, pour sauvegarder ses droits, fit ajourner, après la mort de Jean, le 21 janvier 1434 et le 1er juillet 1435, tous les héritiers de celui-ci, savoir : Jean de Pressac, Regnaut de Velors et Simonne Tison, sa femme, Bertrand Rataut, chevalier, Jacques Béchade et Jeanne de Prugny, sa femme, Guy de Pressac, archidiacre de Poitiers, Héliot de Pressac, Pierre de Beauvolier et Hermine de Pressac, sa femme, Jean Le Brun, chevalier, et sa femme. (Arch. nat., X1a 9200, fol. 193 v° et 361.) Marguerite de Cramaut, femme de Bertrand, était décédée bien avant son frère. Son mari était remarié alors avec Marguerite Rouault, comme on le voit dans le livre des hommages et aveux de la seigneurie de Parthenay, où on lit : « Messire Bertrand Rataut, chevalier, a fait hommage lige, à cause du chastel de Partenay, de l’hostel et hebergement du Plessis de Veluire, sis en la paroisse du Talu, avec toutes appartenances et appendences. Et en souloit faire hommage messire Miles Rouault, chevalier, père de la femme dudit Rataut. » (R1* 190, fol. 275 v°.) Les généalogies imprimées de la famille Rouault portent que Marguerite était fille de Louis, dit Béthis, mort avant 1400, et sœur de Miles, ce que la chronologie rend tout à fait invraisemblable. Il convient donc de les corriger sur ce point ; elles sont d’ailleurs inexactes sur beaucoup d’autres. Bertrand Rataut était encore tenu à l’hommage envers les sires de Parthenay pour la quatrième partie d’une borderie de terre, vulgairement appelée « la Nouhe-Chappon », qui lui venait des héritiers de feu Guillaume Bertrand, aliàs Gaillart, et tenait d’une part au fief de Saint-Denis et d’autre à celui dudit Rataut, pour son hébergement du Bois de Fenioux, pour le lieu de la Béraudière, mouvant de Secondigny, et pour l’hébergement du Bois-sur-Ardin, mouvant de Parthenay. (Id., R1* 190, fol. 252 v° et 275.)

Bertrand Rataut fut poursuivi au criminel devant le Parlement de Poitiers, de 1430 à 1435, pour violences exercées contre les religieux de l’Absie-en-Gâtine. Le 10 mars 1430, cette abbaye étant vacante par suite du décès de Jean Grimaut, les moines procédèrent à l’élection d’un nouvel abbé. Douze voix se portèrent sur Bernard d’Appelvoisin, cinq ou six seulement nommèrent Louis Rouault. Le premier ayant accepté, l’évêque de Maillezais procéda aux publications, et l’élu se pourvut en cour de Rome pour obtenir sa confirmation. Pendant ce temps, Louis Rouault se fit délivrer subrepticement des lettres royaux ordonnant aux religieux de l’Absie de le recevoir comme abbé et de repousser son rival ; il avait faussement donné à entendre qu’il avait obtenu la majorité des suffrages. Bernard d’Appelvoisin fit opposition. Alors Rouault assembla trente à quarante hommes d’armes et autant d’hommes de trait, la plupart Écossais, qui à cette époque tenaient les champs dans la Gâtine. Cette troupe « embastonnée » de lances, arbalètes et autres armes, avait à sa tête Bertrand Rataut, beau-frère de Louis Rouault, et Joachim de Volvire. Le 5 octobre 1430, à jour couchant, ayant des torches ardentes à la main, ils vinrent attaquer le couvent. Les moines épouvantés s’enfuirent, sauf le prieur claustral, nommé Jean Barbotin. Les agresseurs pénétrèrent dans l’enceinte, constituèrent prisonnier le prieur, s’emparèrent de toutes les clefs, prirent possession de l’abbaye et la mirent au pillage. Ils y tinrent ensuite garnison, et quand un huissier du Parlement vint les sommer de se retirer, ils lui refusèrent l’entrée et menacèrent de le jeter à l’eau. Les sires de Bressuire et de Lezay (André de Beaumont) prirent fait et cause pour Louis Rouault et introduisirent dans l’abbaye des religieux qui n’avaient aucun droit d’y demeurer. Les fauteurs de ces violences étant tous des amis et partisans avérés du connétable de Richemont, il est vraisemblable qu’il faut voir dans cette affaire un épisode de la lutte ouverte entre celui-ci et Georges de La Trémoïlle. Jean Rabateau, avocat du roi au Parlement, requit la punition des coupables dès le 20 novembre 1430. (Arch. nat., X1a 9199, fol. 327 ; voir aussi fol. 372 v°, 386 v° et 415 v° de ce registre.) Le procès dura plusieurs années. Ce ne fut que le 26 février 1435 n.s. que l’arrêt définitif fut rendu. Bien qu’à cette époque Richemont fût rentré en grâce auprès du roi et eût reconquis toute son influence à la cour, Bertrand Rataut et Joachim de Volvire furent condamnés à une amende de 1000 réaux d’or envers le roi et à 400 réaux au profit du prieur claustral et des religieux de l’Absie, et en outre à la restitution de tout ce qui avait été détruit et enlevé de l’abbaye par leurs hommes d’armes. (X2a 20, fol. 80 v°, et X2a 21, à la date du 23 février 1435 n.s. ; cf. aussi fol. 148 v°, 149, 161, 162 v°, et aux dates des 7 et 14 mars 1433 n.s. dans ce même registre X2a 21.) Dans l’intervalle, une action civile se poursuivit au Parlement entre Bernard d’Appelvoisin, Louis Rouault et un troisième prétendant, Bertrand de la Fosse, dit du Retail. Ce dernier était allé à Rome dénoncer la mauvaise administration du dernier abbé, Jean Grimaut, et avait, paraît-il, obtenu du pape la promesse de le remplacer. Inutile de dire que les droits de Bernard furent pleinement reconnus et consacrés par la cour. (Plaidoiries du 15 mai 1431, arrêts des 14 août 1431 et 16 avril 1432 ; X1a 9192, fol. 249 et 284 ; X1a 9201, fol. 35.)

Bertrand Rataut était conseiller et maître d’hôtel d’Artur de Richemont. En cette qualité il fut commis, avec Guillaume de Launay, lieutenant dudit sieur à Parthenay, pour diriger les travaux de réparations à faire aux château, halles, fours, moulins, chaussées, étangs, garennes et maisons de cette ville, par lettres du connétable, datées du château de Parthenay, le 20 mai 1443. (Original. Arch. nat., R1 192.)

2 Jacques Rataut, fils de Bertrand, était alors écuyer d’Artur de Richemont, sr de Parthenay, connétable de France, comme on le voit par un fragment de compte de ce personnage (1443-1445), rôle d’octobre 1443, où il est porté pour dix écus de gages. (Publ. par E. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 658.) Par lettres datées de Lusignan, en mai 1462, Louis XI lui octroya de nouveau la permission d’élever des fourches patibulaires en sa terre et seigneurie de Curzay. (Enreg. au Parl., Arch. nat., U. 446, fol. 108, et à la Chambre des comptes, anc. mém. M, fol. 147 v°, Bibl. nat., ms. fr. 21405, p. 151.) Le 1er janvier précédent, Jacques Rataut avait rendu son aveu au roi pour Curzay, le château de Laudonnière, etc. (Arch. nat., P. 1145, fol. 120 v°.) Parmi les titres de la baronnie de Parthenay, on conserve plusieurs quittances de lui, notamment aux dates des 2 novembre 1462, 30 avril 1473, 10 janvier, 16 février et 27 juillet 1474, qu’il souscrivit en qualité de bailli de Gâtine et de capitaine de Parthenay pour le comte de Dunois. Ses gages étaient de 50 livres tournois par an, et il avait comme lieutenant général Jacques Esteau. (Id., R1 192, aux dates.) Jacques était né sans doute du second lit, car il est dit parent de Louis Rouault, évêque de Maillezais, dans un procès criminel intenté contre celui-ci par Gilles Corbeau, sergent du roi, et Jacques de Loumeau. Il s’agissait de la succession d’un prêtre de Mauléon, nommé Jean Gasteau, décédé intestat. L’évêque prétendait que, d’après la coutume, les biens des ecclésiastiques de son diocèse, qui ne laissaient point de testament, lui appartenaient, droit que lui contestait le procureur du roi. Ses gens, voulant se saisir de la succession litigieuse, avaient exercé des violences contre Jacques de Loumeau, à qui était confiée la garde des biens de Jean Gasteau, et contre le sergent royal. (X2a 35, aux 19 et 23 février 1468 n.s.) Ce Louis Rouault est celui-là même qui, en 1430, avait voulu se saisir de force de l’abbaye de l’Absie. (Cf. la note précédente.) Dans l’arrêt du 16 avril 1432, il est qualifié prieur d’Auzay (de Auzayo). Il fut élu abbé de Saint-Pierre de Bourgueil, le 31 octobre 1439, et occupa le siège de Maillezais de 1455 à 1475, tout en demeurant abbé commendataire de Bourgueil.

3 Il est fait allusion sans doute aux lettres du 15 décembre 1438, par lesquelles Charles VII annulait toutes les donations et aliénations du domaine par lui faites et les pensions extraordinaires créées, depuis son départ de Paris en 1418, réservé ce qui avait été réglé par le traité d’Arras. (Coll. des Ordonnances des rois de France, in-fol., t. XIII, p. 293.)

4 Il a été question précédemment des personnages nommés ici, sauf de Jean de Troissy. Ce dernier était bailli de Sens dès 1428. Attaché à la duchesse de Guyenne, il se montra également dévoué au second mari de celle-ci, le comte de Richemont, dont il fut le conseiller et lieutenant en la connétablie. En juillet 1433, on le trouve à Londres comme ambassadeur du duc de Bretagne auprès du roi d’Angleterre, pour traiter des préliminaires de la paix. A Arras, en janvier-février 1435, il fut l’un des représentants du duc de Bourbon au traité particulier conclu alors entre ce prince et le duc de Bourgogne. (Voy. E. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 157, 461, 575, etc. ; de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II, p. 462 n., 516 n. ; et Bibl. nat., coll. de Bourgogne, vol. 96, p. 621.)