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MCCCXXIII

Rémission accordée à Perrot de La Lande, écuyer, fils de Jean de La Lande, seigneur de Lage-Compeau, poursuivi comme complice du meurtre de Guillaume Arnault.

  • B AN JJ. 188, n° 187, fol 94
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Perrot de La Lande, escuier, filz de Jehan de La Lande, aussi escuier, seigneur de Lage Com- [p. 195] peau1 chargié de jeune femme et d'enfans, contenant que, puis certain temps ença, ung nommé Guillaume Arnault, qui estoit homme yvroigne et de vie dissolue, fist tant avec Simon Arnault, son oncle, qu'il se donna à luy pour la provision de son corps, combien que icelluy Simon eust de beaux enfans, et à cause d'icelluy sesdiz enfans le laissèrent et habandonnèrent et s'en alèrent demourer à part de leur dit père. Après laquelle donnacion ainsi faicte pour provision de corps, ledit Guillaume Arnault qui, comme dit est, estoit yvroigne et de dissolue vie, laissa courir les arreraiges des rentes et devoirs qui estoient deues sur les heritaiges d'icelluy Simon, donnateur, et tellement que à l'occasion d'iceulx arreraiges on emporta tout le blé dont devoit vivre ledit Simon et sa femme, et ne demoura chez luy que environ deux sextiers de meil ; mais ce non obstant et que, par le moien de ladicte donnacion, icelluy Guillaume Arnault fust tenu de nourrir et alimenter ledit Simon, icelluy Guillaume, ung certain jour du mois de septembre derrenier passé, se transporta à heure de nuyt à l'ostel dudit Simon et dist qu'il vouloit [p. 196] emporter ledit meil ; lequel Simon luy dist que non feroit et qu'il n'avoit autre chose de quoy vivre, et que, quant il n'en auroit point, il seroit tenu de le nourrir ; et eurent lors plusieurs grosses parolles ensemble, et tellement que ledit Guillaume commença à frapper sur icelluy Simon. Et lors la femme dudit Simon s'en ala à l'ostel de Jehan Arnault, filz dudit Simon et d'elle, et luy dist que ledit Guillaume batoit son père et vouloit emporter leur meil et qu'il renyoit Dieu et faisoit grant noise à leur hostel ; lequel Jehan qui n'osoit aler à l'ostel de son dit père, pour la craincte qu'il avoit dudit Guillaume, s'en ala en l'ostel dudit suppliant, qui estoit près d'ilec, et appella, par ce qu'il souppoit, et parla à ung des varletz d'icelluy suppliant et luy dist qu'il voulsist dire audit suppliant, son maistre, que ledit Guillaume Arnault estoit en leur maison et qu'il batoit son père, en luy suppliant qu'il y voulsist aler. Lequel suppliant dist qu'il yroit voulentiers après quil aroit souppé ; et de fait, incontinent qu'il eut souppé, il se mist à chemin avec ledit Jehan Arnault et ung sien varlet, et s'en ala à l'ostel dudit Simon Arnault, sans avoir aucun baston que une dague qu'il a acoustumé de porter. Et quant luy et sondit varlet et aussi ledit Jehan furent près ledit hostel, ilz escoutèrent et oirent qu'on faisoit grant bruit en icelluy, et que ledit Guillaume, qui avoit emmené une beste, vouloit emmener ledit meil ; et lors se mirent oudit hostel en une chambre, pour escouter que icelluy Guillaume Arnault fairoit, et tantost après ledit Guillaume qui avoit une javeline voult entrer en ladicte chambre où estoit ledit suppliant, et mist le bout de sadicte javeline qui estoit barbelée devers le manche dedens la porte de ladicte chambre ; et lors icelluy suppliant la print et saulta dehors, et du plat de sa dague donna ung coup par la joue dudit Guillaume, tellement quil luy fist saillir deux dans. Et après icelluy Guillaume s'en cuida fouir, mais ledit suppliant l'ataigny et luy donna trois [p. 197] coups de ladicte dague par une jambe, dont il fut fort blecié, en luy disant que, s'il retournoit plus pour faire ilec tel debat qu'il avoit fait, qu'il l'en chastiroit tellement qu'il luy en souviendroit toute sa vie. Et adonc survindrent lesdiz Simon Arnault et Jehan, son filz, qui avoient chacun ung grant pal au col, et incontinent qu'ilz furent arrivez, commencèrent à frapper sur ledit Guillaume et luy donnèrent plusieurs coups, combien que ledit suppliant le deffendoit de tout son povoir, en luy disant : « Va t'en » ; mais il ne vouloit s'en aler et fut très fort batu par lesdiz père et filz, et eut plusieurs coups avant qu'il s'en voulsist aler ne partir d'ilec ; et après s'en ala à l'ostel dudit Simon et se mist sur ung lit, mais lesdiz Simon et son filz le suivirent tousjours et s'efforçoient de l'envillener et luy tirer les yeulx, et tellement que ledit suppliant, qui estoit dehors dudit hostel et cuidoit qu'on ne lui touchast plus, oy le cry que fist ledit Guillaume et entra en icelluy hostel et les empescha et garda qu'il ne luy touchassent plus, et osta audit Jehan ung baston qu'il tenoit, en luy disant que s'il luy touchoit plus, qu'il le courrouceroit. Lequel luy promist que non feroit il. Et lors ledit Guillaume s'en party dudit hostel, pour s'en aler au lieu du Dorat, dont il estoit ; et incontinent qu'il fut à chemin, icelluy Jehan, non obstant qu'il eust promis audit suppliant qu'il ne luy toucheroit plus, le suyvi ; laquelle chose veant, ledit suppliant, doubtant que icelluy Jehan le tuast d'un grant baston qu'il avoit, courut après pour le garder, mais avant qu'il les peust aconcevoir, ledit Jehan donna plusieurs coups audit Guillaume dudit baston, tellement qu'il estoit cheu à terre. Et quant il fut arrivé, il garda icelluy Jehan qu'il ne le frappast plus. Et après lesdiz suppliant, Simon et Jehan Arnault le prindrent et emportèrent devant l'ostel d'icelluy Simon et le misdrent sur de la paille et le couvrirent fort, et luy lava ledit suppliant les mains et le visaige d'eaue chaulde ; et tantost après s'en ala icelluy [p. 198] suppliant en son hostel, et fut ledit Guillaume mis ou lit; et cinq ou six jours après, icelluy Guillaume, par faulte de gouvernement ou autrement, est alé de vie à trespassement. A l'occasion duquel cas ainsi advenu que dit est, et aussi que autresfois ledit feu Guillaume avoit eu seureté judiciaire dudit suppliant, combien que depuis ilz se feussent appoinctez et beu et mangié ensemble, icelluy suppliant, doubtant rigueur de justice, s'est absenté du païs et a habandonné son père et ses femme et enfans, et n'oseroit jamais retourner, se nostre grace et misericorde ne luy estoient imparties, ainsi qu'il nous a fait dire et remonstrer, en nous humblement requerant que, attendu ce que dit est, que ledit feu Guillaume estoit homme de perverse vie, noiseux et rioteux entre ses voisins, et qu'il est vraysemblable à croire qu'il ne mouru point pour les coups que luy donna ledit suppliant, car il ne le frappa que par la jambe et en la joue du plat de sadicte dague, et depuis le deffendi de tout son povoir des autres dessusdictz, mais il ne peut oncques tant faire qu'ilz ne luy baillassent plusieurs coups de gros bastons qu'ilz avoient, que en tous autres cas ledit suppliant s'est bien et doulcement gouverné, sans oncques avoir esté actaint d aucun villain cas, blasme ou reprouche, qu'il nous a servy ou fait de noz guerres, tant au recouvrement de noz païs et duchiez de Normandie et de Guienne que autrement, en maintes manières, et que plusieurs de ses predecesseurs et parens sont alez de vie à trespassement en nostre service, et aussi que ledit feu Guillaume estant en sa maladie, à cause de ce que dit est, a dit qu'il ne mouroit point de coups que luy avoit baillez icelluy suppliant, il nous plaise nosdictes grace et misericorde luy eslargir. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant, en faveur de sesdiz femme et enfans et aussi desdiz services, avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, [p. 199] à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers et officiers, etc. Donné à Chinon, ou mois d'octobre l'an de grace mil cccc. cinquante neuf, et de nostre règne le xxxviiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. De Puigiraut. —Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Cette seigneurie est dite ailleurs Lage-Contaut. Elle appartenait à une branche cadette de la famille de La Lande, les seigneurs de Busserolle. Pierre ou Perrot de La Lande, seigneur de Busserolle, fils et héritier de Pierre III et d'Alix d'Avaroux, fille d'Etienne d'Avaroux, qui possédait un fief à Limalonges et d'autres héritages en la châtellenie de Civray, l'an 1418 (Arch. nat., P. 1144, fol. 60 v°), fut père de Guyot de La Lande, qui épousa Marguerite du Plessis et eut deux fils : Jacques, seigneur de Busserolle, et Jean, seigneur de Lage-Contaut, celui qui obtint ces lettres de rémission d'octobre 1459. Le 14 mars 1452, noble homme Jean de La Lande, écuyer, sr de Lage-Contaut, et Pierre d'Allemotin, écuyer, sr de Mays, arrentèrent à perpétuité à Colin Bonaventure le lieu et hôtel de la Journaudière, fief noble relevant de la seigneurie de Bagneux près Persac, à hommage-Iige et au devoir d'une paire d'éperons blancs de la valeur de deux sous six deniers, et consistant en un hébergement avec cens, rentes, maisons, terres, prés, bois, vignes, landes, etc. Le 17 janvier 1486, noble homme Perrot de La Lande, fils du précédent, seigneur de Lage-Contaut et de la Journaudière en partie, et damoiselle Marguerite Bonnin de Messignac, sa femme, firent également un arrentement à Bagneux. (M. le baron d'Huart, Persac et la châtellenie de Calais, Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, année 1887, p. 319 et 418.)