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MLXXXIII

Rémission octroyée à Méry Lorin, clerc, à Simon Lorin, son frère, et à deux autres habitants de Thuré près Châtellerault, ses complices, coupables de meurtre avec guet-apens sur la personne de Jean Girault, qui lui-même, neuf ou dix mois auparavant, avait fait battre et mutiler d’une oreille ledit Méry Lorin.

  • B AN JJ. 177, n° 135, fol. 90
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 235-239
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Bery (sic) Lorin, clerc, prisonnier ès prisons de nostre amé et feal conseiller l’evesque de Poictiers, [p. 236] Simon Lorin, son frere, jeunes homs, aagié de xx. ans ou environ, Jehan de Lavau, simples homs de labour, chargié de femme et d’enfans, et de Pequin Pateau, aussi homme de labour, chargié de femme et de sept petiz enfans, tous natifz de la parroisse de Thuré près Chastelleraut, contenant que, depuis ix. ou x. mois ença, le dit Mery Lorin fut assailly par Jehan Girault, dit Triboulemesnaige, Perrinet du Chasteigner, Thibelon Foulquet et par ung appellé Berton, autrement Ogier, et par eulx telement batu, au pourchaz d’un appellé Heliot Giraut, frere du dit Triboulemesnaige, qu’ilz lui firent xxii. ou xxiii. playes en sa personne, dont il y avoit les aucunes en la teste, et entre celles de la teste lui coupperent ou près une oreille, par quoy lui qui estoit deliberé estre homme d’eglise est inhabille à jamais l’estre. Dont icellui Mery print en lui si grant desplaisance et merencolie qu’il en estoit comme à demy hors de son entendement, et a, à cause de la dicte bateure, esté bien six mois au lict malade. Et depuix le dit cas avenu, a fait faire diligence par justice de faire punir les diz malfaiteurs ; les quelz en ont par la court du dit lieu de Thuré esté longuement detenuz en procès, où il a despendu largement du sien, et pour ce que on [n’]en faisoit expedicion estoit très fort courroucié, comme tout merencolieux. Et advint que, lui estant ainsi courroucié et comme deux ou trois jours après Noel, le dit Mery estoit ou cymetiere du dit lieu de Thuré, vit le dit Jehan Giraut et oyt que le curé ou vicaire du dit lieu le semonnoit et prioit de soupper avec lui, et entendit que le dit Jehan s’accorda d’y aler, et lors le dit Mery s’en ala en sa maison, et dist au dit Simon Lorin, son frere, suppliant, qu’il preinst ung espieu en sa main et alast dire au dit Jehan de Lavau, suppliant, son compere, qu’il preinst sa juisarme en sa main, et que le dit Girault souppoit avec le dit vicaire, et qu’ilz se venissent rendre à lui en certaine piece de terre appartenant à Regnault Le Doulx. [p. 237] Et aussi dist le dit Mery au dit Pequin Pateau, suppliant, qui estoit ilec, qu’il preinst sa juysarme et alast avec lui, et que le dit Jehan Girault estoit avec le dit vicaire à soupper, et qu’ilz alassent en la dicte piece de terre, et que là les diz Jehan de Lavau et son frere se devoient rendre, ce que le dit Pequin lui accorda de faire. Et de fait alerent en la dicte piece de terre, où les diz Symon Lorin et Jehan de Lavau se vindrent rendre à eulx. Et adonc le dit Mery Lorin va dire à tous les diz autres supplians telles paroles ou semblables en substance : « Vous savez comment j’ay esté ainsi injurié, mutilé et batu par le pourchaz de Jehan Giraut. Il souppe avec le vicaire. Je vous prie, alons le guetter sur son chemin, quant il vendra en sa maison, et je lui feray semblablement qu’il m’a fait faire ». Et atant se partirent tous ensemble et alerent avec le dit Mery jusques en ung lieu appelé Champbrenault qui est entre petiz boys, et ilec les fist le dit Mery embuschier [à] l’orée d’un chemin, attendans quant le dit Girault vendroit. Et attendirent ilec quelque demye heure, et pour ce qu’il ne venoit point, ilz se mirent à chemin pour eulx en retourner ; et ainsi qu’ilz s’en retournoient, ilz oyrent bruit de gens, et adonc le dit Mery va dire : « Veez le cy venir », et se mist icellui Mery [ou milieu] du chemin. Et ainsi qu’il y estoit, [vit] le filz du dit Giraut qui venoit le premier contre le dit Mery, et demanda qui c’estoit, et le dit Mery respondit : « Mais toy ? » Et lors le dit filz l’attendit et dist telles parolles ou semblables : « Nous sommes mors ». Et le dit Jehan s’avança pour venir au cry de son dit filz. Et quant le dit Mery vit qu’il fut en son avantaige, il tira une espée qu’il avoit et en donna au dit Jehan Girault ung cop sur la teste, dont il cheut à terre, et en après le dit Mery lui donna ung autre cop ou deux par les jambes, et les diz autres supplians aussi frapperent sur lui, sans ce qu’ilz saichent proprement, pour ce que on ne veoyt goute, par quel endroit ce fut, et le batirent très fort et atant se departirent, [p. 238] non saichans qu’il fust mort, mais cuidans ne l’avoir que batu. Et toutesvoyes il leur a esté rapporté qu’il a esté trouvé tout mort en la place. Depuis lequel cas avenu, le dit Jehan de Lavau fut prins prisonnier et mené ès prisons de Chastellerault, de par le dit evesque de Poictiers, comme seigneur temporel et hault justicier du dit lieu de Thuré. Et le dit Mery fut tantost après aussi prins par ceste ville de Chinon, où il estoit venu vers nous pourchasser sa grace et remission et celle des diz autres supplians, et mis ès prisons du dit lieu de Chinon par le prevost de noz mareschaulx ; des quelles il a esté rendu au dit evesque de Poictiers, comme son clerc, qui de present le tient en ses prisons. Et sont les diz de Lavau et Lorin encores detenuz ès prisons du dit evesque de Poictiers, où ilz sont en dangier de finer miserablement leurs jours. Et les diz Simon Lorin et Pequin Pasteau s’en sont fouyz et absentez du pays, et n’y oseroient jamais repairer ne converser, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, si comme dient les diz supplians. Et pour ce nous ont iceulx supplians humblement supplié et requis que, attendu la mutilacion du dit Mery Lorin, la jeunesse de son dit frere, qu’il n’a que xx. ans, comme dit est, et aussi en pitié et compassion des femmes et enfans des diz autres deux supplians, et que jamais iceulx supplians ne aucuns d’eulx ne furent reprins, convaincuz ou condempnez d’aucun autre vilain cas, blasme ou reprouche, ains ont esté et sont en tous autres cas bien famez et renommez, nous leur vueillons sur ce impartir nosd. grace et misericorde. Pour quoy nous, inclinans à la supplicacion des diz supplians, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, etc., leur avons remis, quictez et pardonnez, etc. Si donnons en mandement par ces presentes à noz seneschal de Poictou et bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Et pour ce que les diz supplians, qui sont plusieurs, pourroient avoir à [p. 239] besoingner de ces presentes chascun à par soy et en divers lieux, nous voulons que au vidimus d’icelles, fait soubz seel royal, plaine foy soit adjoustée comme à l’original. Donné à Chinon, ou mois de janvier l’an de grace mil iiiic xlv, et de nostre regne le xxiiiie.

Ainsi signé : Par le roy, monseigneur le daulphin, le conte de Foix1, vous, l’arcevesque de Reims2, les srs de la Varenne, de Pressigny et de Maupas, et autres presens. Giraudeau. — Visa. Contentor. E. Duban.


1 Gaston IV comte de Foix et de Bigorre, né en 1423, fils aîné de Jean de Grailly, comte de Foix, et de Jeanne d’Albret, sa seconde femme, succéda à son père l’an 1436. Il prit part à la journée de Tartas (1442), fut en Guyenne lieutenant de l’armée royale, commandée par Dunois, et avec laquelle ils firent la conquête des villes de Dax, Bordeaux et Bayonne, l’an 1453. Gaston de Foix se distingua encore à la bataille de Castillon, gagnée sur les Anglais, où furent tués Talbot et son fils. Il mourut à Roncevaux, le 21 juillet 1472. (Voir H. Courteault, Gaston IV comte de Foix, un vol. in-8°, Toulouse, 1895.)

2 L’archevêque de Reims était alors Jacques Jouvenel des Ursins. Né le 14 octobre 1410, fils de Jean Jouvenel et de Michelle de Vitry (voy. ci-dessus, p. 171), archidiacre de Paris, président de la Chambre des comptes, il fut créé archevêque de Reims, après le décès de Renaud de Chartres, le 25 septembre 1444 ; il conserva ce siège jusqu’en 1449, et, le 5 septembre de cette année, fut nommé administrateur de l’évêché de Poitiers et du prieuré de Saint-Martin-des-Champs à Paris. Jacques Jouvenel mourut à Poitiers, le 12 mars 1457.