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MXCVII

Lettres d’abolition en faveur d’Alain Eschellé, écuyer, demeurant à la Mothe-Saint-Héraye, pour les violences, pillages et tous autres excès de guerre dont il a pu se rendre coupable depuis la bataille d’Azincourt.

  • B AN JJ. 177, n° 242, fol. 161 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 286-290
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receu [p. 287] l’umble supplicacion de nostre amé Alain Eschellé1, escuier, demourant à la Mote Saint Eraye en nostre païs de Poictou, contenant qu’il nous a, ou temps passé, bien et loyaument servi ou fait de noz guerres à l’encontre de noz anciens ennemis et adversaires les Anglois et autres, et a esté en plusieurs lieux, journées et voiages, chief, capitaine et acompaigné de plusieurs gens de guerre qui estoient soubz lui et soubz son gouvernement à la journée d’Agincourt, soubz et en la compaignie de feu nostre cousin le duc d’Alençon2, en laquelle il fut prins par nos diz ennemis les Anglois et mené prisonnier à Calays, où il fut detenu par aucun temps et mis à grosse finance et raençon, laquelle il lui convint paier, et aussi en la ville du Mans où il fut par nostre ordonnance et commandement en garnison, soubz le feu sire de Fontaines3, en laquelle ville il fut, à une [p. 288] saillye ou escarmouche qu’il fist, prins par nos diz ennemis et mené prisonnier à Bellesme. Et depuis, en s’efforçant et cuidant reduire la ville de Bourg en nostre obeissance, laquelle aucuns estans en icelle lui devoient bailler et livrer, il fut trahy et prins et avec lui bien viiic hommes de guerre4. Et pareillement fut à la journée de Verneuil ou Perche, en la compaignie de nostre très chier et très amé cousin le duc d’Alençon5, où il fut de rechief prins par nos diz ennemis et mené prisonnier à Danfront ; et aussi fut en nostre compaignie, ou premier voiage que feismes en nostre païs de Languedoc6, et tint et mist le siege de par nous devant plusieurs villes et places dudit païs, qui lors estoient à nous rebelles et desobeissans. Pendant lequel temps qu’il a suivi les guerres, tenu gens d’armes et qu’il s’est armé, lesdiz gens de guerre qu’il a tenuz avec lui en nostre service, ont fait plusieurs courses, destrousses, pilleries et roberies sur noz subgiez, pillé, robé et destroussé gens d’eglise, nobles, marchans et autres de divers estaz, [p. 289] et les ont mis à pié et osté leurs chevaulx, or, argent, robes et ce qu’ilz avoient avec eulx, vendu et butiné leurs chevaulx et biens, aguettez chemins et courre foires et marchez, pillé, robé et destroussé toutes autres manieres de gens qu’ilz povoient rencontrer, fait logeiz par force sur noz hommes et subgiez et autres en nostre obeissance, prins bestial et raençonné nos diz subgiez à argent, vivres et autres choses, prins et emmené bestial et autres biens qu’ilz trouvoient sur les champs et ès lieux où ilz estoient logiez, et partie dudit bestial et biens mengié, vendu et butiné, et l’argent applicqué à leur proufit, fourragé et appatissé villaiges, bourgades et autres lieux et manoirs. Laquelle chose ledit suppliant a souffert et tolleré à ses dictes gens et autres qui estoient avec lui, et des dictes choses a prins et eu sa part, et à icelles ou partie d’elles faire a esté present en sa personne. Lesquelles courses, destrousses et raençonnemens il a fait et souffert faire par ses dictes gens et autres, en tenant les champs et vivant sur iceulx et autrement en plusieurs manieres, parce que autrement il n’avoit de quoy soy entretenir ne les gens de guerre de sa compaignie, et que ne leur payons aucuns gaiges. A l’occasion desquelles courses, destrousses, pilleries, raençonnemens et autres choses dessus dictes ledit suppliant, lequel s’est dès pieça retrait et veult vivre paisiblement, comme homme de bien doit faire, doubte que pour lesdiz cas ou aucuns d’eulx noz gens et officiers vueillent ou temps avenir contre lui proceder rigoureusement et tendre à punicion corporelle, et que à ceste cause il fust contraint et lui convenist soy absenter du pays, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties ; humblement requerant que, attendu que le dit suppliant nous a bien longuement servi ou fait de noz guerres, etc., il nous plaise sur ce lui impartir icelles. Pour quoy nous, etc., audit suppliant, en faveur des bons et agreables services qu’il nous a faiz le temps passé ou [p. 290] fait de noz guerres, et pour consideracion des prisons qu’il a souffertes et des grans raençons qu’il lui a convenu paier à noz diz ennemis, pour soy delivrer de leurs mains et eschapper de leurs prisons, avons quicté, remis, pardonné et aboly, etc., tous et chascuns les faiz, cas, crimes, deliz et malefices dessus diz, et autres quelzconques, etc., lesquelz nous voulons ici estre tenuz pour exprimez, et voulons qu’ilz soient regectez, comme s’ilz estoient non faiz et non advenuz, exceptez et reservez toutesvoyes meurdre d’aguet apensé, boutement de feux, ravissement de femmes et de filles et violer eglise, etc. Si donnons en mandement aux seneschaulx de Poictou et de Xanctonge, gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Chinon, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. xlv, et de nostre regne le xxiiiie, avant Pasques.

Ainsi signé : Par le roy en son conseil. Rolant. — Visa. Contentor. E. Duban.


1 Ce nom se trouve aussi écrit Eschallé ou de Leschallé (Invent. des arch. du château de la Barre, t. I, p. 260.) Les principaux faits de la biographie d’Alain Eschellé sont énumérés dans ces lettres d’abolition. On peut y ajouter qu’il fut garde de la ville de Montivilliers et donna une quittance de gages en cette qualité, le 12 juin 1416. Un autre document de même nature, en date du 13 novembre 1418, scellé du sceau du même personnage, montre qu’il était alors au service du dauphin contre les Anglais. Ses armoiries étaient : un écu d’hermines, à trois têtes de lion arrachées, accompagnées d’une étoile au canton dextre ; penché, timbré d’un heaume, cimé d’une tête de lion. (G. Demay, Invent. des sceaux de la collection Clairambault, 2 vol. in-4°, t. I, p. 354. Cet auteur a pris à tort les têtes de lion de ce blason pour des têtes de singe.) Alain, qualifié écuyer, fit aussi partie, au mois d’août 1419, de l’armée réunie par le comte de Vertus et Jean de Torsay, pour réduire la ville de Parthenay en l’obéissance du dauphin. Il avait sous ses ordres vingt autres écuyers et seize archers. Un de ses parents, Jean Leschallé, écuyer, servait dans la même armée, avec dix-huit écuyers et douze archers. (Dom Morice, Hist. de Bretagne, in-fol. Preuves, t. II, col. 992.)

2 Jean Ier duc d’Alençon, comte du Perche, vicomte de Beaumont, etc., surnommé le Sage, né au château d’Essay, le 7 mai 1385. A la journée d’Azincourt (25 octobre 1415), où il avait le commandement de l’armée, il succomba, mais après avoir vaillamment combattu et tué de sa main le duc d’York.

3 Jean sire de Fontaines en Anjou (Fontaine-Guérin), que les Chroniques appellent, à cause du fief, Guérin de Fontaines, combattit victorieusement à Baugé (22 mars 1421), fut capitaine du Mans, au mois de mai de la même année, et mourut vers 1428. (C. Port, Dict. hist. de Maine-et-Loire, v° Fontaines [Hardouin de].) Le Jouvencel dit que le sire de Fontaines fut tué à Cravant. Sa fille Renée épousa Jean de Daillon, favori du dauphin Louis, le 28 juin 1443, et lui porta la terre de Fontaines, car celui-ci, dans un acte de mars 1444 n.s., est qualifié écuyer, sr de Fontaines. (Le Jouvencel par Jean de Bueil, édit. C. Favre et Lecestre, t. I, p. xcix et note.)

4 On n’a rien pu trouver sur cette affaire de Bourg, qui semble cependant avoir eu une certaine importance, puisqu’il y eut huit cents prisonniers. Le P. Anselme, dans les quelques lignes qu’il consacré à Jean de La Rochefoucauld, sr de Barbezieux (le sénéchal de Poitou), dit qu’il rendit de grands services à Charles VII dans les guerres contre les Anglais, et particulièrement à la défense de la ville de Bourg. S’agit-il de Bourg-sur-Charente ou de Bourg-sur-Gironde ? Cette dernière place qui resta au pouvoir des Anglais jusqu’au 29 mai 1451, que Dunois la força à capituler, pourrait avoir été le but de cette attaque infructueuse, à une date et dans des circonstances restées inconnues.

5 A Verneuil (17 août 1424), Jean II duc d’Alençon, fils de Jean Ier (tué à Azincourt) et de Marie de Bretagne, fut fait prisonnier par les Anglais ; il ne recouvra la liberté qu’en 1427, après avoir payé une grosse rançon. (Sur ce personnage, cf. le vol. précédent, p. 406, note.)

6 Cette expédition dirigée par Charles VII, alors qu’il était encore dauphin, fut marquée par les sièges et la réduction des villes de Nîmes et du Pont-Saint-Esprit. Parti de Lyon le 21 décembre 1419, Charles était de retour à Poitiers le 8 juin 1420. (Cf. de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. I, p. 196-202.)