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MCCCXL

Rémission octroyée à Louis Blanchart, préposé de l'abbaye au passage de Moreilles, prisonnier audit lieu pour le meurtre de Jean Bénart, marchand de Sigournay.

  • B AN JJ. 190, n° 190, fol. 105
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Lois Blanchart, filz de Jehan Blanchart, povre jeune homme de labour, de l'aage de vint et six ans ou environ, contenant que puis aucun temps ença les religieux, abbé et convent de Pabbaie de Moureilles1 ou diocèse [p. 266] de Maillezais2 acuillèrent à varlet et serviteur ledit Blanchart, à estre passager et les servir en cellui office et autrement à certain port et passaige qu'ilz ont audit lieu de Moureilles, où les marchans du païs de Poitou passent pour aller à la Rochelle ; lequel suppliant estant, ung certain jour puis six sepmaines ença, audit port pour passer les passans, vit de loing venir de devers la Rochelle cinq ou six marchans, avecques leurs chevaulx chargez de fer et autres marchandises, tirans vers ledit port, comme il sembla audit suppliant ; et quant ilz furent à demy quart de lieue ou environ dudit port, il apperceut qu'ilz prindrent ung chemin qui tiroit droit à passer par la chenau le roy, où il n'y a point de passage ne de chemin où l'on ait acoustumé de passer, en delaissant ledit port. Pourquoy ledit suppliant tira vers lesdiz marchans tant qu'il peut et parla à eulx, ainsi qu'ilz s'efforçoient de passer, avec lesdiz chevaulx et marchandises par ladicte achenau, laquelle lesdiz religieux, abbé et convent dudit lieu de Moureilles et phasieurs autres gens d'eglise et autres sont tenuz de tenir en estat et repparacion deue et convenable pour la tuicion et garde du bien publique du païs, et leur dist et remonstra par doulces parolles que illec où ilz vouloient passer n'y avoit point de chemin ne de passage ne acoustumé de y en avoir en saison et temps quel qu'il soit, et que à y faire chemin et passaige ce seroit à destruire et desmolir ladicte achanau, qui est faicte et tenue en point pour recevoir les eaues qui y abondent, pour ce que c'est païs de marais, où toutes eaues du païs se abreuvent ou temps d'iver et par chacun an decourent par ledit achenau à la mer qui est près d'illec. Lesquelz marchans, entre lesquelz estoit ung nommé Jehan Benart, s'eslevèrent contre ledit suppliant et jurèrent le sang Dieu plusieurs fois qu'ilz [p. 267] passeroient par ladicte achenau et ne laisseroient point [pour] lui. Et ledit suppliant jura semblablement qu'ilz n'y passeroient point et qu'ilz viendroient passer audit passaige, où ilz avoient acoustumé de passer. Et lors les aucuns d'iceulx marchans prindrent des barres de fer dont estoit chargez lesdiz chevaulx et les autres prindrent d'autres bastons, et en jurant comme dessus disoient que, voulsist ou non ledit suppliant, ilz passeroient par ledit achenau, en donnant plusieurs menaces audit suppliant, si se mettoit au davant d'eulx et deleursdiz chevaulx, qu'ilz le batroient et villeneroient du corps, comme ilz s'efforçoient faire. Pour lesquelles menaces, ledit suppliant se contregarda d'eulx au mieulx qu'il peut, combien qu'il feust tout seul, et se deffendit très fort, pour ce que lesdiz marchans estoient fort esmeuz contre lui, et en se deffendant frappa d'une forche qu'il tenoit en ses mains, dont il boutoit le vesseau audit port, l'un desdiz marchans, ne scet lequel, mais ledit Benart print ladicte forche et la tint très fort, tellement que ledit suppliant ne la lui povoit oster. Ce voiant, icellui suppliant, doubtant que lesdiz autres marchans, compaignons dudit Benart, le blessasse ou feissent pis, tira ung sien cousteau qu'il avoit au cousté, pendant à sa sainture, qui estoit de longueur d'un pié et demy ou environ, et en frappa ung coup ledit Benard en ung des bras et le blessa, ne scet en quelque (sic) part, mès en yssit grant effusion de sang, et après ledit suppliant laissa aller ladicte forche audit Jehan Benard. Et quant ledit Benard se vit ladicte forche, il s'efforceoit de courir sus audit suppliant, non obstant qu'il feust blecié comme dit est. Et alors ledit suppliant cria à l'aicle à haulte voix, en soy recullant et fuyant en arrière, pour doubte de sa personne et que ledit Benard et ses compaignons marchans ne le tuassent ou feissent desplaisir. Auquel cry survint ung nommé Macé Compaignon, aussi commis audit passaige de Moreilles, tenant une autre forche que print ledit [p. 268] suppliant pour se deffendre et resister contre lesdiz marchans, qui le suivoient très fort et de près pour lui faire desplaisir et dommaige, et de ladicte forche icellui suppliant frappa sur l'un desdiz marchans, ne scet sur lequel, tellement qu'il rompit ladicte forche. Et pendant ce que lesdiz marchans et ledit suppliant estoient illec à eulx combatre comme dit est, survint ung des religieux de ladicte abbaye de Moreilles, nommé frère Pierre Berry, qui les blasma de ce qu'ilz faisoient et les seppara, et fist tant avecques ledit suppliant qu'il gecta la partie dudit forche rompu, qu'il avoit entre ses mains. Alors ledit Benart, qui estoit blessié, s'esbayt pour ce qu'il avoit perdu du sang largement pour ladicte playe et blesseure, requist confession audit religieux, lequel Poyt de confession, et après ledit Benard, marchant blessié, et sesdiz compaignons alèrent passer audit port de Moureilles, et les passèrent lesdiz religieux et Macé, et eulx ainsi passez, fut ledit Benard mis sur ung cheval par sesdiz compaignons et mené jusques au lieu du Maigny, où illec il fut pancé par ung barbier et d'illec fut mené par ses parens et amis à son hostel ou lieu de Sigornay, où il estoit demourant. Après, par faulte de bon gouvernement ou autrement, est, quatre ou cinq jours après, allé de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant a esté constitué prisonnier ès prisons dudit lieu de Moreilles, par les gens de la justice, et illec estroictement tenu ; et doubte que l'on vueille proceder contre lui rigoureusement, par pugnicion corporelle ou autrement, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, si comme il dit, requerant humblement que, attendu ledit jeune aage dudit suppliant, que ledit cas est avenu de chaude colle en corps deffendant et gardant le droit dudit passaige et que en tous autres cas il a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actaint ne convaincu d'aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, il nous [p. 269] plaise lui impartir nosdictes grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant ou cas dessusdit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers et officiers, etc. Donné à Bourges, ou mois de novembre l'an de grace mil iiiic soixante, et de nostre règne le xxxixme.

Ainsi signé : Par le roy, a la relacion du conseil. Froment. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Moreilles ou Moureilles, paroisse Sainte-Radegonde-des-Marais. L'abbaye royale, fille de Clairvaux, placée sous le patronage de Notre-Dame, existait dès l'an 1109 et valut à un moment jusqu'à 20.000 livres de revenu. Ruinée pendant les guerres de religion, son église fut reconstruite, en 1699, par Denis Gédouin, prieur de Moreilles. Il ne reste plus de cette abbaye qu'un vaste enclos, un mur de l'église et les écuries. En 1459, l'abbé était Guillaume II, que la Gallia christiana ne nomme même pas et sur lequel M. l'abbé Aillery, qui le cite, ne donne aucun autre renseignement que cette date. (Pouillé des diocèses de Luçon et de Maillezais, p. 141.)
2 Le copiste du registre a écrit « Mellerans » au lieu de Maillezais.