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MCCLXVIII

Rémission accordée à Jean Boucault, franc-archer de l'ordonnance, paroissien de Veniers, coupable du meurtre de Jean Tiffault, curé dudit lieu, qui, dans une discussion d'intérêt dégénérée en rixe, l'avait attaqué à coups de pierres.

  • B AN JJ. 183, n° 115, fol. 86 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et advenir, nous avoir receu l'umble suplicacion de Jehan Boucault, nostre franc archier, parroissien et demourant ou vilage de Venez, contenant que, le lendemain de la feste Nostre Dame my aoust, ledit supliant, venant de la feste de Loudun, en la compaignie de Pierre Guerin, prieur dudit lieu de Venez1, trouva Jehan Tiffault, prebstre, lors curé dudit lieu de Venez, assis ou cymetière d'icelluy lieu de Venez, auquel curé il dist telles parolles ou semblables : «  Monsieur le curé, vous mangez tout le poisson qui est en nostre fossé, duquel je doy avoir [p. 2] la moitié, dont je ne suis pas bien contempt ». Et lors ledit curé luy fit responce qu'il avoit exploité par an et par jour et qu'il n'y auroit aucune chose. Auquel curé ledit supliant respondy: « Si auray, s'il vous plaist, ou je le feray mourir de soif. » Lequel curé respondy incontinent audit supliant que autant qu'il en despeceroit que il en referoit. Lequel supliant, incontinent après lesdictes parolles dictes, ala ou prieuré dudit lieu de Venez querir une tranche2 et se mist en pourpoint, et s'en ala au lieu dont estoit ledit debat qui est bien près et dessoubz l'eglise dudit lieu de Venez ; et commença à rompre le cours de l'eaue qui passoit parmy la terre dudit supliant, laquelle abuvroit et nourrissoit ledit poisson. Et incontinent vint ledit curé audit supliant et luy dist : « Tu as beau rompre, car autant que tu en rompras j'en feray, avant qu'il soit mynuyt ». Et sans plus atendre, ledit curé, meu de mauvaise voulenté et sans vouloir user de voye de justice, prinst plusieurs pierres et cailloux en sa main et les getta contre ledit supliant qui estoit en ladicte terre, de deulx desquelles pierres il fut frapé, et tellement qu'il cheut à terre. Lequel curé, incontinent qu'il [le] vyt cheut, s'en vinst à luy et le tinst par long temps soubz luy; mais ledit supliant, qui estoit garny d'une dague, se commença fort à remuer et revenir tellement qu'il se mist hors de dessoubz ledit curé ; lequel curé le frapoit tousjours de pierres sur la teste et sur le visage, et tant qu'il le vilena et oultraga très fort de sa personne. Et quant icelluy curé fut hors de dessus icelluy supliant, ledit supliant, tout esmeu et blecé, tira sa dague en tousjours combatant et soy deffendant dudit curé qui tousjours le tenoit au corps, dont icelluy supliant ne se povoit despescher, en jurant icelluy curé la char Dieu et la teste Dieu qu'il tueroit icelluy supliant. Et se commença ledit curé à baisser pour cuider derechef mettre [p. 3] à terre ledit supliant, mais icelluy supliant en soy deffendant et combatant, comme dessus est dit, dudit curé, le frapa ung cop seullement dessus la teste, duquel cop ledit curé ala tantost après de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit supliant s'est absenté du pays, ouquel il ne oseroit jamais retourner, demourer ne converser, se nostre grace et misericorde ne lui estoit sur ce impartie ; en nous humblement requerant que, atendu que ledit curé a esté le premier agresseur et que le cas advint en soy deffendant, et que en tous autres cas il a esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, etc., nous luy veuillions impartir nostre dicte grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit supliant ou cas desdusdit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, à nostre bailly de Touraine et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Paris, ou moys de may l'an de grace mil iiiic lvi, et de nostre règne le xxxiiiime.

Ainsi signé : Par le conseil, Tarenne. — Visa. Contentor. N. Aymar.


1 Le prieuré et la cure de Notre-Dame de Veniers dans l'archidiaconé de Loudun dépendaient de l'abbaye Saint-Florent de Saumur. Le prieuré jouissait, au XVIIe siècle, d'un revenu de 800 livres. (Beauchet-Filleau, Pouillé du diocèse de Poitiers, p. 427.)
2 Ce mot signifiait à la fois bêche et divers autres outils pour trancher. (F. Godefroy, Dict. de l'anc. langue française.)