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MCCCLXI

Lettres de ratification des statuts et règlement du métier de tailleur et pourpointier en la ville de Poitiers1.

  • B AN JJ. 198, n° 290, fol. 252 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l'umble supplicacion des maistres jurez du mestier de tallenderie, pourpointerie et autres garnimens et habiz en nostre ville et cité de Poictiers, contenant que, puis certain temps ença, à l'occasion de plusieurs plaintes qui venoient des faultes et abuz qui se faisoient audit mestier par ceulx qui se entremettoient et leurs varletz et serviteurs, et aussi pour les debatz qui chascun jour survenoient entre les maistres d'icellui mestier, pour ce qu'ilz prenoient les varletz et apprentis les [p. 336] ungs des autres, sans avoir regard s'ilz avoient parachevé leur service, furent faictes et advisées, pour le bien de la chose publicque de ladicte ville, par les maire, bourgoys et eschevins d'icelle, certains statuz et ordonnances dont lesdiz supplians ont jusques à present usé et usent ; desquelz statuz et ordonnances la teneur s'ensuit :

Les maire, bourgoys et eschevins de la ville de Poictiers, à tous ceulx qui ces presentes lettres verront et orront, salut. Comme plusieurs plaintes et clameurs nous aient pieça esté faictes et encores nous viennent de jour en jour des faultes et habuz qui se sont faiz et commis, font et commettent de jour en jour, en l'office et mestier de taillanderie, pourpoincterie et autres garnimens et habiz en ladicte ville de Poictiers par ceulx qui exercent ledit office et mestier, tant par faulte et coulpe des varletz et autres non espers oudit mestier, qui soubz umbre des maistres d'icellui besongnent et ouvrent oudit mestier, et aussi que plusieurs debatz ont esté et sont souvent entre les maistres dudit mestier, pour ce qu'ilz prennent les varletz et apprentiz les ungs des autres, sans avoir regard si lesdiz apprentiz ont finy et parachevé le temps par eulx promis à leursdiz maistres ; savoir faisons que nous, pour ces causes et autres touchans le bien publicque, voulans pourveoir aux choses dessus dictes, ainsi que à nous appartient, affin que ou temps avenir aucunes clameurs, plaintes, pertes et dommaiges ne s'en puissent ensuir en la chose publicque de ladicte ville, par l'advis et deliberacion de Perrin Apostelle, Mathurin Regnault, Jehan Garzouyn, Jehan Ragueau, Jehan Toupinet, Guillaume Georget, Guillaume Nau et plusieurs autres, François Frapperot, Macé Renouart et Michau Jaliet, maistres dudit mestier, par nous sur ce appeliez, et après ce que par serement et autrement les avons deuement interroguez sur le fait et gouvernement dudit mestier et comment icellui mestier, ou temps avenir, pourra prouffitablement et deuement estre gouverné au [p. 337] bien et prouffit de la chose publicque de ladicte ville, après ce qu'ilz ont donné leur consentement, avons fait et ordonné oudit mestier les statuz et ordonnances qui s'ensuivent :

1. Et premierement, que à la garde et visitacion dudit mestier seront esleuz, commis, depputez et ordonnez par chacun an, en chacune feste de Trinité, par les maistres dudit mestier, quatre souffisans preudes homs maistres jurez dudit mestier, lesquelz incontinant après seront tenuz venir faire le serement à nous dit maire de ladicte ville ou à noz successeurs ou commis, de bien, justement et loyaument garder et visiter ledit mestier et les poincts et articles cy après declairez, sans enfraindre. Et pour ceste presente année ont esté esleuz par lesdiz maistres dudit mestier lesdiz Savoye, Deremin,Tristant et Yvonnet, lesquelz incontinant après nous ont fait le serement en tel cas acoustumé. Et auront lesdiz maistres jurez totale visitacion sur l'ouvraige dudit mestier, circonstances et deppendances d'icellui par toute ladicte ville de Poictiers et faulxbourgs d'icelle, et tantost après seront tenuz rapporter par leurs seremens à nous dit maire et à nosdiz successeurs ou commis toutes les forfaictures, abuz et mesprentures qu'ilz trouveront estre commises ou faictes en icellui mestier.

2. Item, que nul vacabunt, en ladicte ville demourant ne ès faulxbourgs d'icelle, ne puisse lever establée ou ouvrouer ne tailler garnimens, jusques à ce qu'il ait esté examiné par lesdiz maistres jurez, esprouvé, experimenté de tailler et présenté à nous dit maire et à nosdiz successeurs ou commis, pour faire le serement, se ce n'est le taillandier du roy nostre sire ou les taillendiers des seigneurs de son sang, eulx estans en ladicte ville ; car autrement pour convoitise de gaingner, aucuns pourroient entreprendre besongne en laquelle ilz gasteroient et diffameroient les draps et vestemens, et de ce ne pourroient faire restitucion, [p. 338] qui reddonderoit au vitupère dudit mestier et deshonneur des autres bons ouvriers d'icellui, et au grant prejudice et dommaige de la chose publicque. Et qui fera le contraire, paiera ung solz d'amende à applicquer, la moitié à ladite ville et moitié à la confrairie dudit mestier. Laquelle confrairie les maistres tallendiers et ouvriers dudit mestier veulent et entendent constituer et ordonner en honneur et reverance de Dieu et de la Sainte Trinité en ceste dicte ville de Poictiers, en l'esglise des Frères Prescheurs, en la chappelle de Sainte Marguerite. Aussi paiera cellui qui fèra le contraire deux solz six deniers ausdiz maistres jurez, tant pour les povres d'icellui mestier que pour les paines et salaires desdiz jurez ouvriers qui prendront plusieurs peines et travaulx pour le fait d'icellui mestier, que aussi pour l'absolucion d'aucuns d'icellui mestier qui par povreté n'auroient de quoy vivre et pourroient cheoir en sentence d'excomenge ou autrement.

3. Item, que aucun ouvrier d'icellui mestier, pour achever garniment ne autrement... 2 exceptée la besongne de nosdiz seigneurs et dames du sang royal, et robbes d'osèques de trespassés et des nopces, ou qu'il convient besongner neccessairement pour estressir ou eslargir ung garniment qui par avant fust fait et parfait. Et qui fera le contraire, il paiera deux solz six deniers à ladicte ville d'amende, deux solz six deniers à ladicte confrairie et deux solz six deniers ausdiz maistres. Et s'il est varlet, il paiera douze deniers à ladicte ville et douze deniers à ladicte confrairie. Et s'il advenoit que aucun maintenist que fust pour nosdiz seigneurs ou dames, pour nopces ou pour obsèques de trespassez, et l'en trouvoit le contraire, il paiera le double et l'amende.

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4. Item, que aucuns varletz ne puissent demourer ne aler ne ouvrer hors d'avecques leurs maistres, sans leur congié, jusques à ce qu'ilz aient achevé leur terme et temps promis à leursdiz maistres et chacune besongne par eulx commencée, sur paine de soixante solz d'amende, à appliquer moitié à ladicte ville et moitié à ladicte confrairie et cinq solz aus diz jurez, et en oultre sur peine de interdicion de non ouvrer dudit mestier en ladicte ville et faulxbourgs, tant qu'ilz aient repparé les faultes dessus dictes ; de quoy lesdiz maistres seront tenuz de advertir lesdiz varletz, et des autres ordonnances dudit mestier, quant ilz viendront en leur service.

5. Item, que aucun ouvrier dudit mestier ne puisse ne doyve fortraire, ne mettre en euvre en ladicte ville et faulxbourgs, les varletz et apprentiz d'aucun maistre, sans son congié et licence et jusques à ce qu'il ait achevé son service et besongne par lui commencée, sur peine de cent solz d'amende, à applicquer moitié à ladicte ville et moitié à ladicte confrairie.

6. Item, que si aucun taillandier de robbes ou d'autres garnimens, en ladicte ville ou faulxbourgs, mestaille aucune robbe ou garniment, pour mal ordonner le drap ou par l'ingnorance de sa taillé, il repparrera le dommaige à celluy à qui appartiendra ladicte robe ou garniment, et en paiera deux solz six deniers d'amende à ladicte ville et deux solz six deniers à ladicte confrairie, et deux solz six deniers ausdiz maistres jurez pour leur visitacion.

7. Item, que nul ne mette layne ou estouppes en pourpoint ou doublet quil face pour vendre. Et qui fera le contraire, le pourpoint ou doublet sera ars et paiera deux solz six deniers à ladicte, deux solz six deniers à ladicte confrairie et douze deniers ausdiz maistres jurez.

8. Item, que chacun desdiz maistres et ouvriers puissent tailler et faire pourpoint ou doubletz qu'il face pour [p. 340] vendre à ceulx qui vouldront et les en requerront de telles estofïes comme ilz bauldront.

9. Item, que aucun maistre ou ouvrier dudit mestier ne puisse mettre hors de sa main les garnemens ou ouvraiges qui lui seront baillez pour empruncter argent dessus ne autrement les engaiger, sur peine de dix solz d'amende à applicquer comme [dessus].

10. Item, quant aucun ouvrier dudit mestier sera trouvé habillé et souffisant pour estre maistre, et il le requerra estre, lesdiz maistres jurez seront tenuz de le mener et présenter à nous dit maire ou nosdiz successeurs ou commis à ce, pour d'icellui recevoir le serment de justement entretenir et acomplir sans enfraindre les ordonnances et statuz dudit mestier ; ou autrement il ne sera pas repputé maistre3.

11. Item, et quant aucun des maistres dudit mestier yront de vie à trespassement, tous les autres maistres d'icellui seront tenuz d'aler à leur enterrement, en leur faisant savoir, sur peine d'une livre de cire, à applicquer à ladicte confrairie.

Si donnons en mandement aux maistres jurez dudit mestier, par nous pour ce ordonnez, et à chascun d'eulx, si comme à lui appartiendra, que [entretiennent] les dictes ordonnances ainsi par dessus devisées, [et du] consentement desdiz maistres dudit mestier qui les ont promis garder et tenir sans enfraindre, nous les avons fait publier, affin que aucun ne pretende cause d'ignorance, et à icelles avons fait mettre et apposer nostre seel. Donné et fait en la court ordinaire de l'eschevinage de Poictiers, tenue audit lieu, le xxixe jour de juing l'an mil cccc. cinquante et huit. [p. 341] Ainsi signé : M. Arembert4, Herbert, procureur5, et Jehan Touchant6, pour registre.

Et pour ce que iceulx statuz et ordonnances n'ont encores esté par feu nostre très chier seigneur et père, que Dieu absoille, ne par nous octorisées ne approuvées, se sont lesdiz supplians lirez par devers nous, en nous humblement requerant iceulx statuz et ordonnances avoir agreables et les ratiffier, louer et approuver, en tant que [p. 342] mestier est, et sur ce leur impartir nostre grace. Nous, les choses dessus dictes considerées, inclinans à la requeste desdiz maistres jurez dudit mestier, supplians, lesdiz statuz et ordonnances dessus declairées avons louez, ratiffiez et approuvez, louons, ratiffions et approuvons de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, [par] ces presentes, et voulons iceulx estre tenuz, entretenuz et gardez de point en point, selon leur forme et teneur. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou, ou à son lieutenant, que de nostre presente grace, ratifficacion et approbacion facent, souffrent et laissent lesdiz supplians doresenavant joir et user plainement et paisiblement, et iceulx statuz et ordonnances tenir, entretenir et garder de point en point, selon leur forme et teneur, sans faire ne souffrir estre fait aucune chose au contraire, ains se fait, mis ou donné estoit, le mettent ou facent mettre sans delay à plaine delivrance. Car ainsi le voulons et nous plaist estre fait. En tesmoing de ce, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l'autruy en toutes. Donné à Bourdeaulx, ou moys de mars l'an de grace mil cccc. soixante et ung, et de nostre règne le premier.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Rolant. — Visa. Contentor. Duban.


1 Le texte de ces lettres est imprimé dans le recueil des Ordonnances des Rois de France, in-fol., t. XV, p. 402.
2 Bien qu'il n'y ait point de blanc au registre en cet endroit, un membre de phrase a été évidemment omis par le copiste, la phrase telle qu'elle est transcrite n'ayant pas de sens. Les éditeurs des Ordonnances proposent de suppléer : « ne pourra travailler les jours de dimanche et fêtes ».
3 Après « maistre », le texte du registre ajoute « et plusieurs autres statuz et ordonnances ». Ces mots n'ayant point de sens, nous les supprimons, comme l'ont fait d'ailleurs les éditeurs du recueil des Ordonnances des Rois de France.
4 Mathurin Arembert, procureur du roi en la sénéchaussée de Poitou, fils de Jean, qui avait exercé le même office. (Voy. une notice sur ce personnage, ci-dessous, n° MCCCLXXXI.)
5 François Herbert, procureur de la ville de Poitiers. D'Hozier donne la généalogie de cette famille, mais à partir seulement de François, écuyer, seigneur de Bellefond, mari de Bernardine Vernon, qui vivait au commencement du XVIe siècle. (Armorial général, in-fol., t. I, p. 290, 291.) Les archives municipales de Poitiers fournissent un certain nombre de renseignements sur François Herbert, procureur de la ville, dont il fut maire en 1474. Le 6 décembre 1459, on lui paya la dépense qu'il avait faite pendant un voyage accompli, en compagnie de Nicolas Acton, maire, et de Jamet Gervain, à Chinon pour remontrer au roi les nécessités de la ville et du pays, la ruine des murailles, le supplier d'affranchir la ville de tailles et aides et de diminuer les lances. La municipalité lui donna procuration spéciale, le 31 décembre 1462, pour acheter la forêt de Colombiers, c'est-à-dire la jouissance pendant neuf ans que le roi cédait à la ville moyennant 1000 écus, et pour aliéner des rentes et propriétés de la ville jusqu'à concurrence de 1500 écus. En outre de cet acte, il vendit à Thomas Boylesve 40 setiers de froment et 40 sous de rente dus par les héritiers d'Olivier et Jean Gonnault, une autre rente à Amberre et tout ce qui appartenait à la ville de Poitiers dans cette paroisse et dans celle de Charay, la dîme de Chaumont, etc., le tout moyennant 400 écus d'or. Citons encore le retrait fait, 1e 13 juillet 1465, par Jamet Gervain, pour la somme de 200 écus, d'une rente annuelle de 20 livres assise sur l'hôtellerie de l'Image Saint-Jacques, laquelle avait été vendue à Nicolas Acton par maître François Herbert, procureur de la ville. (Inventaire des arch. de la ville de Poitiers, par M. L. Rédet, publié en 1883 par MM. A. Richard et Ch. Barbier, nos 532, 1021, 2001 et 2006.) Voy. aussi Notice sur la maison de la famille Herbert à Poitiers par M. Genesteix. (Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest, 1887, p. 206.)
6 Il faut probablement corriger ce nom et lire « Jehan Tranchant » ou Trenchant. Un personnage ainsi nommé était garde du sceau aux contrats de la ville de Poitiers et figure en cette qualité dans un acte du 20 septembre 1443 (vol. précédent, p. 158) et dans deux autres, datés du 6 juin 1447 et du 24 janvier 1448. (Arch. hist, du Poitou, t. XXXI, p. 119, 124.) Cf. des aveux des 15 mars 1483 et 17 avril 1484, rendus au seigneur de la Barre-Pouvreau par Jeanne Tranchant, femme de Jean Aubert, procureur en la cour de Parlement, pour l'hôtel du « Gros-Chaigne », et diverses pièces de terre qui furent à défunts Jean et Guillaume Tranchant. (A. Richard, Arch. du château de la Barre, t. II, p. 87, 89.)