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MCCCXCVII

Rémission accordée à Pierre Person, archer, et à Jean Boutevillain, coutillier de la compagnie d'ordonnance de Joachim Rouault, maréchal de France, coupables du meurtre d'un meunier à Saint-Martin près Chauvigny.

  • B AN JJ. 199, n° 433, fol. 272
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 24, p.
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l'umble supplicacion de Pierre Person, natif de Lorraine, archier, et Jehan Boutevillain, natif de nostre païs de Normandie, coustilleur de la compaygnie et retenue de nostre amé et feal conseiller et chambellan, Jouachin Rouault1, mareschal de France, soubz nostre bien amé Loys de Marant2, [p. 480] escuier, homme d'armes de ladicte compaignie, contenant que la veille de la feste des Roys derrenière passée, lesdiz supplians qui lors estoient de la compaignie de nostre amé et feal conseiller et chambellan le sire de La Barde3 seneschal de Limosin, venoient de Normandie où ilz estoient en garnison et s'en aloient en Limosin au logeis de leur dit maistre, au lieu nommé le Bellat (sic), et en passant par une parroisse nommée Saint Martin près Chauvigny en Poictou, ledit Jehan Boutevillain descendi de son cheval et entra en ung moulin en ladicte parroisse et demanda à la femme du meusnier, qui là estoit, qu'elle luy donnast une poulle pour le soupper de luy et de son compaignon, à faire leur royaulté, et elle respondy qu'elle le feroit volentiers, mais qu'elle ne la pourroit prandre ; et lors il bailla son cheval à tenir audit Person et courust aprèz ladicte poulle, qui se bouta en une estable ou tet à oyes, et ledit Jehan entra après et y trouva une oye grasse et la prinst et emporta hors, et la bailla à sondit compaignon qui estoit encores à cheval. Et illec vint et arriva le mary d'icelle femme, qui emportoit deux tourtes sur sa teste, lequel les gecta à terre et print ledit Pierre Person par la bride de son cheval et le saisy au corps, en lui disant qu'il respondroit de lui avant qu'il luy eschappast, en luy demandant qu'il vouloit faire de celle oye, et il lui [p. 481] dist qu'il la vouloit menger à soupper pour faire les Roys. Pendant lequel debat, ladicte femme du meusnier apporta une poule qu'elle leur vouloit bailler pour ladicte oye ; mais ledit mary jura qu'ilz n'auroient ne poulle ne oye. Sur quoy lesdiz compaignons disdrent que sy auroient, et pour ce que ledit mary tenoit tousjours ledit Person et son cheval à la bride, ledit Pierre lui dist par plusieurs foiz qu'il le laissast, et il lui disoit tousjours que non feroit et qu'il respondoit de luy. Et adonc ledit Pierre, doubtant qu'il ne lui feist pis, tira sa dague et lui en donna ung coup du plat sur l'espaulle, et pour celle cause le cuida ledit meusnier renverser sur son cheval. Pour laquelle cause et qu'il vit que ledit meusnier luy faisoit force, luy donna ung autre coup d'icelle dague sur la teste, dont il yssy sang, et après ledit meusnier, soy voyant feru, laissa ledit Pierre. Et tantost après icellui Jehan Boutevillain monta à cheval et tira son espée, mais oncques n'en frappa coup. Et pour ce qu'ilz voyoient les gens mouvoir, s'en allèrent audit lieu de Belat, au logeis de leurdit maistre, lequel ilz ne trouvèrent pas, et pour ce laissèrent leurs habillement audit logeis et s'en alèrent à une abbaye nommée Mortemar, où ilz furent bien xv. jours, et de là ensuyte parmy le pays, pour ce qu'ilz oyrent dire que ledit meusnier estoit mort. A l'occasion duquel cas, lesdiz supplians doubtans, etc., ne se oseroient bonnement trouver nulle part, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, comme ilz dient, requerant humblement que, attendu que ladicte femme leur vouloit donner ladicte poulle et jà l'avoit prinse, se ne feust sondit mary, et que souvent luy dist amiablement qu'il le laissast, avant qu'il le frappast, et n'y eut que ung seul coup où il y eust sang, et ne le cuidoit si fort blecier, il nous plaise leur impartir icelles. Pourquoy nous, etc., voulans, etc., ausdiz Pierre Person et Jehan Boutevillain, supplians,avons ou cas dessus dit quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en man- [p. 482] dement aux seneschaulx de Poictou et de Limosin et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Abbeville, ou mois de septembre l'an de grace mil iiiie lxiiii, et de nostre règne le imme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. De La Loère. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Joachim Rouault, fils aîné de Jean, seigneur de Boisménart, et de Jeanne Du Bellay, dame du Colombier, a fait l'objet d'une notice biographique dans notre t. VIII, p. 344, et est mentionné à plusieurs reprises dans le précédent volume et dans celui-ci.

2 Ce personnage appartenait à une famille noble du Poitou qui possédait, aux XVe et XVIe siècles, la seigneurie des Ormes-Saint-Martin, relevant de la vicomté de Châtellerault, et dont le chef, en 1434 et encore à l'époque où nous sommes, était Guillaume de Marans, écuyer, mari d'Alix Esgret ou Aigret, qui lui avait apporté cette terre des Ormes. (L'abbé Lalanne, Histoire de Ckâtelleraud et du Châtelleraudais, t. 1, p. 442.) Guillaume de Marans est inscrit sur le livre des hommages et aveux dus au comte de Richemont, en qualité de seigneur de Parthenay, comme devant hommage plein pour une borderie de terre appelée la Mimaudière, sise en la paroisse de Mazières-en-Gâtine, et aussi pour une autre borderie dite le Pont et autres petits fiefs situés dans les paroisses de Verruye et de Mazières. (Arch. nat., R1* 490, fol. 255.) Ce Guillaume était aussi seigneur de Loubressay, paroisse de Bonnes, et aurait eu deux fils, suivant M. d'Argenson, Charles, seigneur des Ormes-Saint-Martin, et François. (Notice sur l'ancienne châtellenie des Ormes-Saint-Martin, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest, t. XXII, année 1856.) Louis de Marans était peut-être l'un de ses fils, ignoré des historiens. Les Marans étaient au XVIIe siècle seigneurs de Saint-Mars, de Landetrie, de la Chauvetière, du Tartre en l'élection de Châtellerault, et furent maintenus comme nobles et écuyers, le 29 juillet 1715, par Quentin de Richebourg, intendant de la généralité de Poitiers. (M. A. de la Bouralière, Maintenues de noblesse prononcées par MM. Quentin de Richebourg et Desgalois de La Tour, Arch. hist. du Poitou, t. XXIII, 1893, p. 129 et 150.)

3 Jean d'Estuer, sr de La Barde. (Cf. ci-dessus, p. 479, note 2.)