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MCXXXII

Rémission octroyée à Jeannette, native de l’île de Bouin, femme de Nicolas Rollant, de l’île de Noirmoutier, pour un infanticide dont elle s’était rendue coupable, vingt-cinq ans auparavant, de complicité avec Jean Jouaye, prêtre, son séducteur.

  • B AN JJ. 178, n° 134, fol. 83
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 419-422
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehannete, femme de Nicolas Rollant, aliàs Bertouet, demourant en l’isle de Noirmoustier, native de l’isle de Bouyng, contenant comme, xxv. ans a ou environ, elle estans lors en l’aage de xvii. à xviii. ans ou environ, par la temptacion de l’ennemy, et aussi par le pourchaz et enhortacion d’un nommé Jehan Jouaye, prebstre, se consenti à la voulenté du pechié de la chair, et ala demourer en l’ostel dudit Jehan Jouaye, et y demoura l’espace d’un an ou environ, durant lequel temps ledit Jouaye engrossa ladicte suppliante, et l’envoya, sur le terme d’enfenter, en une maison où demouroit une femme vefve assez près du bourg de Bouyng, en laquelle maison vindrent par nuit deux freres nommez les Mauchas, qui prindrent ladicte suppliante, la batirent et l’emmenerent avecques eulx en ung lieu nommé la Gouppillace, qui est oudit isle de Bouyng, et coucha l’un des diz freres avecques elle. Et le landemain au matin, ladicte suppliante retourna en ladicte maison de ladicte vefve et envoya querir ledit Jouaye ; lequel vint à elle et de là la fist aler en sa maison. Et brief temps après elle eut enfant par nuyt, en l’ostel d’icellui Jouaye, lequel receut le dit enfant, car il n’y avoit que eulx deux. Et tantost qu’il fut né, icellui Jouaye mist ledit enfant sur ung pou de paille, emmy ladicte maison. Et lors se print le dit enfant à crier. Et demanda à la dicte suppliante : « Que feray je de cest enfant ? Or voy je [p. 420] bien que j’en seray deshonnoré ». Laquelle lui dist qu’il en fist ce qu’il lui plairoit, et qu’il estoit sien. Et tantost il print le dit enfant et l’enveloppa en ung drap linge, teste et tout le corps. Et puis lui demanda se elle pourroit cheminer. Laquelle lui dist qu’elle creoyt qu’elle chemineroit bien ung peu. Et adonc lui dist qu’elle tendist le geron de sa robbe, pour y mettre ledit enfant, en disant à la dicte suppliante qu’elle estraingnist bien son geron, afin que l’on ne l’oyst crier. Et la nuit se departirent de la dicte maison, et print le dit Jouaye une pelle en sa main et dist à la dicte suppliante : « Viens après moy ». Lesquelz s’en alerent ensemble, portant ledit enfant, assez près du cymetiere dudit lieu de Bouyng, en terre prophanne. Et là fist le dit Jouaye une fosse et dist à la dicte suppliante qu’elle mist l’enfant dedans. Laquelle ouvry son geron et le gecta dedans ladicte fosse, où il fut enterré par le dit Jouaye, et de là s’en retournerent ensemble en la dicte maison. Et ne sceut point la dicte suppliante se le dit enfant estoit mort ou vif, quant elle le gecta en ladicte fosse, ne s’il estoit masle ou femelle. Et aussi ne sceut s’il fut baptisé, pour la maladie d’enfenter qu’elle enduroit, non obstant que, tantost qu’elle eut le dit enfant, elle apparceut bien de l’eaue en une escuelle d’estain près dudit enfant. Et tantost après le dit fait advenu, la dicte suppliante vint en l’isle de Noirmoustier, où elle demoura certain temps cheux Jehan Anglois et avecques Jehan Birart. Et en icellui temps fut accordée et fiancée, de main de prebstre, avec son dit mary qu’elle a de present. Et après ce qu’elle fut fiancée, elle s’en ala audit isle de Bouyn, au curé dudit lieu dont elle estoit parroissienne, pour avoir congié de lui espouser. Et incontinant qu’elle fut arrivée audit isle de Bouyn, elle fut prinse par les officiers de la court seculiere dudit lieu de Bouyn et mise en arrest au chasteau et forteresse dudit lieu de Bouyn ; et elle estant en arrest, elle trouva la porte dudit chasteau ouverte et s’en sailly [p. 421] hors, et s’en retourna audit lieu de Noirmoustier. Et assez tost après les diz officiers dudit lieu de Bouyn poursuirent la dicte suppliante audit Noirmoustier, en requerant aux officiers dudit Noirmoustier qu’elle feust mise prisonniere au chasteau dudit lieu, et que après elle leur feust baillée et delivrée ; ce que les diz officiers dudit lieu de Noirmoustier firent ; et adonc l’emmenerent les diz officiers dudit lieu de Bouyn, et la misdrent en prison fermée au chasteau dudit lieu de Bouyn, et là fut detenue la dicte suppliante environ demy an, en grant povreté. Durant lequel temps elle fut menée en jugement devant la justice dudit lieu ; mais elle ne scet pas bien se elle fut condempnée à mort ou non. Et elle estant prisonniere, elle brisa et rompit les dictes prisons dudit lieu de Bouyn, environ jour faillant, et s’en retourna audit lieu de Noirmoustier avecques son dit mary, où icelle suppliante s’est tousjours, depuis xxiiii. ans ença ou environ qu’elle fut espousée, tenue et demourée avec lui, et a eu aucuns enfans de son dit mary. Et oncques puis elle ne commist ne perpetra autres cas criminelz. Et elle estant avecques son dit mary, le xviiie jour du mois de janvier derrenier passé ou environ, les officiers dudit lieu de Noirmoustier prindrent de rechief la dicte suppliante et la misdrent en prison audit chasteau de Noirmoustier. Et le landemain, durant les assises dudit lieu, fut condempnée par le seneschal du dit lieu à mourir par justice, pour les causes dessus dictes. Et environ le tiers jour du mois de fevrier après ensuivant et derrenier passé, partie des diz officiers vouldrent mener executer la dicte suppliante, ainsi que condempnée estoit par la dicte justice. Et tantost qu’elle fut defferré, elle dist et proposa aus diz officiers qu’elle estoit grosse d’enfant, et adonc fut laissiée en la dicte prison et derechief enferrée, où elle est encores en grant misere et en aventure d’y finer brief ses jours, se nostre grace et misericorde ne lui est sur ce impartie, si comme elle dit, en nous humblement requerant que, attendu [p. 422] que, etc., ce qu’elle fist, elle le fist par ignorance, veu son jeune aage, et par l’enhortement dudit Jouaye, pour ce qu’elle estoit en sa subgection, et que en la maladie où elle estoit d’enfenter, elle ne savoit qu’elle faisoit, et que ledit cas est advenu passé a xxv. ans, etc., nous lui vueillons sur ce impartir nostre grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, etc., à icelle Jehannette suppliante, ou cas dessus dit, avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou mois de mars l’an de grace mil iiiie xlvi, et de nostre regne le xxve.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Tribolé. — Visa. Contentor. P. Le Picart.