[p. 197]

MLXXII

Rémission accordée à Philippe Dandonelle, femme de Jean Meschinot, demeurant à Pouzauges, poursuivie par les officiers du lieu pour infanticide.

  • B AN JJ. 177, n° 26, fol. 14
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 29, p. 197-200
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue la supplicacion des parens et amis charnelz de Philippe Dandonelle, femme de Jehan Meschinot1, [p. 198] demourant à Pousauges, en nostre pays de Poictou, contenant que la dicte Philippe Dandonelle, qui oncques mais n’avoit esté mariée, fut conjoincte par mariage avec le dit Jehan Meschinot, environ la feste de Nostre Dame de my aoust derreniere passée, et combien que, au temps dudit mariage et bien long temps paravant, la dicte Philippe feust grosse et enxaincte d’enfant, et d’autre homme que dudit Jehan Meschinot, neantmoins elle le tint si couvertement que oncques le dit Jehan Meschinot n’en sceut ne n’en apparceut aucune chose, tant pour la honte et vergongne qu’elle craignoit encourre du peuple, que aussi par la malice qu’elle doubtoit que lui en donnast ou peust donner son dit mary, et en cestui point se tint si couvertement, jusques au mardi après la feste de Toussains ensuivant et derrenierement passée, que elle, estant ou lict en la compaignie de son dit mary, par devers le soir, qu’il fut endormy, enfanta d’une fille au desceu de son dit mary, la quelle incontinant elle la baptiza au mieulx qu’elle peut ; et ce fait, pour le doubte et craincte qu’elle avoit de son dit mary, honte et vergongne de ce qu’elle estoit nouvellement mariée, et pour cuider couvrir son forfait, print l’enfant à travers à une de ses mains à la teste et de l’autre à la gorge et telement qu’elle le occist. Et ceste chose fist en telle maniere que son dit mary n’en sceut riens, jusques à ce que aucuns [qui] avoient sceu secretement ou autrement, paravant ou après ledit mariage, qu’elle estoit enxaincte et presque preste d’accoucher, et se merveillerent bien comment elle estoit ainsi delivrée et que estoit devenu sa grosse. Pour laquelle cause, la dicte Philippe fut prinse par [p. 199] les gens et officiers du seigneur dudit lieu de Pousauges2, et mise en leurs prisons, enquise et interroguée sur ledit cas, ainsi qu’ilz virent à faire ; la quelle, après plusieurs interrogatoires et questions qu’elle avoit fait de la dicte grosse, leur dist et confessa le dit cas estre avenu et avoir esté fait par la maniere devant dicte. Et combien que la dicte femme soit jeune femme, de bonne et honneste conversacion en tous autres cas, et sans oncques mais en avoir esté actaincte ne convaincue, et que son dit mary l’ait tousjours eue et ait en très grant amour, non obstant le cas dessus dit, sur l’esperance qu’il a que le temps avenir elle lui soit bonne et loyalle femme, toutesvoyes les gens et officiers dudit lieu de Pousauges pour le dit cas l’ont detenu et detiennent prisonniere à grant povreté et misere de son corps, et en grant dangier de miserablement finer ses jours, se nostre grace et misericorde ne lui sont sur ce imparties, requerans humblement ses diz parens et amis charnelz que, veu sa jeunesse et que en tous autres cas elle s’est bien et preudommement gardée et gouvernée, et l’amour et alience qui, non obstant le dit cas, est entre elle et son dit mary, il nous plaise lui remettre et pardonner le [p. 200] dit cas et sur ce lui impartir nostre grace. Pour quoy nous, voulans misericorde estre preferée à rigueur de justice, à la dicte Philippe Dandonelle avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou et du Maine, seneschal de Poictou, gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Nancey en Lorraine, ou mois de janvier l’an de grace mil cccc. quarante et quatre, et de nostre regne le xxiiime.

Ainsi signé : Par le conseil. Chaligaut. — Visa. Contentor. Ja. de la Garde.


1 M. Vallet de Viriville, dans un article de la Nouvelle biographie générale sur le poète français Jean Meschinot, auteur de satires contre Louis XI, grand-maître d’hôtel et poète d’Anne de Bretagne (né vers 1415, mort le 12 septembre 1491), a proposé l’identification de ce personnage avec notre Jean Meschinot, de Pouzauges, et il donne en note un résumé des présentes lettres de rémission, avec commentaires (t. XXXV, p. 140). Récemment M.A. de La Borderie a combattu les conclusions de son devancier et démontré que le poète Meschinot était fils de Guillaume, seigneur des Mortiers, fief situé en la paroisse de Monnières et relevant de la baronnie de Clisson. « Cette situation des Mortiers bien constatée, dit-il, confirme pleinement l’extraction bretonne de notre poète, sa résidence originelle et constante au pays nantais, et coupe court par conséquent aux tentatives d’assimilation qu’on a voulu faire entre lui et un Jean Meschinot, originaire du Poitou (cette origine n’est pas affirmée dans la rémission), possessionné et domicilié à Pouzauges, lequel eut en 1444 des aventures conjugales fort peu enviables. Nulle preuve même que ce Meschinot et le nôtre fussent de la même famille. » (Jean Meschinot, sa vie et ses œuvres, ses satires contre Louis XI, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, t. LVI, 1895, 1re livraison, p. 104.)

2 Après l’exécution de Gilles de Raiz (26 octobre 1440), qui était seigneur de Pouzauges du chef de Catherine de Thouars, sa femme, celle-ci se remaria avec Jean II de Vendôme, chevalier, vidame de Chartres, auquel elle apporta ladite seigneurie. Ce Jean de Vendôme est qualifié seigneur de Pouzauges dans deux actes, l’un du 26 mai 1447, l’autre du 21 octobre 1452, relatifs à un différend qu’il eut avec l’abbé et les religieux de la Grenetière, à l’occasion d’une rente de cinquante setiers de blé, léguée à ladite abbaye par feu Marie de Thouars, dame de Pouzauges, sœur de Catherine, sur la châtellenie de Beaurepaire. (Coll. dom Fontenau, t. IX, p. 301, 303.) Du premier lit, Catherine de Thouars n’avait eu qu’une fille, Marie de Laval, dame de Raiz, qui épousa : 1° Prégent de Coëtivy, sr de Taillebourg, amiral de France ; 2° André de Laval, sr de Lohéac, aussi amiral et maréchal de France, et mourut le 1er novembre 1458, sans laisser d’enfants. De son second mariage, la dame de Pouzauges, qui vivait encore en 1460, eut un fils et une fille. Jean III, vidame de Chartres, bailli de Berry, fut seigneur de Pouzauges après la mort de son père et de sa mère ; il décéda postérieurement au 24 février 1482 n.s. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. III, p. 632.)